Après deux ans de détention dans les geôles iraniennes, Louis Arnaud s'exprime pour la première fois depuis sa libération, le 12 juin. Dans un long message transmis à ses proches et à son comité de soutien, il exprime toute sa gratitude envers tous ceux qui se sont mobilisés pour sa libération.
Sa libération avait été annoncée le mercredi 12 juin par le président de la République. Louis Arnaud, X ans, originaire de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire) avait demandé un peu de temps avant de s'exprimer sur ses 2 années de détention en Iran.
En novembre 2023, il avait été condamné par la Cour révolutionnaire de Téhéran à 5 ans d'emprisonnement pour "propagande et atteinte à la sécurité de l’Etat iranien". Ses proches n'auront eu de cesse de dénoncer des "accusations totalement infondées" et de se battre pour sa remise en liberté.
Nous avons choisi de reproduire in extenso le long message que Louis Arnaud adresse à tous ceux qui se sont mobilisés en sa faveur.
"La liberté, loin d'être une finalité, est une nouvelle épreuve"
"Bonjour à tous,
Cela ne vous aura pas échappé, le 13 juin dernier a vu ma libération à un moment qui a pris tout le monde de court, moi le premier. Et mes pensées vont tout d'abord vers Cécile, Jacques et Olivier (NDLR : trois Français toujours détenus en Iran) dont il faut améliorer les conditions de détention et hâter le retour.
Il y aura un temps pour se revoir, mais je tenais à écrire ce message qui j’espère reflètera aussi fidèlement que possible un sentiment que je ne saurais exprimer de vive voix.
Je fais maintenant mes premiers pas dans une vie à nouveau libre et, comme ceux du nouveau né, ils sont lents et hésitants. Car la liberté, loin d’être une finalité, est une nouvelle épreuve. De nombreuses émotions contradictoires m’assaillent, et à la joie intense de retrouver les miens se mêle l’amertume de laisser derrière moi une famille d’adoption.
Une part de mon âme restera à jamais dans ce pays qui est désormais le mien. Non pas dans les geôles de la prison d’Evin, mais dans la terre ocre de ses hauts plateaux, dans le murmure de la brise des forêts verdoyantes de la Caspienne, et dans le coeur de ce peuple à l’hospitalité, la vaillance et la résilience si admirables, que mon coeur saigne de ne pouvoir retrouver. A jamais en exil.
"Qui suis-je pour mériter autant d'amour et de solidarité ?"
Louis Arnaud
Mais ce peuple fut également le premier à s’émouvoir de l’extraordinaire mobilisation qui s’est créée autour de ma cause. Je commence doucement à prendre conscience de l’ampleur extraordinaire des actions menées, des innombrables attentions, et mon ressenti est celui du vertige devant un si gigantesque édifice. Je vous avais demandé de vous attaquer à un colosse avec l’énergie du désespoir ; ce sont des montagnes entières que vous avez soulevées. Bien au-delà d'un soutien à ma cause, c’est une déclaration d’amour envers moi et envers ma famille qui me bouleverse, et je ne peux retenir mes larmes en écrivant ces lignes. Qui suis-je pour mériter autant d’amour et de solidarité?
► À LIRE AUSSI : Il est détenu en Iran depuis bientôt 2 ans : inquiétudes autour de Louis Arnaud, victime d'infections à répétition
Cette mobilisation sans faille, elle a nourri le feu de la résilience qui brûlait en moi. Sans elle, je ne sais si ma détermination n’aurait pas failli.
Dans les heures les plus sombres du centre de détention, coupé du monde et de ma famille depuis des mois, la nouvelle m’était un jour parvenue du rassemblement de janvier 2023. Ce fut pour moi un phare dans les ténèbres. Dès lors, chaque fois que le désespoir menaçait de m’envahir, je fermais les yeux et vous imaginais tous, place du Trocadero. Moi, pieds nus, dans mes vêtements de prisonnier, vous, tous assemblés face à moi, unis dans le bataille, portant les bannières de la justice et scandant haut et fort l’hymne de la liberté. Et nous nous encouragions, nous criions, nous hurlions de rage à s’en briser la voix : « We will never give up! We will never ever EVER give up!!! »
"Vous avez offert une éclatante victoire à l'humanité qui en sort grandie"
Pendant longtemps ma quête fût celle du sens à donner à cette épreuve, face à tant de cruauté et de violence barbare. La lecture de Victor Frankl, survivant des camps de concentration, m’a ouvert une perspective nouvelle. Plutôt que d'attendre de la vie qu’elle nous dévoile son hypothétique sens caché, c’est elle qui nous interroge sur le sens que nous souhaitons donner aux épreuves qu’elle nous impose, par la manière dont nous choisissons d'y faire face. En vous mobilisant pour ma cause, en vous tenant aux côtés de ma famille et de mes amis, en vous indignant contre l’injustice, vous avez offert une éclatante victoire à l’humanité qui en sort grandie. De la laideur vous avez fait surgir la beauté. C’est vous tous, par vos actions, grandes et petites, qui avez donné un sens à cette épreuve. Je vous invite à en être fiers.
Alors que j’étais parti voyager pour faire la preuve de la bonté de l’homme en tous lieux, ce que j’ai vécu, ce que j’ai vu, m’a amené à douter. Si l'homme est capable de traiter ainsi ses semblables lorsque se révèlent ses instincts les plus sombres, que faut-il espérer de lui ? Mais cet élan dont vous avez fait preuve, il restaure cette foi en l’humain qui se trouvait en péril. Ce cadeau, je souhaite que vous sachiez qu’il n’a absolument aucun prix à mes yeux.
"Moi qui craignais de sombrer dans le désespoir, vous m'avez relevé"
Je ne pourrais nommer ici tous ceux que je souhaite remercier, la liste en serait bien trop longue. Mais je tenais néanmoins à exprimer mon éternelle gratitude envers ceux dont l'implication fut sans retenue :
- A Maman, qui fut un roc inébranlable dans la tempête, et qui a démontré au monde une détermination et un courage hors du commun. Je sais désormais que la force que je suis allé puiser si profondément, c’est d’elle que je la tiens.
- A Papa, Pascale et Camille, qui jamais ne baissèrent les bras malgré la douleur et se battirent avec ardeur.
- A Thomas, qui fut l’artisan infatigable de ma liberation, qui fut de tous les combats, qui fit preuve d'une d’abnégation sans limites.
- A Marina, Morgane, Emilie, Adrien P., Adrien L., Francis, Raquel, Alexandre et Pierre-Emmanuel, qui remuèrent ciel et terre et déployèrent des trésors d’imagination pour ma campagne de soutien.
- A Argentina et Jean-Maurice, qui prirent fait et cause pour une personne dont ils ignoraient alors jusqu’à l'existence.
- A Carole, Jean-Baptiste, Laura et Sylvie Martin, qui furent toujours présents à mes côtés et à ceux de ma famille.
- A Olivier Van De Casteele et Mouna, qui s’impliquèrent sans réserves dans mon combat alors que le leur venait seulement de s'achever.
- A Alessia, qui martela sans relâche mon nom dans les médias pour que ma cause ne tombe pas dans l’oubli.
- A Marcos, voyageur canadien et compagnon d’une bière à Istanbul, qui fit le chemin jusqu’en France pour rendre visite à ma famille.
- A Maîtres Rivoallan, Pradel, Moser et leurs équipes, à VAE SOLIS, et à SOS otages, qui encore à ce jour portent bénévolement la cause des otages français en Iran.
- A Emmanuelle Pierre-Marie, Jean-Luc Romero, et aux autres élus et leurs équipes qui portent le combat des otages sur les fronts politiques.
- A mes compagnons de cellule, iraniens et étrangers, otages et prisonniers politiques, libres ou en prison, mes pères, mes oncles, mes frères, qui m’inspirèrent par leur courage et à qui je dois d’avoir pu traverser tant d’épreuves.
- Aux innombrables soutiens dont vous faites partie, proches ou lointains, qui furent le soutien actif, l’oreille attentive, l’épaule sur laquelle pleurer, le réconfort de ma famille et de mes amis, l’auteur d’un mot d’encouragement ou d’une pensée envoyée à l'univers.
- Et tout particulièrement à l’ambassadeur Nicolas Roche, soutien déterminant, au Centre de crise et de soutien, et à tous ceux qui, dans leur ombre, ont travaillé avec acharnement pour obtenir ma libération.
"Ce message, c'est ma déclaration envers vous tous"
Moi qui craignais de sombrer dans le désespoir, vous m’avez relevé.
Moi qui ne supportais pas d'être débiteur envers l’autre, vous m’avez enseigné l’humilité.
Moi qui pensais avoir perdu confiance en l’autre, vous me l’avez restituée.
Ce message, c’est ma déclaration d’amour envers vous tous. Vous êtes des géants à la stature intimidante que je contemple avec admiration, et c’est avec profond respect que je m’incline devant vous. Ainsi que le dit une formule persane qui m’est chère : « Je ne suis que poussière à vos pieds »."