Prêtre depuis 1991, le père Emmanuel Dumont a été sanctionné par sa hiérarchie suite à des plaintes d'emprise psychologique, lors de séances d'exorcisme pratiquées à Lyon. Lui qui officie désormais à Autun (Saône-et-Loire) comme simple prêtre est sous le feu des projecteurs alors que la sanction a été rendue publique il y a quelques jours. Aujourd'hui, il a décidé de donner sa version des faits.
Lorsqu'il décroche son téléphone pour nous répondre, le père Emmanuel Dumont a la voix hésitante. Peut-il ou non nous parler ? Parler d'accord, mais il tient d'abord à mettre les points sur les i : il ne dira rien qui pourrait trahir la confidentialité du dossier.
Pour le reste, soit, le prêtre s'ouvre sur la sanction qu'il a reçue le 26 avril 2022, rendue publique le mois dernier. Une sanction forte puisqu'il ne peut plus, entre autres, assurer sa mission d'exorciste. En cause, la plainte d'une ou plusieurs personnes ayant dénoncé des agissements décrits comme une forme d'emprise psychologique. Les séances d'exorcisme se sont déroulées à Lyon où il officiait entre 2014 et 2020.
Le prêtre m'a dit qu'en plus d'être possédée, j'aurais été vitime d'abus rituels sataniques pendant mon enfance
Catherine, une plaignante
Catherine a fait deux ans et demi de thérapie et se remet doucement des faits qu'elle dénonce. Elle a aussi fait un signalement au Parquet de Lyon, mais le dossier a été classé sans suite.
"J'ai sombré dans une dépression, j'ai fait une tentative de suicide. J'y ai cru, je me suis laissé entraîner dans ce que j'appelle aujourd'hui des délires. Il y a eu des faux souvenirs induits, on m'a convaincu de tout cela...", témoigne-t-elle dans le journal de Saône-et-Loire.
Pour l'homme d'église, cette version des faits n'est pas conforme à ce qui s'est déroulé. "La plaignante dit qu'on lui a fait vivre un cauchemar durant dix-huit mois, mais il va falloir se poser la question si elle n'a pas reconstitué son histoire après coup. Un cauchemar, on se réveille, on l'arrête".
La sanction tombe
Face aux dires des plaignants, le diocèse de Paris et le Dicastère pour le Clergé ont sévi : "L'abbé Emmanuel Dumont est interdit, pour une durée de trois années prenant fin le 26 avril 2025 de : mener tout accompagnement spirituel individuel, donner tout enseignement sous forme de conférence ou d'entretien de toute forme sur le ministère de guérison et d'exorcisme, publier tout ouvrage sans l'avoir soumis à un censeur et en avoir reçu l'imprimatur et entendre toute confession" dans leur publication officielle.
Pour l'abbé, cette décision est tombée comme un couperet.
La sanction a été prise à la suite d'une enquête que je considère comme bâclée parce que je n'ai pas été informé de cette plainte et je n'ai pas pu me défendre. Le diocèse de Lyon n'a pas jugé bon de m'entendre, ce qui traduit un certain déni de justice, de droit à la défense
Père Emmanuel Dumont
Cela faisait plus de vingt ans que l'homme d'église pratiquait le ministère de délivrance et de guérison intérieure, 6 ans en tant qu'exorciste diocésain. Pour lui, il était encore plus compliqué de voir cette décision rendue publique car selon lui, le décret qui l'aurait notifié de sa sanction devait être tenu secret pour ne pas causer de dommage à sa réputation. "Je trouve ça assez décrédibilisant pour les autorités de faire l'inverse de ce qui était écrit. Il y a eu violation de la clause de discrétion."
J'ai été déçu. J'ai fait un recours à Rome et j'ai bien apprécié quand Rome a corrigé le décret initial en diminuant la sanction de 15 à 3 ans. Le diocèse de Paris a ajouté l'interdiction de confesser, j'ai trouvé que c'était vraiment très douloureux...
Père Emmanuel Dumont
Pour autant, il ne nie pas avoir fait des erreurs sur les six ans durant lesquels il a travaillé en Isère. "J'ai eu plusieurs milliers d'entretiens sur six ans, j'ai pu avoir des incompréhensions, fait des erreurs, n'être pas de la meilleure attention ou humeur tel ou tel jour. Je veux bien l'admettre, si vous voulez."
Comment les séances d'exorcisme se déroulaient-elles ?
De nombreuses zones d'ombre demeurent. Le père Emmanuel Dumont officie toujours comme simple prêtre, mais à Autun, en Saône-et-Loire, depuis 2022.
Reste à savoir comment se passaient ces séances d'exorcisme. À cette question, il répond franchement : "Ce n'est pas parce qu’on est exorciste qu’on pratique de l’exorcisme à chaque fois. On le fait pour 5% des cas. Ça veut dire un long temps d’écoute pour savoir si la personne est sous l’emprise d’une puissance des ténèbres. On va l’affermir dans sa foi, on va l’aider à relire sa vie et voir quels ont pu être les portes d’entrées pour cette emprise, couper les mauvais liens qui ont pu être tissés par telle ou telle blessure ou telle ou telle pratique occulte si besoin est".
Une pratique reconnue depuis toujours par l'Eglise catholique
De la présence dans les maisons aux phénomènes paranormaux, jusqu'à l'oppression physique et la possession à proprement parler, il y a différents degrés d'emprise du point de vue d'un exorciste. Le temps des séances est variable. "Bien souvent les prières se passent seuls car les personnes viennent d'ailleurs, explique le père Nicolas Goury, prêtre exorciste en Saône-et-Loire. Mais cela peut se passer aussi avec des personnes de l'entourage. C'est une prière de l'Eglise, donc une prière ouverte à tous."
Il y a des prières de nature déprécatives, où il est demandé à Dieu de libérer la personne des mauvais esprits, et de nature impératives, "où on s'adresse directement à l'entité en question pour lui dire : sort de ces hommes".
Selon le site de l'Église catholique, un prêtre exorciste doit respecter le rituel officiel de l'exorcisme. "Le rituel est très codifié, pour l'accompagnement, on cherche toujours à les orienter vers Dieu. On a des formations, ça dépend. L'Église essaye de formaliser ces formations. J'en ai suivi et j'en ai moi-même donné", détaille l'abbé Dumont. Sa sanction prendra donc fin le 26 avril 2025.
Sa pratique par un prêtre est totalement gratuite. Difficile de savoir le nombre d'exorcisme pratiqué chaque année en France. Seule certitude : chaque diocèse possède un prêtre exorciste nommé par l'évêque. Ils sont aujourd'hui moins d'une centaine en France.