Ceux que l’on ne regardait plus: à Montceau-les-Mines, qu'est devenue la colère des gilets jaunes ?

Le documentaire "Ceux que l'on ne regardait plus" donne la parole à trois anciens gilets jaunes de Montceau-Les-Mines : Nina, Pierre-Gaël et Michel. En pleine campagne pour les présidentielles, ils partagent leurs colères, leurs déceptions mais aussi leurs espoirs.

Le documentaire "Ceux que l’on ne regardait plus" nous ramène à un moment fort et unique de ces 10 dernières années : le mouvement des gilets jaunes.  

Le 17 novembre 2018, des hommes et des femmes revêtus de gilets jaunes fluo se retrouvent autour de ronds-points et expriment leur colère. Ils veulent être vus, entendus et se sentir enfin considérés. A Montceau-les-Mines, en Saône et Loire, ils sont également là. Cela a même été un haut lieu du mouvement, le rond-point des Maillys fait la Une de nombreux médias.

C’est dans cette ancienne ville minière, que Sofian Aissaoui, réalisateur du documentaire, les a retrouvés en 2022, en pleine campagne pour les élections présidentielles. Il est retourné dans le bistrot restaurant "Les Chavannes" où il a fait leur connaissance en novembre 2018. Un lieu chaleureux et haut en couleur, réunissant des clients fidèles. Beaucoup d’entre eux sont des gilets jaunes de la première heure.  Au comptoir, même si les opinions politiques sont différentes,  parfois aux antipodes, cela n’empêche pas d’en discuter, sous le regard sympathique et rieur de Michel, le patron du lieu.   

A travers trois personnages, Nina, Michel et Pierre-Gaël, Sofian Aissaoui nous parle d’une colère qui couve toujours, présente en chacun d’entre eux.

Comment va-t-elle se traduire dans les urnes en 2022 ?

Chacun, l'exprime à sa façon, selon son histoire et son tempérament, mais ils partagent les même raisons. 

 

♦ Les gilets jaunes, un mouvement qui ébranle le pays

 Le samedi 17 novembre 2018, des milliers de Français endossent un gilet jaune et occupent les ronds-points.  Ce mouvement, né sur les réseaux sociaux, hors de tout cadre syndical et politique, dénonce la hausse des prix du carburant liée au lancement de la taxe écologique.

Malgré l’annonce par le gouvernement, le 5 décembre, du retrait de la taxe et de mesures favorisant le pouvoir d’achat, le mouvement continue. Il dénonce un coût de la vie trop élevé, mais ces femmes et ces hommes ne s’arrêtent pas à des revendications sociales. Ils remettent aussi en cause un système politique dont ils se sentent exclus. Beaucoup estiment être délaissés, abandonnés par les pouvoirs publics, un sentiment accentué dans les zones rurales et périurbaines. Certains d’entre eux proposent la mise en place d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC) ou la création d’une assemblée citoyenne.

Les ronds-points deviennent alors des lieux de débats où ceux qui ne se sentent pas écoutés prennent la parole.

Pour la plupart, les gilets jaunes sont issus des classes populaires et moyennes, certains sont d’extrême droite, d’autres d’extrême gauche  et d’autres disent n’appartenir à aucun courant.

♦ Montceau-les-Mines, une ville marquée par la mine et son histoire sociale 

Montceau-les Mines est un ancien centre industriel et minier. Pendant très longtemps, le travail de la mine a rythmé la vie économique et sociale de la région. Autour de ces vies difficiles, des liens forts se tissent et les luttes pour l’amélioration des conditions de vie et de travail restent historiques.

Même si ce tissu économique a disparu, il a marqué les habitants du bassin minier, et les cheminées de la ville sont là pour la leur rappeler. A Montceau, une grande partie des gilets jaunes a connu la mine et ses luttes sociales. En 2018, la ville s’est imposée  comme l’un des foyers des gilets jaunes les plus structurés du pays avec de nombreuses idées sur le renouvellement de la démocratie.

Depuis, la crise sanitaire et ses confinements sont passés par là. Malgré plusieurs tentatives, le mouvement s’est essoufflé. Malgré tout, cela a été l’occasion pour beaucoup de ces manifestants de tisser des liens et trouver une nouvelle famille.

Nina, Michel et Pierre- Gaël, se sont sentis concernés par les gilets jaunes dès le début et n’ont rien lâché de leurs revendications. Mais qu’est devenue leur colère ?

Aujourd’hui, malgré la fin du mouvement, ils continuent à discuter ensemble, se téléphoner et se voir régulièrement. Le bar restaurant de Michel, " Les Chavannes"» est un lieu idéal pour cela.

♦ Nina trouve qu'on lui a tout pris, même leur honneur. 

Nina a gardé son gilet fluo et n’a pas quitté les ronds-points. Sa colère est toujours très vive.

On est des après-midi là-bas. On parle de tout ça, on change le monde autour d’un café, mais c’est le monde qui ne change pas. 

Nina

Elle a le sentiment que les gilets jaunes ne sont pas considérés. Pour elle, on les traite comme des bons à rien alors que ce sont des retraités ou des salariés qui ont autre chose à faire que d’aller sur les ronds-points.

Nina ne comprend pas pourquoi tous ces gens qui klaxonnent ne s’arrêtent pas pour les rejoindre et manifester avec eux.

Aujourd’hui, pour elle les espoirs d’un changement se sont évaporés. Pour cette femme dont le père était communiste et qui a longtemps voté à gauche les tabous sont tombés. Le vote pour Marine Le Pen aux présidentielles n’est plus exclu.

Pourquoi pas essayer Marine Le Pen, cela n’est plus le FN comme il était à l’époque.

Nina

Dans cette ville ouvrière, longtemps de gauche, Marine le Pen est arrivée en tête du premier tour, comme dans 20 000 autres communes en France.

Et si Emmanuel Macron repasse, Nina assure qu’elle restera sur son terrain avec ses oies, ses poulets et son chien, "comme Brigitte Bardot".

♦ Pierre-Gaël fait campagne pour La France Insoumise (LFI)

 A Montceau-les-Mines, Pierre-Gaël est une des chevilles ouvrières du mouvement. C’est lui qui prenait son téléphone pour appeler les médias et, avec son ton calme et posé, a porté la parole de ses camarades du bassin minier. Cette figure des luttes sociales de la région était déjà en première ligne lors de la lutte contre la fermeture de l’usine Allia à Digoin.

Après avoir envoyé plus de 600 CV, il n’a pas retrouvé de travail. Pour lui, ce sont ses engagements politiques et syndicaux qui en sont la cause. Aujourd’hui il veut créer une micro entreprise et se débrouiller autrement.

Pierre-Gaël croit encore que la gauche et la droite sont différentes. A l’occasion de la présidentielle, il s’est engagé aux côtés de Jean-Luc Mélenchon.

Beaucoup d’ouvriers se sont retournés vers Marine Le Pen car il y  a eu un vide politique.

Pierre-Gaël

Contrairement à Nina, il garde espoir et croit que le mouvement débouchera sur quelque chose.

A l’occasion de la campagne pour les élections présidentielles, Pierre-Gaël continue à aller au contact de ses concitoyens. Il distribue des tracts sur les marchés, leur fait part de ses convictions, même s’il reconnait que parfois c’est dur "de prendre des coups".

Suite au résultat du premier tour qualifiant Emmanuel Macron et Marine Le Pen, il a décidé de ne pas aller voter. C’est la première fois en trente ans. Désormais, Pierre-Gaël espère que la jeune génération reprendra le flambeau.

♦ Michel ne croit plus aux promesses des hommes politiques

Michel, le propriétaire du bar-restaurant "Les Chavannes", est une figure haute en couleur du bassin minier. Avec ses moustaches de gaulois "réfractaire", Michel va de l’un à l’autre pour chouchouter ses clients. Pour cet homme chaleureux et généreux, au regard rieur, ce qui compte c’est la convivialité. Il trouve toujours du temps pour discuter avec les uns et les autres. Et quand les idées politiques divergent trop, l’humour facilite les choses, comme lorsqu’il s’adresse à l’un d’entre eux en disant :

C’est drôle de s’appeler Noiraud quand on est au Front National !

Michel

Ce jurassien d’origine est un ancien chauffeur routier. Fatigué de rouler sur les routes d’Europe, il décide de se reconvertir. A 51 ans, Michel retourne sur les bancs de l’école pour passer son CAP de cuisinier. Depuis, tous les matins il est dans son bar à 5 heures 30 pour se préparer à accueillir ses premiers clients. Un travail prenant duquel il dégage 1200 euros de salaire par mois. Derrière son comptoir, Michel peut observer et prendre la température sociale et politique. Il se rend bien compte qu’en début de mois les gens viennent et qu’à la fin on les voit moins.

Il y a des gens qui regardent tout, au centime près. C’est surtout le cas des personnes âgées, ce n’est pas normal que les retraites baissent.

Michel

Les raisons de sa mobilisation en 2018 sont toujours vives en lui. Cet homme résolument de gauche, ne crois plus aux politiques dont il pense "qu’ils n’ont rien à faire d’eux". Mais cela ne l’empêchera pas d’aller voter.

 A 64 ans, Michel se sent de plus en plus fatigué. Certains samedis, il lui arrive de ne pas ouvrir son bar-restaurant pour se reposer en regardant les paysages du Morvan ou en s’adonnant à sa passion, la mécanique.

Cet été 2022, Le bar restaurant Les Chavannes a perdu son patron. Michel est décédé mais on n'oubliera pas ce qu’il nous dit dans ce documentaire : "Il n’y a pas que des jours heureux, moi j’en ai eu plus que de mauvais."

  

"Ceux que l’on ne regardait plus", un film réalisé par Sofian Aissaoui

Coproduction : Armoni Productions - VIVA Productions avec France Télévisions

Diffusion le jeudi 22 septembre vers 23H00

Rediffusion le lundi 26 septembre à 9H00

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