Les faits remontent au 1er décembre 2018 à Paris, durant les événements de la contestation sociale des gilets jaunes. Neuf CRS sont soupçonnés d'avoir frappé ou matraqué des manifestants retranchés dans un fast-food, "non hostiles". Certains CRS sont originaires de la compagnie N°43 de Chalon-sur-Saône.
Plus de 5 ans après les faits, le parquet de Paris a requis le 1er août 2024 un renvoi ouvrant la voie à un procès dans ce dossier symbolique des violences policières.
Manifestants "réfugiés" dans un fast-food
Des manifestants se sont repliés dans un fast-food parisien (un restaurant Burger King) près des Champs-Elysées lors de la manifestation du 1er décembre 2018. Certains CRS de la compagnie de Chalon-sur-Saône (la CRS N°43) les ont frappé à plusieurs reprises "munis de leur matraque et de leur bouclier", d'après le réquisitoire définitif rendu mercredi et consulté jeudi 2 août par l'AFP.
Les CRS ont expliqué, au cours des investigations, traquer des pilleurs de commerces. Mais ces manifestants violentés apparaissaient "non hostiles", a souligné le parquet : ils "se trouvaient au sol" ou "tentaient de sortir les mains en l'air".
Les violences se sont poursuivies "vraisemblablement" même à l'extérieur du restaurant.
Plus de 5 ans après les faits, le parquet de Paris a requis un procès contre 9 CRS pour des «violences volontaires aggravées» sur des Gilets jaunes et un journaliste dans un Burger King près des Champs-Elysées en 2018.https://t.co/7Rpfw0XZTj @Mediapartpic.twitter.com/jLlK90Rlp5
— Antton Rouget (@AnttonRouget) August 1, 2024
Procès requis par le Parquet de Paris
Le parquet a demandé que neuf CRS, âgés de 29 à 51 ans, soient jugés devant le tribunal correctionnel pour "violences volontaires aggravées par personne dépositaire de l'autorité publique."
Les violences imputées à six d'entre eux ont notamment entraîné une incapacité totale de travail (ITT) inférieure ou égale à huit jours chez les parties civiles.
Leur avocat, Laurent-Franck Lienard, n'a pu être joint dans l'immédiat.
Les violences diffusées sur les réseaux sociaux
Les investigations se sont appuyées sur de nombreuses vidéos montrant des violences. La toute première a été diffusée quatre jours après les faits par l'agence HZ Press sur YouTube et a enclenché l'ouverture d'une enquête préliminaire.
Puis les enquêteurs de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) ont exploité la vidéosurveillance du restaurant. Une caméra a filmé ainsi un manifestant allongé au sol devant le comptoir des caisses, recevant 27 coups de matraques au total par six CRS.
Une autre a montré un journaliste, portant le brassard presse, recevant un coup de matraque.
"La multitude de procédures à venir permettra à la population de prendre conscience du drame vécu par toutes les victimes".
Me Arié AlimiAvocat de manifestants blessés
Si des victimes restent non identifiées, cinq personnes se sont constituées parties civiles dans l'information judiciaire ouverte en mai 2019. A l'époque des faits, "les violences policières n'existaient pas pour Emmanuel Macron", a taclé jeudi 2 août Me Arié Alimi, conseil de deux manifestants blessés, contacté par l'AFP. "Il est désormais probable que neuf CRS soient renvoyés devant le tribunal", s'est-il félicité.
L'avocat, qui représente de nombreuses parties civiles dans des dossiers d'accusations de violences policières, a prédit que "la multitude de procédures à venir permettra à la population de prendre conscience du drame vécu par toutes les victimes".
Ce réquisitoire est une "excellente nouvelle même si on reste sur un sentiment mitigé, celui d'une justice qui passe au forceps et dans la douleur", a aussi déclaré Moad Nefati, avocat du manifestant blessé de 27 coups de matraques. Il fustige notamment "l'exonération totale" des supérieurs hiérarchiques de la compagnie, dont deux ont été placés sous le statut plus favorable de témoins assistés, échappant ainsi aux poursuites.
Des forces de l'ordre face à une situation "insurrectionnelle"
Tout au long de l'enquête, la compagnie a présenté son intervention comme indissociable de la situation "insurrectionnelle" de cette journée de manifestation, avec notamment à Paris des violences ou encore d'importantes dégradations à l'Arc de Triomphe.
Cette compagnie avait pour instruction de "s'opposer aux casseurs qui pillaient les commerces", rappelle en effet le parquet. Mais les investigations ont établi que ces manifestants blessés n'avaient commis "aucune infraction de violence ou de dégradation (...) au sein de l'établissement" et s'étaient plutôt "réfugiés" dans le Burger King, dont la porte d'entrée avait été dégradée.
Un usage de la force "pas légitime"
Pour défendre ses troupes, le commandant, placé sous le statut de témoin assisté, a fait valoir que la compagnie avait été confrontée à "200 à 300 casseurs violents" juste avant l'intervention au sein du Burger King. Toutefois, il a reconnu que leur intervention pouvait "apparaître comme choquante".
Devant les enquêteurs, l'encadrement a confirmé "que l'usage de la force à ce moment-là n'était pas légitime et que les individus n'avaient pas eu le temps de quitter les lieux de leur propre initiative", relève le parquet.
Dans son rapport administratif cité par le réquisitoire, la compagnie "faisait état d'un bilan définitif hors norme" de moyens utilisés au cours de l'intervention, avec notamment 1.700 grenades de gaz lacrymogène, 312 tirs de LBD, "mais également de blessés au sein de son unité" (27 blessés sur 63 CRS).