REPORTAGE. Présidentielle 2022 : après le scandale Orpea, comment mieux accompagner nos séniors dépendants ?

Après avoir évoqué les métiers industriels au Creusot (Saône-et-Loire) dans le cadre de Ma France 2022, nous sommes retournés dans la commune pour traiter cette fois les enjeux de l'accompagnement des personnes âgées dans les Ehpad. Quelle est la situation dans les établissements spécialisés de la ville ? Reportage.

Quand la prise en charge et l’accompagnement des personnes âgées les plus fragiles s’impose comme un thème de campagne. Depuis la sortie des Fossoyeurs, le livre-enquête de Victor Castanet qui révèle les traitements infligés aux résidents des Ehpad privés du groupe Orpea, les soins apportés aux publics du grand âge sont devenus un sujet incontournable de la présidentielle. 

À moins de deux mois du premier tour, la proposition d’Annie, une femme de 66 ans qui vit à Lingolsheim dans le Bas-Rhin, suscite de nombreuses réactions sur la consultation Ma France 2022, disponible sur les sites de France 3 et France Bleu en région. Elle estime ainsi qu’il "faut des contrôles surprises dans les Ehpad pour remédier à la maltraitance sous toutes ses formes".

Chaque année, environ 10 % des Ehpad font l’objet d’une inspection de la part des Agences Régionales de Santé (ARS) en France. Un nombre bien insuffisant qui s’explique par la baisse, 28 % en 6 ans, des fonctionnaires chargés de ces opérations de contrôle. Le Creusot et plus généralement le département de la Saône-et-Loire n’échappent pas à la tendance nationale, avec là-aussi 10 % d’établissements contrôlés. "Ce taux a été inférieur sur les années 2020 et 2021 du fait de la mobilisation sur la gestion de crise Covid-19", nous précise l’ARS de Bourgogne-Franche-Comté. 

Dans les Ehpad, la fatigue des personnels soignants

Au total, Le Creusot compte six établissements d’accueil pour personnes âgées : quatre Ehpad et deux résidences non-médicalisées. Sur ses six établissements, deux sont privés, soit un taux de 33,3 %. Pour comparaison, dans les petites villes du territoire français, les Ehpad à but lucratif représentent moins de 32 % des structures présentes.

Lors de nos deux jours d’immersion, les 14 et 15 février derniers, il nous a été impossible d’entrer dans l’un des établissements pour personnes âgées de la commune. Aucun n’a souhaité répondre à nos sollicitations. Mais quelques semaines auparavant, une équipe de France Télévisions a pu pénétrer au sein de l’Ehpad départemental de la ville. Et au quotidien, la charge de travail est épuisante pour les aides-soignants. "En fin de compte, au niveau du personnel, on est peu limite". "On est épuisés, on est fatigués. On vient travailler alors qu’on est malades", confient deux d’entre eux.

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Dans les Ehpad, la fatigue des personnels soignants. ©F. Nicotra / France Télévisions

Dans l’Ehpad départemental du Creusot ce sont 89 salariés qui se relaient pour 100 résidents. Un chiffre supérieur à la moyenne nationale, qui s’établit à 68 personnels pour 100 résidents, mais encore insuffisant pour atteindre les objectifs de qualité fixés par l’État et le ministère de la Santé.

"On n’a pas eu de remontée de problèmes de traitement dans les Ehpad du Creusot. On a surtout des problèmes liés au manque de personnel. Le suivi n’est pas toujours optimum, il y a des soucis de douche par exemple", précise un membre des retraités de la CFDT de la commune qui ne se montre pas particulièrement emballé à l’idée d’organiser des contrôles surprises dans les établissements. "Pourquoi pas en faire ? Mais ce n’est pas la solution. Il faut un suivi plus régulier. Un contrôle surprise, ce serait trop ponctuel, cela ne donnerait pas une vraie vision de ce qui se passe".

Le syndicaliste regrette alors le fait que les politiques ont mis de côté la question du grand âge et des établissements spécialisés. "On a contacté des élus sur la question des Ehpad avant le scandale. On est toujours bien écouté, peu importe le bord politique des députés, on nous promet de contacter des gens importants mais on n’a jamais de réponse bien précise et d’engagement au final", dénonce-t-il tout en pointant un autre souci dans la prise en charge des personnes âgées dépendantes, le reste à charge pour les familles.

Chaque mois, ce sont près de 1 850 euros qui ne sont pas payés par les assurances ou les mutuelles et que doivent débourser les familles des séniors résidant en Ehpad selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Au Creusot, l'établissement départemental applique un prix de 54 à 59 euros la journée d'hébergement selon les résidences. Une somme en-dessous de la moyenne des Ehpad en Saône-et-Loire.

"Je n'attends qu'une chose de ces élections, c'est que l'autre se barre !"

Si les établissements dédiés aux personnes âgées se sont révélés être hermétiques lors de notre venue, les habitants du Creusot, eux, ont été beaucoup plus prolixes au sujet du grand âge. Quentin, notre hôte sur une plateforme de logements entre particuliers bien connue, raconte naturellement l’histoire de sa grand-mère au moment où on lui explique que l’on vient deux jours dans la ville sur le thème de l’accompagnement des séniors.

"Elle subissait des mauvais traitements. Une fois, elle s’est déshydratée parce qu’on ne lui avait pas donné d’eau pendant plusieurs heures. Une autre fois, ma tante l’a trouvée dans son bain, elle y était depuis des heures sans surveillance".

Mais le Creusotin tient à défendre les personnels soignants dans les centres médicalisés. "Il y en a qui travaillent bien et font bien leur métier, j’en suis sûr. Quand on leur dit ‘vous passez tant de temps dans cette chambre puis vous allez vous occupez d’une autre’, c’est compliqué pour eux". Sur 1 000 heures de soins nécessaires pour accompagner un sénior en perte d'autonomie, les personnels soignants ne peuvent en effet qu'en fournir 836 dans la moitié des Ehpad de France.

On n’est pas trop étonnés de ces choses-là. Ma sœur a été en Ehpad. On ne sait pas ce qui se passe à l’intérieur.

Danielle, habitante du Creusot, retraitée

Croisés à la sortie de leur banque quelques heures plus tard, Danielle et Michel, deux septuagénaires nous confient leur énervement face aux révélations des Fossoyeurs et leur rejet du système politique. "C’est dégueulasse, il n’y a pas d’autres termes. J’avais ma belle-sœur dans un Ehpad. Nous sommes allés la voir un jour. À 11h30, elle n’était pas lavée, elle était en robe de chambre. Le personnel n’est pas toujours correct", se rappelle ce cadre à la retraite originaire de la région parisienne.

Son épouse s’inquiète de son côté de subir les maltraitances décrites dans le livre-enquête si sa santé se détériorait. "On sera tous confrontés à la dépendance un jour. Les politiques devraient parler un peu plus des Ehpad. On vit de plus en plus vieux et malheureusement, c’est ce qui nous guette. Les anciens présidents ont laissé de côté ce sujet", estime cette ancienne professeure. En 2030, ce sont 21 millions de séniors qui vivront en France, dont 3 millions en perte d’autonomie. 719 000 personnes sont alors attendues en Ehpad d’ici le début de la prochaine décennie, soit 108 000 de plus qu'aujourd'hui.

"C’est une problématique majeure qui devrait être prise en charge par tous les candidats. Et puis ici il y a des retraites malheureuses et on ne propose rien pour les populations âgées", poursuit Danielle qui pense voter Valérie Pécresse lors de la présidentielle, "un peu par défaut" et même si "elle manque de capacité de persuasion".

Pour son mari, le choix est encore plus difficile. "Les candidats ne pensent qu’à eux. Il faut être un escroc, un comédien et un menteur pour être politique. Je n’attends rien des élections. Enfin si, une chose, c’est qu’il se barre l’autre ! Il a foutu la France dans la merde. Et on parle des personnes âgées mais les jeunes aussi sont laissés de côté par Macron ! Les vieux, les jeunes, il ne s’en occupe pas".

Lutter contre l’isolement des personnes âgées 

Vacances de février obligent, nous croisons durant la journée du 14 février Huguette, 74 ans, en compagnie de ses deux petits-enfants qu’elle garde. Tout en surveillant du coin de l'œil les jeunes garçons qui jouent sans turbulence, elle explique avoir voté Emmanuel Macron en 2017 et ne pas être déçue par le président sortant. Elle devrait même lui renouveler sa confiance cette année. "Pour le moment, j’écoute encore ce que disent les candidats, mais je suis plutôt pour Macron. Je le préfère aux autres qui se présentent !".

La mamie qui vit toujours chez elle a été choquée par les récentes révélations sur les traitements infligés dans les Ehpad privés. "Il n’y a pas assez de contrôles, il en faudrait plus !". Mais au détour de notre conversation, vient une idée intéressante. La meilleure manière d’accompagner les séniors est peut-être de leur permettre de rester chez eux. "Moi je suis chez moi, à la campagne, et je me débrouille très bien. C’est agréable, j’aime bien. C’est important de voir du monde mais aussi de pouvoir être tranquille et autonome chez soi".

Nous l’avons mentionné plus haut, le reste à charge d’une personne dépendante vivant en Ehpad est de 1 850 euros par mois. Lorsque cette personne réside chez elle, le chiffre baisse drastiquement à 60 euros mensuels. En juillet 2021, Brigitte Bourguignon, la ministre déléguée chargée de l’Autonomie expliquait d'ailleurs l’objectif du gouvernement pour le grand âge en ces termes : "Que vieillir chez soi devienne la règle et l’Ehpad l’exception".

Au Creusot, plusieurs structures accompagnent les personnes âgées dans leur quotidien à domicile. C’est le cas d'Âge d'Or. Créée en 2008, elle vient actuellement en aide à une centaine de personnes, âgées de 90 ans en moyenne.

"Le but, c'est de permettre aux personnes de rester chez elles. Une majorité ne veut pas aller en Ehpad. Ça ne leur correspond pas. Pour le moral, ce n'est pas ce qu'il y a de mieux. C'est lié au fait de refuser de devenir vieux. Psychologiquement, c'est difficile à accepter", précise Christophe Péronnet, gérant de la structure qui emploie 12 personnes.

Il faut des gens fiables, formés, responsables, qui ont de l'empathie. Il faut être souriant, gentil, avoir le moral car ce sont des gens isolés. On ne doit pas les laisser dans cette situation.

Christophe Péronnet, gérant Age d'Or au Creusot

Aide au levée, à la toilette, au ménage, accompagnement chez le médecin, le coiffeur ou encore livraison de repas, les prestations sont multiples pour 24 euros la séance. L'allocation personnalisée d'autonomie permet notamment de payer ces services. "Les personnes attendent les intervenantes comme le messie. Des fois, c'est la seule visite qu'elles ont de la journée".  

Suite au scandale Orpea, de nombreux candidats à la présidentielle font des propositions pour le grand âge. On vous les présente dans le document ci-dessous.

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