Georges Balandier est mort à l'âge de 95 ans mercredi 5 octobre 2016. Ce résistant, né en Saône-et-Loire, avait contribué à forger le concept de "tiers-monde".
Georges Balandier est né le 21 décembre 1920 à Aillevillers-et-Lyaumont, en Saône-et-Loire.En 1946, quand il met le pied en Afrique pour sa première mission anthropologique, le jeune universitaire est encore pétri des enseignements de l'ethnologie traditionnelle, alors vouée à l'exploration de sociétés "primitives", réputées sans histoire et sans mouvement. La réalité qu'il découvre, dans une société sénégalaise tiraillée par la question coloniale, est toute autre.
Le jeune homme, entré dans la Résistance après avoir été réfractaire au STO, y est sensible. Il considère d'emblée comme prioritaires l'analyse des mouvements sociaux et culturels qui secouent le continent. Dès 1947, il participe au côté de Sartre et de son ami Michel Leiris à la revue "Présence Africaine", fondée par Alioune Diop. Sa première contribution s'intitule "Le Noir est un homme".
"Faire de l'ethnologie sans tenir compte de la situation coloniale équivaut à se moquer du monde", lance-t-il en 1951, en publiant un article qui fait grand bruit sur "la situation coloniale". Alors que l'ethnologie traditionnelle, obsédée par son souci d'appréhender les cultures dans leur pureté, fuit les villes, lui en fait son objet d'études privilégié ("Sociologie des Brazzavilles noires", 1955).
Georges Balandier voyait dans les nouvelles technologies l'émergence de "nouveaux Nouveaux Mondes"
Anthropologue de terrain, Georges Balandier parcourt la Côte d'Ivoire, la Guinée, le Bénin, le Congo, le Mali, le Gabon, la Mauritanie... et y tisse des liens avec les grandes figures de la décolonisation : Sékou Touré, Houphouët-Boigny, Léon M'Ba, Léopold Sedar Senghor. En 1957, il contribue à populariser le concept de "tiers-monde" inventé avec le démographe Alfred Sauvy. Une référence au Tiers État de la Révolution française, pour qualifier l'aspiration d'un ensemble de peuples et de nations à obtenir une place plus juste dans l'Histoire.
Dans sa leçon inaugurale à la Sorbonne où il crée la chaire de "sociologie africaine" en 1962, Georges Balandier résume sa vision de l'anthropologie : "Je présenterai les sociétés et les cultures dans leur devenir, leurs mouvements et leurs problèmes les plus révélateurs d'elles-mêmes, je les libèrerai des fils emmêlés où les mythologies les avaient enfermées et momifiées."
Georges Balandier élargit ensuite son champ d'observation aux sociétés contemporaines, par le "détour" de sa discipline. "L'étude des sociétés "autres" prépare à mieux comprendre ce qui devient autre dans notre propre univers social et culturel, c'est-à-dire à penser dans l'actuel et non dans le passé", explique-t-il. Il applique cette théorie d'un va-et-vient constant entre sociétés traditionnelles et contemporaines à la mise en scène du pouvoir politique, au mouvement de contestation de la jeunesse et des femmes dans les années 70, puis à la mondialisation et à la "surmodernité", où l'incertitude s'ajoute au mouvement.
Au cours des dernières années, Georges Balandier voyait dans les nouvelles technologies l'émergence de "nouveaux Nouveaux Mondes", qu'il appelait les anthropologues à explorer afin de "produire la théorie qui permette de les interpréter et peut-être de les maîtriser un peu mieux".