Ils se pensaient à l'abri, mais quelques gouttes de sang les ont trahis: quinze ans après le braquage d'une bijouterie de Belfort, la justice pense avoir retrouvé ses quatre auteurs à Uzice, en Serbie.
L'attaque de Belfort était signée "Pink Panthers". Cette appellation médiatique ne correspond pas à un groupe criminel organisé mais décrit un modus operandi utilisé par des Serbes et des Monténégrins depuis la fin des années 1990 dans les bijouteries du monde entier.
A cette "franchise" du braquage, Interpol en 2015 attribuait 380 attaques depuis 1999, pour plus de 334 millions d'euros de butin. Au matin du 19 septembre 2003, plusieurs hommes entrent, visages découverts, dans une bijouterie de Belfort. L'un sort une arme de poing, un vendeur est jeté au sol, les vitrines sont fracassées, les malfaiteurs balancent du gaz lacrymogène et s'enfuient avec 350.000 euros de bijoux et de montres. Le tout dure une minute.
Des receleurs serbes, installés en France, sont arrêtés. L'un a une montre du braquage au poignet... Les assaillants restent inconnus. Jusqu'en 2013 et des progrès conjugués de la police scientifique et de la coopération européenne. Deux braqueurs ont laissé leur sang sur une vitrine brisée, un placard et une boîte. Inconnus en France, les profils correspondent à deux Serbes condamnés en Autriche : "Zica" et "Boka", 41 ans. Les recoupements téléphoniques permettent d'identifier "Sasa", 37 ans, et "Luka", 48 ans.
Collaboration serbe
Tous sont d'Uzice, petite ville encaissée dans une vallée de Serbie méridionale, où une vieille centrale hydroélectrique et une tour de béton, qui fut un hôtel d'État, témoignent d'un passé industriel révolu. "La majorité de ces criminels sont originaires de Nis, Cacak et Uzice", dans l'Ouest et le Sud serbe, raconte à l'AFP le procureur d'Uzice, Ljubisa Dragasevic.
Il l'explique par "la situation matérielle difficile" de ces régions mais aussi "le culte du criminel dans la société, celui du gars dur". "Dans leur milieu, ces actes à l'étranger sont sources de prestige. Ils (...) se donnent des airs de défenseurs des pauvres Serbes victimes de l'Occident", poursuit le magistrat. Identifiés, les suspects restent hors de portée des tribunaux français: la Serbie n'extrade pas ses ressortissants. S'appuyant sur l'excellente coopération judiciaire franco-serbe développée après le meurtre en 2009 à Belgrade du supporteur toulousain Brice Taton, une juge française demande leur audition.
Ljubisa Dragasevic convoque les quatre hommes le 7 novembre. "Boka" vient d'être emprisonné pour un accident de la route mortel. Les autres se rendent volontairement devant le magistrat.
Soirées techno et voitures d'occasion
Tous nient. S'ils étaient à Belfort, c'était pour "s'amuser dans des soirées techno", dit l'un; pour "acheter des voitures d'occasion", avance un autre. "Zica" et "Sasa" dorment en prison: la justice serbe vient de leur infliger cinq ans de prison pour l'attaque d'une bijouterie à Hambourg en 2014. Ils avaient raflé pour près de 950.000 euros de montres. Certains des suspects sont aussi soupçonnés pour des attaques en Suisse, aux Pays-Bas. "Une fois revenus au pays", ce type de braqueurs "dépensent leur butin dans les bars, les restaurants, prennent de la cocaïne, payent des prostituées, (...) achètent des voitures de luxe, des vêtements coûteux", fréquentent "des sites touristiques huppés", énumère Ljubisa Dragasevic.
"Ce style de vie demande beaucoup d'argent, qu'ils dépensent vite. Ils reviennent alors à leurs activités criminelles", explique le magistrat. Selon un enquêteur serbe, chez eux, ce type de braqueurs sert parfois de passeurs de drogue vers l'Occident en collaboration avec le milieu albanais, se livre au prêt usuraire, finance des braqueurs plus jeunes, investit dans l'immobilier, des bars, des restaurants. Mais jamais ils ne braquent au pays, leur "refuge". Si la justice française veut un procès en Serbie pour l'attaque de Belfort, comme pour le braquage de Hambourg, la balle est dans son camp: il lui faut transmettre la procédure à la Serbie. Ils risqueraient 3 à 15 ans de prison. Mais "tout doit aller vite pour qu'on puisse engager des poursuites criminelles", dit la vice-procureure générale de Serbie, Gordana Janicijevic.
Le délai de prescription de 15 ans ne sera interrompu qu'au premier acte procédural serbe. Le couperet tombe le 19 septembre. Sinon, il faudra se contenter d'une condamnation en absence en France et d'un mandat d'arrêt international. "Zica", "Boka", "Sasa" et "Luka" ne pourront alors plus sortir de Serbie sans risquer l'arrestation et l'extradition.