Une plainte devant le Parquet national financier a été déposée par l'intersyndicale du site de Belfort, par l'intermédiaire de l'avocate Eva Joly. Cette dernière a détaillé les mécanismes mis en oeuvre par la direction de General Electric et dénonce une fraude fiscale de grande ampleur.
Ce mardi 31 mai, une conférence de presse était donnée depuis Belfort, concernant le lancement d'une action pénale auprès du parquet national financier, contre la direction de General Electric. Autour des syndicalistes engagés depuis le début pour la sauvegarde des conditions de travail et des emplois sur le site belfortain se trouvaient Eva Joly, ancienne magistrate et députée européenne de 2009 à 2019 désormais avocate, les associations OXFAM et ATTAC, ainsi que le lanceur d'alerte Maxime Renahy spécialisé dans l'évasion fiscale (lire notre article).
Eva Joly a détaillé face à la presse les mécanismes mis en oeuvre par la direction de la multinationale General Electric afin de créer, selon les accusations portées par l'intersyndicale, "un déficit artificiel utilisé pour modérer les salaires, pour baisser les investissements et justifier les plans sociaux".
"Préparer la fermeture du site belfortain"
Le groupe d'experts en charge d'analyser les comptes et les agissements financiers de GE pour se pourvoir en justice devant le Parquet national financier accuse la société américaine d'avoir mis en place une minoration artificielle de 555 millions d'euros (de leur chiffre d'affaires) en agissant sur trois contrats différents. La période analysée va de 2016 à 2019.
Selon l'intersyndicale de GE Belfort, la direction aurait augmenté volontairement son déficit en réalisant des opérations douteuses, notamment en dépensant plus que nécessaire sur différents contrats, afin de "préparer la fermeture du site belfortain".
Elle a ensuite détaillé les trois contrats mis en cause par l'intersyndicale.
- La redevance de marque : "Il existe des contrats qui disent que GE Energie Product France doit payer 1% de son chiffre d'affaires au titre de la redevance. Nos experts ont vérifié tout simplement la somme payée et donc le pourcentage. Le trop payé par l'entreprise au titre de la marque est de 32,7 millions d'euros sur la période 2016-2019".
- La marge sur les pièces de rechange : "La marge était avant 2016 de 40% sur les pièces détachées. Elle est tombée à 20%. Notre expert a évalué la perte de substance sur les pièces de rechange à 213 millions."
- La redevance de technologie : "C'est là le plus choquant. [La direction de GE] a fait payer à Belfort des redevances à la filiale constituée à cet effet en Suisse pour ses propres brevets, dont elle est propriétaire, ou pour des brevets tombés dans le domaine public. Cela représente 309 millions. C'est n'importe quoi."
"Sur ces trois contrats, on voit que la direction a fait le choix d'appauvrir Belfort au bénéfice de sa filiale à Delaware (USA) pour 32,7 millions ; au bénéfice pour 213 millions de l'une des filiales suisses pour les pièces de rechange et pour la filiale suisse pour 309 millions d'euros pour les redevances de technologie" a poursuivi Eva Joly.
En réalité Belfort serait à l'équilibre, si on n'avait pas truqué les comptes.
Eva Joly, avocate de l'intersyndicale de GE
"Un moment exceptionnel"
La plainte a été déposée devant le parquet national financier (PNF). "Nous avons des policiers enquêteurs et des magistrats capables de porter ce dossier. Mais eux aussi sont menacés. Il y a une volonté de certains politiques de supprimer le PNF et malheureusement, c'était l'intention de notre ministre de la Justice" a tenu à ajouter Eva Joly, tout en saluant le travail des syndicalistes belfortains "qui utilisent leur énergie et leur temps libre pour la lutte, pour que la France garde son industrie".
"Nous démontrons que les règles ne sont pas respectées. L'OCDE impose que l'impôt doit être payé où la valeur est créée et non pas où l'impôt est le plus faible" a d'ailleurs expliqué Eva Joly.
"C'est un moment exceptionnel car les plaintes pour "blanchiment de fraude fiscale", "abus de confiance", "faux et usage de faux" et "recel aggravé en bande organisée" contre les multinationales sont rares" selon l'avocate, rappelant le cas de McDonald’s. La filiale française du géant américain du fast-food devra, selon Capital, verser au fisc français 1,1 milliard d’euros pour clore une enquête pour fraude fiscale. Un montant historique.
À noter que l'administration fiscale française a démenti lundi auprès de l'AFP avoir validé pour General Electric (GE) un schéma d'optimisation fiscale qui lui aurait permis de transférer plusieurs centaines de millions d'euros de bénéfices à l'étranger. GE n'a pas commenté la plainte et s'est contenté de réaffirmer qu'elle respectait les règles fiscales des pays dans lesquels elle opérait, selon nos confrères de France Info.