Dans les prochains jours, des déplacés ukrainiens devraient arriver au Creusot (Saône-et-Loire). Dans le cadre du dispositif Ma France 2022, nous sommes allés voir comment la ville, à la longue tradition d'accueil, se prépare à accompagner ces populations réfugiées.
Son téléphone sonne toutes les 5 minutes. Au bout du fil, c’est au choix, la préfecture de Saône-et-Loire, l’OPAC ou bien la mairie du Creusot. Isabelle Jannot, travailleuse sociale, gère depuis plusieurs jours la collecte de dons pour l’Ukraine organisée par la ville et prépare les futures arrivée de familles frappées par la guerre.
Ce lundi 14 mars, jour où elle nous accorde de précieuses minutes au cœur d’un emploi du temps chargé, Isabelle Jannot tient avec ses équipes le local où les habitants du Creusot apportent des couvertures, des produits hygiéniques et des kits de secours à destination du peuple ukrainien.
Tous les biens de première nécessité seront récoltés jusqu’au 6 avril prochain et envoyés par la Protection civile le 7 avril aux frontières de l’Ukraine, notamment en Pologne et en Moldavie. "On n’a pas lancé tout de suite l’appel aux dons. On ne s’est pas précipité parce qu’on avait besoin de consignes claires pour savoir quoi faire".
En parallèle, Isabelle Jannot échange avec les bailleurs sociaux, principalement l’OPAC, afin d’anticiper la venue de réfugiés ukrainiens. Pour l’heure, aucun n’est encore arrivé dans le département de Saône-et-Loire, si ce n’est par les canaux familiaux. Mais des premiers arrivants pourraient trouver refuge au Creusot ce samedi 19 mars. La municipalité est en attente des informations de la préfecture.
Un suivi social, éducatif et médical au Creusot
L’accueil des Ukrainiens dans le contexte géopolitique actuel est évidemment au cœur de vos préoccupations. Postée sur la consultation en ligne Ma France 2022, la proposition d’Amandine, qui peut être perçue comme clivante, a fait par exemple réagir de nombreux internautes. Cette habitante d’Ille-et-Vilaine estime qu’il "faut une politique d’intégration plus stricte pour les migrants et réfugiés, avec notamment des heures obligatoires d’apprentissage du Français".
Pour rappel, tous les candidats à la présidentielle sont favorables à la venue de réfugiés ukrainiens en France, sauf Éric Zemmour qui avait dans un premier temps souhaité qu'ils aillent en Pologne pour ne pas les "arracher" à leur pays et éviter de "déstabiliser la France déjà submergée par l'immigration". Avant de rétropédaler face à la polémique suscitée par ses propos et d'expliquer vouloir accueillir des déplacés à une condition : qu'ils aient des liens familiaux en France.
Au Creusot, la mairie prépare pour l’heure deux appartements dédiés à l’accueil de déplacés ukrainiens. Mais l’OPAC devrait en mettre d’autres à disposition en fonction de l’évolution des besoins. Par ailleurs, une vingtaine de foyers s’est portée volontaire pour accueillir des réfugiés. Isabelle Jannot se charge d’échanger avec les Creusotins disponibles et de transmettre les informations qu’elle collecte aux services de l’État.
"On travaille au plus proche des familles car il faut héberger, mais il faut aussi nourrir, véhiculer, scolariser les enfants. On est dans du droit commun. Je préfère des situations stabilisées pour mieux accompagner les personnes qui vont arriver".
Une fois installés, il faut leur permettre d’avoir des revenus, d’apprendre le Français, de scolariser leurs enfants, de se nourrir. On va prendre en charge tout ça. Tout ça, c’est notre travail.
Isabelle Jannot, travailleuse sociale
Au-delà de l’accueil, c’est ainsi tout un dispositif social, médical et éducatif qui sera bientôt à l’œuvre au Creusot. "C’est bien de protéger les personnes mais il faut leur permettre de continuer à vivre. Il ne faut pas qu’il y ait de pause dans leur vie. Les enfants doivent continuer à aller à l’école", plaide Isabelle Jannot.
L’accueil des réfugiés comprend donc au Creusot une vraie prise en charge avec une politique d’intégration afin de faciliter au mieux l’insertion de ces populations dans la ville. Le tout, sans subvention de l'État pour le moment, mais avec le soutien de la région dans le cadre d’un fonds de solidarité.
"Ils ont autre chose à penser qu’apprendre le Français. C’est déplacé ce genre de commentaire"
Dans les rues du Creusot, la population semble en tout cas prête à accueillir ces déplacés ukrainiens. En plein après-midi, Gérard et ses amis profitent du soleil qui plane au-dessus du Parc de la Verrière pour organiser une partie de pétanque. "C’est normal de recevoir ces gens-là. Le Creusot est une ville accueillante", nous glisse-t-il entre deux carreaux.
Dans la paisibilité de cette fin d’hiver, le terrain de boules où Gérard joue est d’ailleurs un petit microcosme à part entière où se mélangent les accents et les origines. Autour du cochonnet, on retrouve en effet des Espagnols, des Portugais ou encore des Algériens.
Alors que nous poursuivons notre conversation sous le chant des oiseaux, Gérard confie qu’il faut déployer des systèmes d’accompagnement pour permettre aux populations ukrainiennes d’apprendre le Français. Mais hors de question pour lui d’imposer des conditions "strictes", comme demandé dans la proposition d’Amandine sur Ma France 2022. "Il faut un suivi, c’est certain. Ils vont apprendre la langue. Mais on n’a pas à les obliger à faire certaines choses. C’est non. On les accueille parce qu’ils sont bien dans la merde. Si un jour, ça nous arrivait aussi, on aimerait bien avoir la même aide !", soutient-il.
Croisées quelques mètres plus loin alors qu’elles sortent leur chien, Sylvie et Pauline clament également leur opposition à la proposition d’Amandine. "Je pense que ces populations ont autre chose à penser pour le moment qu’apprendre le Français. Ils le feront en temps voulu ! C’est déplacé ce genre de commentaire", lance avec vivacité Sylvie.
Plus posée, Pauline partage tout de même le même avis : "Ce qu’ils veulent, c’est se sentir en sécurité et laisser cette misère. Franchement, ce n’est pas la priorité. Il n’y a pas de soucis à accueillir ces populations, peu importe les conditions. C’est important d’aider son prochain".
Toujours au cœur du Parc de la Verrière, véritable paradis des chiens en cette douce journée de mars, nous croisons Fernando et Claudette en train de promener leur compagnon à quatre pattes. Eux-aussi sont favorables à l’arrivée de familles ukrainiennes au Creusot. "Ils sont dans la peine, on se met à leur place", explique la retraitée.
Son époux se soucie peu des leçons de Français qu’ils devraient alors recevoir, mais s’inquiète d’une autre donnée : leur schéma vaccinal. "Est-ce qu’ils sont vaccinés ? C’est une question que je me pose. On nous a demandé de recevoir trois doses, est-ce que c’est le cas pour eux ? Qu’est-ce que ça va donner ? Pas de soucis pour les héberger, mais il faudrait voir ça", glisse-t-il.
En Ukraine, seule 35 % de la population est totalement vaccinée. La question a alors été prise en compte par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui travaille avec les pays qui accueillent des Ukrainiens pour mettre en place des services de vaccination dédiés.
Hormis donc cette préoccupation sanitaire, les habitants du Creusot que nous avons interrogés semblent favorables à la venue des déplacés sans imposer de conditions d’intégration strictes. Une solidarité, héritage du passé industriel de la ville.
Une tradition d'accueil héritée de l'histoire industrielle
Au début de la IIIème République, l’immigration s’accentue au Creusot, avec une forte concentration de travailleurs étrangers, principalement italiens mais aussi allemands, suisses, belges et britanniques, recrutés par le groupe Schneider, propriétaire des usines de la ville. Ainsi, en 1851, le recensement organisé par la commune compte 53 étrangers. Ils sont 102 dix ans plus tard, puis 409 en 1872 et 1 032 en 1881. À quelques kilomètres, Montceau-les-Mines reçoit beaucoup moins de travailleurs étrangers en raison de mouvements anti-migrations qui émergent dès les années 1860.
Une tendance qui ne changera pas au XXème siècle avec par exemple 8 % d’étrangers présents au Creusot en 1926 puis 12 en 1931. On compte notamment des Polonais, des Russes, des Maghrébins et des Portugais. Après la Seconde Guerre mondiale, les chiffres se maintiennent : 11 % d’étrangers en 1968. Durant cette période, les usines de la ville comptent 9 000 employés, dont 1 200 étrangers.
"Il y a un contexte historique. On est sur une terre qui a souffert, où les gens ont su se serrer les coudes", estime alors Isabelle Jannot. Présent lors de la collecte de dons, David Marti, le maire (PS) du Creusot évoque lui-aussi cette dimension d’accueil encore très présente dans la ville : "C’est un peu dans nos gênes. Il y a eu des migrations liées à l’emploi. La population est généreuse parce qu’on est une ville qui s’est construire comme ça. On est un certain nombre à être fils d’immigrés. C’est une richesse de construire une société avec d’autres personnes et de les aider".
Le Creusot, une ville classée à gauche
Depuis 1977, la ville est classée à gauche avec trois maires successifs étiquetés au Parti Socialiste : Camille Dufour, André Billardon et désormais David Marti. En 2017, Jean-Luc Mélenchon y arrive même deuxième lors du premier tour de l’élection présidentielle avec 21,8 % des voix (2 points de plus qu’au niveau national). Emmanuel Macron termine en tête avec 24,5 % (0,5 points de plus qu’au niveau national).
"Il y a un vrai melting-pot au Creusot. La population est réactive, sensible à la situation des gens en difficulté. Il y a de la solidarité qui est là, très présente. La ville a connu des chocs industriels, ça a créé des solidarités et développé l’entraide. Il y a une histoire qui s’est transmise", constate Alain Barrier, membre de l’association SOS Attitude.
Cette dernière s’est investie dans l’aide aux Ukrainiens en lançant elle-aussi un appel aux dons, mais exclusivement financiers. Le but : récolter de l’argent afin de payer des tentes et des produits envoyés en Moldavie, à la frontière de l’Ukraine. 20 tentes ont déjà été acheminées.
En quelques semaines, ce sont 5 000 euros qui ont été offerts par les habitants du Creusot. "On a eu énormément de retours de la population. C’est intéressant parce que même les familles les plus pauvres sont partantes pour aider en fonction de leurs revenus", salue celui qui est allé au Niger, en Bulgarie, en Roumanie ou encore en Macédoine dans le cadre d’actions humanitaires.
Ce n’est pas la première fois que la ville du Creusot et sa population se mobilisent pour apporter du soutien à des réfugiés. Depuis 2015, la commune est officiellement "ville d’accueil". En juillet dernier, 50 Afghans avaient alors été reçus et accompagnés par la municipalité après la prise de pouvoir des Talibans dans leur pays.