Soupçon de prises illégales d'intérêts, le maire de Grandvillars visé par une enquête préliminaire

Selon nos informations, le parquet de Besançon (Doubs) a ouvert une enquête préliminaire visant Christian Rayot, le maire de Grandvillars dans le Territoire de Belfort, pour des soupçons de "prises illégales d'intérêts". L'élu conteste fermement l'ensemble des accusations.

C’est une affaire dont le maire divers gauche de Grandvillars, Christian Rayot, se serait sans doute bien passé. Selon nos informations, confirmées par le procureur de la République de Besançon, Etienne Manteaux, le parquet a ouvert une enquête préliminaire visant l’élu de cette petite commune de près de 3000 habitants, située au sud-est de Belfort.

Cette procédure judiciaire s'ouvre quelques semaines après un signalement de l'association Anticor envoyé au parquet de Belfort le 15 janvier 2024. Ce dernier s'est dessaisi au profit de la juridiction bisontine, nous a fait savoir la procureure de la République de Belfort, Jessica Vonderscher.

Selon le signalement que nous nous sommes procurés, les soupçons de l’association qui milite "contre la corruption et pour la probité en politique", portent sur plusieurs griefs. D’abord, sur l’implication supposée de Christian Rayot, entre 2016 et 2020, dans l'attribution de subventions au club de football de Grandvillars présidé par Sébastien Rayot, son fils.

Ensuite, sur des dépenses de mécénat par la société d’économie mixte Sud Développement, également dirigée par Christian Rayot, au profit du même club de football et d’un festival local.

Pour chacun de ces éléments, l’association considère que le maire "pourrait s’être rendu coupable de la commission du délit de prise illégale d’intérêts", indique le signalement.

En principe, ce délit prévoit de sanctionner "la partialité" des personnes investies d'une mission de service public, dès lors que "leurs actions confondent intérêt public et intérêt privé", résume le site de l’association des maires de France. Le Code pénal prévoit pour ce délit une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement et de 500 000 euros d'amendes.

Contacté, Christian Rayot - qui est présumé innocent durant toute la procédure - s'estime victime d’une cabale initiée par l'un de ses administrés. "Depuis maintenant plusieurs années, je fais l’objet d’un harcèlement par un habitant de la commune de Grandvillars, qui multiplie les dénonciations auprès des autorités compétentes", raconte-t-il.

Selon lui, le parquet de Belfort se serait déjà intéressé à cette affaire : "Toutes ces actions ont été classées sans suite. Je ne doute pas que les suivantes connaîtront le même sort". Contacté, le parquet belfortain n'a pas répondu à notre demande pour savoir si une telle procédure avait bien eu lieu. 

De son côté, son fils, Sébastien Rayot, n'a pas souhaité faire de commentaires expliquant ne pas avoir "connaissance" ni du signalement, ni de la procédure judiciaire. 

Père et fils

Christian Rayot est un homme politique incontournable de Grandvillars et ses alentours. Maire depuis près de 40 ans de cette petite commune de 3 000 habitants dans le département du Territoire de Belfort, il est également conseiller départemental divers gauche et président de la Communauté de communes du Sud Territoire (CCST).

De son côté, Sébastien Rayot suit les traces de son père. Il est à la tête de l'étude d'huissier de justice, fondé avec son paternel en 2010 et situé à Belfort. Il a également pris les rênes du club de football de Grandvillars "il y a 15 ans après que mon père y soit resté pendant 30 ans", indique-t-il par téléphone.

Ce sont justement des subventions versées au club de Grandvillars par des structures publiques dirigées par Christian Rayot qui interrogent l’association Anticor et la Justice.

Des votes "systématiques", selon Anticor

En plus de son statut de maire de Grandvillars, l'élu serait également "président d'honneur du club", comme l'indique par téléphone Sebastien Rayot. Il aurait également été nommé en 2019, par son fils, dans une commission aux finances du club de football, comme l'ont raconté nos confrères de l’Est Républicain à l'époque. "Mais il n'est pas à la tête de la commission", précise Sébastien Rayot.

Christian Rayot serait ainsi chargé de participer à l'élaboration du budget du club qui dépend en partie de la politique mise en place par le maire de Grandvillars, Christian Rayot.

Deux mois après sa nomination, en décembre 2019, le conseil municipal adopte à l'unanimité une nouvelle subvention pour le club de 45 000 euros, selon le compte rendu de la séance. À en croire ce même compte rendu, Christian Rayot aurait participé à ce vote. 

Selon le signalement d'Anticor, l'édile “a systématiquement participé aux votes du conseil municipal aboutissant à l’octroi de subventions, de plus en plus élevées, en faveur d’une association dont il est membre [...] présidée par son fils”. 

Pour Anticor, cette implication du maire pourrait faire courir un risque pénal : "Monsieur Rayot pourrait ainsi s’être rendu coupable de la commission du délit de prise illégale d’intérêts”, écrivent les juristes d'Anticor, qui estiment que cette situation serait de "nature à compromettre son impartialité". 

Joint par téléphone, le maire assure "ne plus participer aux délibérations" concernant le club de football depuis "4 ou 5 ans" et ajoute : "Le parquet de Belfort a classé cette affaire en 2022. Rien de nouveau sous le soleil, la commune continue et continuera à verser des subventions au club de football de Grandvillars dans les formes exigées par la loi". 

 Solutions immobilières et mécénat

La municipalité de Grandvillars n'est pas la seule structure dirigée par Christian Rayot à avoir financé le club de football. Selon un rapport de la Chambre régionale des comptes, rendu en 2019, la société d'économie mixte (SEM) Sud Développement, a également apporté des fonds au club sportif.

Cette structure, financée à majorité par des fonds publics et dont le maire de Grandvillars est à la fois président du conseil d'administration et directeur général, a pour objectif d'"apporter aux entreprises des solutions immobilières", au sud du département du Territoire de Belfort.

La chambre relève que 98 % des 144 K€ versés par la société au titre du mécénat entre 2014 et 2017 ont bénéficié à la commune de Grandvillars dont le maire, Monsieur Rayot, est également le président de la SEM

Chambre régionale des comptes

Au-delà de l'immobilier, la SEM Sud Développement peut aussi avoir recours au mécénat. C'est par ce biais que le club de football de Grandvillars va obtenir, entre 2016 et 2019, une dotation de 81 000 euros, indique le rapport de la Chambre. C'est plus de la moitié de l'ensemble des financements de mécénats attribués sur cette période.

Autre association qui a pu bénéficier d'une bonne part des dotations : l'association Grandvillars fait son show, qui organise notamment le Grandv'hilare, un festival d'humour organisé chaque année dans la commune. 60 000 euros ont été versés à cette association, soit un peu plus de 40% de l'ensemble des dotations.

À l'époque, la SEM justifiait le versement de ces sommes "en évoquant le rayonnement de ces deux structures qui les distinguerait nettement des autres associations ou manifestations du Sud-Territoire", écrivent les magistrats.

Un argument que la Chambre a jugé "contestable", estimant que "d'autres associations du territoire (dans le domaine sportif à titre d’exemple) justifient d’un rayonnement significatif, ne serait-ce qu’au regard du critère du nombre de licenciés".

Les magistrats notent ainsi que "98 % des 144 000€ versés par la société au titre du mécénat entre 2014 et 2017 ont bénéficié à la commune de Grandvillars dont le maire, Monsieur Rayot, est également le président de la SEM". Ils estiment ainsi que cette situation "est constitutive d’un conflit d’intérêts" que Christian Rayot aurait "dû éviter".

 

Si le maire de Grandvillars ne conteste pas le conflit d’intérêts, il rappelle que "le magistrat instructeur n’a effectué aucun signalement" auprès du procureur de la République. "Je vous rappelle que conflit d’intérêts ne signifie pas prise d’intérêts. Si tel avait été le cas, la Chambre aurait eu l’obligation de le signaler au Procureur, ce qu’elle n’a pas fait. Aucune prise d’intérêt n’a été identifiée."

Enquête préliminaire

Pour Anticor, en revanche, "l’ouverture d’une enquête préliminaire permettrait de déterminer l’étendue de la participation de Monsieur Rayot au processus décisionnel ayant abouti à l’octroi de ces subventions par la SEM ".

L'association a donc été entendue par le procureur de la République de Besançon, Etienne Manteaux. Désormais, les enquêteurs disposent d'un délai maximal de deux ans pour rendre un rapport au procureur sur ce dossier. C'est au magistrat qu'il appartiendra ensuite de décider s'il y a lieu de classer l'affaire sans suite ou au contraire d'ouvrir une information judiciaire.

Infographie : Antoine Comte 

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