Témoignages. "Nous sortirons les derniers", personnes âgées ou fragiles, oscillent entre raison et colère

Publié le Mis à jour le Écrit par Sophie Courageot

Le déconfinement, prévu en France si tout va bien, le 11 mai 2020, ne concernera pas l’ensemble des Français. 18 millions d’entre eux sont plus vulnérables au Covid-19. Comment envisagent-ils cette perspective d’une prolongation du confinement ?

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« Pour leur protection, nous demanderons aux personnes les plus vulnérables, aux personnes âgées, en situation de handicap sévère, aux personnes atteintes de maladies chroniques, de rester même après le 11 mai confinées, tout au moins dans un premier temps. Je sais que c'est une contrainte forte. Je mesure ce que je vous demande et nous allons, d'ici le 11 mai, travailler à rendre ce temps plus supportable pour vous. Mais il faudra essayer de s'y tenir pour vous protéger, pour votre intérêt ».
Extrait - Emmanuel Macron, allocution du 13 avril 2020

 

J’exercerai ma liberté de risquer de mourir


Rester confinés. Parce qu’on a des cheveux blancs. Et que les années ont fait de vous un senior. Sur les réseaux sociaux, dès l’annonce de la nouvelle, certaines personnes âgées ont réagi :

« A la sortie du confinement je serai une « personne âgée » (70 ans), et comme je ne serai pas plus contagieux que les autres mais seulement plus fragile, et que ma fragilité ne regarde que moi, vous pourrez vous gratter. J’exercerai ma liberté de risquer de mourir » écrit sur Twitter le journaliste retraité Hubert Huertas, ex chroniqueur à Mediapart, et ancien chef du service politique de France-Culture.

 

 

Pour aller voter, il n’y avait pas de problème de contamination !


Demander aux seniors de rester chez eux. La prescription gouvernementale passe mal chez certains. « Eh oui, tous les vieux ne sont pas morts, alors autant enfermer les autres à vie, comme cela plus de problèmes mais pour aller voter il n’y avait pas de problème de contamination » s’étonne Yves un mois après les élections municipales.

Un autre internaute s’interroge sur l’impact sur la société et le bénévolat par exemple : « Beaucoup de personnes qui sont dans les associations d'entraides sont âgées. Et que faire avec les maires, sénateurs, élus ou autres professions comme certains petits commerçants qui sont âgés aussi ? » répond-il lors de l’appel à témoignage lancé sur la page Facebook de France 3 Franche-Comté.

 

J’ai envie de vivre tout simplement 


Elle soufflera ses 80 ans à la fin de l’année. Gabrielle habite un quartier proche des rives du Doubs à Besançon. « Rester confinées au-delà du 11 mai, nous les personnes âgées, on y sera bien obligé, mais qu’on ne nous dise pas qu’il ne faut plus sortir du tout ! » explique la septuagénaire qui n’a pas de soucis de santé. « Si on peut toujours sortir au moins, un peu » confie Gabrielle.

Depuis le 17 mars, sa fille et sa petite-fille lui livraient à tour de rôle des courses dans son appartement. « Là, au bout d’un mois, j'en ai assez. Je suis enfin ressortie faire quelques commissions au marché. Je fais vite, mais ça me change les idées. Et ça me donne l’impression d’être vivante. J’ai envie de vivre tout simplement » dit-elle. Pour cette grand-mère dynamique, la solitude du confinement n’a pas été trop compliquée à vivre. Livres, mots croisés, télé, coups de fils, coloriages, même ! « On ne va plus au cours de gym, notre voyage du 3e âge est annulé en septembre, mais ce n’est pas grave, si on pouvait juste venir au bout de ce virus ! » ajoute-t-elle.  « Et puis, j’espère que le 11 mai, tous les gens ont bien compris que la vie ne sera plus tout à fait comme avant, j’espère que les gens continueront à faire attention ».


Michel lui se questionne sur la suite. Rouvrir les vannes de l’économie, les écoles, et demander aux plus fragiles de rester confinés lui semble un peu paradoxal : « Cela va poser certains problèmes en particulier lorsque les personnes âgées iront faire leurs courses, si la procédure actuelle d’attestation de déplacement est supprimée, les seniors auront beaucoup plus de chances d'être contaminés qu'actuellement. Certains vont même garder leurs petits-enfants vecteurs possibles de la maladie ».

Dans son Jura, Liline, elle a du mal à accepter l’idée qu’on lui demande de rester confinée plus longtemps encore. « Je comprends mais s’il vous plaît, laissez-nous vivre nos dernières années tranquilles. En plus ce n'est pas nous qui sortons le plus. Réfléchissons, on a vécu et nous sommes bien capables de faire attention avec des masques, gants… » explique-t-elle.


A 87 ans, mes parents ne ressortiront pas tout de suite


La perspective de rester confinés plus longtemps, les parents de Dominique semblent eux s’y être préparés. « Mes parents de 87 ans ont une santé fragile, après le 11 mai, c’est clair, ils m’ont dit qu’ils ne sortiront pas tout de suite. Heureusement pour eux, il font encore du jardin, ils ont beaucoup d’aide des voisins ce qui me rassure. Quand mon père sort, les rares fois, il met un masque » confie Dominique dont le père habite à Thise près de Besançon, où l’Ehpad a connu un taux de mortalité très important, 26 morts sur 80 résidents.

 


Nous sortirons les derniers….. On se croirait dans une mauvaise série de science-fiction à petit budget



Corinne, Bisontine d’origine a bien l’intention de ne prendre aucun risque même après la levée du confinement. « Mon mari et moi, nous avons 62 ans, nous ne sommes pas des perdreaux de l’année donc, mais pas encore trop vieux. Mon mari a un problème cardiaque assez sévère qui nécessite un traitement médicamenteux assez lourd. Notre plus jeune fille est médecin. Dès le début, elle nous a ordonné de ne pas sortir du tout. Nous l’avons eu encore hier et elle nous a redit : "je vous garde au chaud encore, par pitié ne sortez pas ! ».

Corinne et son mari qui vivent dans une autre région française communiquent avec leurs petits enfants par téléphone, ou visio et ils s’occupent. « Ce qui nous manque le plus c’est outre retrouver la liberté de déplacement, c’est de pouvoir serrer dans nos bras nos enfants et petits enfants » nous écrit-elle. «  Nous sortirons les derniers… Nous prenons chaque jour l'un après l’autre ... On se croirait dans une mauvaise série de science-fiction à petit budget » explique Corinne.

 

 
L’âge n’est pas toujours synonyme de fragilité, dénonce la psychologue Marie de Hennezel


La psychologue Marie de Hennezel a dénoncé dès le 13 avril au soir après l’allocution d’Emmanuel Macron, cette mesure qu’elle juge arbitraire et injuste.

« J’ai plus de 70 ans je n'ai aucune co-morbidité, ne suis ni obèse, ni diabétique, en pleine forme, et comme beaucoup de seniors de mon âge, qui prennent soin d'eux de leur santé,  je ne supporterai pas que la barre des âges vulnérables soit fixée à 70 ans et un confinement imposé » écrivait-elle sur son compte Twitter.

« A chacun de prendre ses risques et responsabilité. L’âge n’est pas toujours synonyme de fragilité. Le prolongement du confinement de seniors en bonne santé risque de les précipiter dans la perte de leur autonomie. Que fera t-on ensuite ? » : la psychologue alerte sur le danger de l'isolement des seniors, décrivant une "vraie dépression", et des risques de "tentatives de suicide

« Ça sera très dur de ne pas voir nos enfants et petits enfants » nous explique Sophie en Haute-Saône. Françoise, elle aussi attend d’en savoir plus sur ce que lui réserve l’après 11 mai. « On verra les décisions, mais j'ai l'ennui de mon petit fils » dit-elle.
   


Un prolongement aussi pour les personnes dont la santé est fragile


Des femmes, des hommes d’un âge plus précoce pourraient bien rester confinés plus longtemps, comme le leur demande Emmanuel Macron. Ces personnes sont porteuses de maladies. Le Covid-19 s’il les atteint les rendra vulnérables.

Jennifer vit dans le pays de Montbéliard. Cette jeune femme de 29 ans est atteinte de la spondylarthrite ankylosante. Une maladie qui fait partie des affections rhumatismales. Elle peut à terme souder les os et les articulations. Elle affaiblit aussi le système immunitaire. « Je resterai confinée encore après le 11 mai, par moi-même étant donné qu'on ne nous dit rien. Je n'ai pas le choix de toute façon. Et ce sera mieux comme ça » dit-elle. « Je vis déjà avec cette peur constante d’attraper ce fichu virus et que ça finisse mal à cause de mon système immunitaire affaibli. Aller faire les courses m'angoisse, car les gens ne respectent pas les règles d'hygiène ou la distanciation sociale... Ce n'est pas facile en ce moment » confie la jeune femme qui est bien consciente d'avoir la chance d’habiter dans une maison où le confinement est plus facile à supporter.
 


 

Ce n'est pas tous les jours facile, mais ça ou mourir, le choix est vite fait


Dans le secteur de Besançon, Nathalie 54 ans, souffre d’une maladie chronique. Elle n’a pas été surprise à l’annonce du Président de la République. « Voilà 5 semaines que je n'ai pas mis un orteil dehors. 5 semaines que je n'ai pas vu mes enfants. Mon plus jeune a 16 ans et demi, il vit dans un AirbnB depuis le début du confinement, vu qu'il est apprenti dans une grande surface.  Ma grande est aide-soignante en Ephad. C'est vrai que ce n'est pas tous les jours facile, mais ça ou mourir, le choix est vite fait malgré les contraintes que ça impose » confie Nathalie.

Dans certaines familles, la prolongation du confinement est une question qui ne pose pas. Ophélie est maman de trois petits garçons. « Mon fils de 6 ans est polyhandicapé et épileptique. Nous souhaitons absolument le protéger de ce virus. Ses frères ne pourront pas retourner au collège et à la crèche, le risque qu’ils l’infectent en rentrant est bien trop élevé » confie la mère de famille. Tous vont prolonger le confinement. En famille. Pas le choix.

Seniors, personnes fragiles, ou handicapés, pour Nicole l’annonce d’Emmanuel Macron pose un questionnement qui doit aller au delà  : « Tout le monde devrait comprendre les points critiques de la contamination. Il y a une grande éducation a faire. Avec le port de masques et de lunettes obligatoires et leurs utilisations correctes, chacun devrait être en mesure de gèrer ses risques individuels en fonction de ses problèmes sanitaires. Beaucoup de respect des autres ...Rêvons, rêvons. Il faudra bien tendre vers cette situation. Les lois et les amendes ne pourront pas tout régler » conclut-elle.


 
Malades du Covid-19 : la réalité des chiffres
Selon le dernier point épidémiologique de Santé Publique France en date du 9 avril :
 
  • Les patients qui se trouvent en réanimation ont pour 57% d’entre eux 65 ans et plus.
  • Les patients qui se trouvent en réanimation ont pour 61% d’entre eux des co-morbidités.
(Ce terme co-morbidité veut dire que les patients en plus du covid-19 ont déjà une ou plusieurs maladies qui impacter sa prise en charge, et l’évolution possible).
 
  • Les patients qui décèdent sont à 89% des personnes âgées de plus de 65 ans.
  • Les patients qui décèdent ont à 90% de co-morbidités.

 
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