Episode 5 et derniers kilomètres pour Pascal, engagé dans sa 20ème Transjurassienne. C'était en 2012.
Sur les traces de.... Woody Allen
Encore 12 km pour finir en dénivelé négatif, mais il reste les deux bosses du coté du Cernois, courtes mais raides. Invariablement, comme chaque année, elles me font penser à l'arête des Bosses dans la montée classique du Mont Blanc.C'est le même combat, facile, mais rendu ardu par la durée de la course, par la fatigue qui commence largement à se faire sentir. Les derniers kilomètres qui imposent les ultimes stigmates, qu'on appelle ici les crampes.
L'heure est venue de la descente sur Chaux Neuve, le fameux goulet, certainement ravagé par plus de 1000 passages. Trois ou quatre skieurs, bloqués en haut, attendent pour s'élancer. J'arrive à pleine vitesse en hurlant, évitant de justesse la canne d'une concurrente tétanisée. A mes yeux, ce goulet, il n'y a pas d'autres solutions que de le prendre en trace directe, en passant dans le bourrelet de poudreuse qui s'accumule sur l'extérieur. Dieu merci, personne en travers...
Jean-Luc arrive quelques secondes derrière moi au ravitaillement du tremplin de Chaux Neuve. Encore deux thés et on emprunte la piste ou l'Italien Pittin a fait bien des misères à Lamy-Chappuis quelques semaines auparavant.
Chaux-Neuve, Petite Chaux… Les kilomètres défilent, la conclusion approche. Les jambes ne sont pas lourdes, mais la lassitude s'est installée. Dans le Sentier des Pensées du Risoux, on peut lire : « L'éternité, c'est long, surtout sur la fin » (Woody Allen). La Transju, c'est pareil, surtout sur la fin.
Dans les quelques bosses qui restent, Jean-Luc me double facilement à la glisse. Avec ses vieux skis rayés et le fartage rapide que je lui ai fait hier, il me dépasse facilement, mais dépasse également tous les autres concurrents : « Si tes skis font des petits, tu m'en garderas une paire ».
La disparité est forte entre les rythmes des concurrents. Les uns, qui ont bien géré leur course, finissent comme des avions, d'autres au ralenti, luttent désespérément pour avancer. Et toujours une foule de spectateurs présente, alors qu'il est déjà 14 heures et que le froid est toujours aussi vif. Merci à eux.
Le ravitaillement de Petite Chaux brûlé, le parcours bifurque à droite, traverse un petit pont et repart dans la forêt au dessus de Mouthe. La surprise est totale.
L'arrivée sur Mouthe
Jamais la Transju n'a emprunté ce parcours. J'ai l'impression d'être ce bachelier content de lui, à qui on dit « vous allez repasser l'épreuve des maths, on a perdu les copies ». Heureusement, la pente est douce. Mais la neige est pleine de gravillons. Les skis s'en souviendront.C'est le dernier kilomètre. Devant moi, un skieur fait un vol plané, tout seul, dans une bordée de jurons. Fatigue, quand tu nous tiens...
Par contre, Jean-Luc m'étonne par la pêche qu'il a encore. Et dire qu'après la course, il doit encore reprendre la caméra, réaliser des interviews pour le journal télévisé du soir. Total respect...
Passage de la ligne, la vingtième pour moi. Ambiance chaleureuse, sourire de Marie Aude et Andréa, interview de Matthias, difficultés pour enlever les skis, médaille autour du cou. On est venu pour ça, après tout. Jean-Luc et moi, nous nous offrons une accolade appuyée. Quelle étrange sensation que celle d'avoir fait la course sans la faire, en jouant l'acteur, le cameraman, l'intervieweur, l'interviewé. Manifestement, une complicité forte s'est installée entre nous, doublée d'une profonde estime. On s'est surpris tous les deux, entendus comme larrons en foire et pris du plaisir à skier ensemble toute la journée. Il n'y a que le sport pour lier de tels liens. On a parcouru cette Transju, comme on le fait à l'Envolée Nordique, en binômes, solidaires. On n'a jamais été éloigné de plus de 10 mètres l'un de l'autre.
Jean-Luc, on repart quand tu veux pour une autre aventure : la Vasaloppet, l'Himalaya, la Marmotte ou Paris-Brest-Paris, qui sait....
Le rideau tombe sur l'épreuve.
Le bilan est impressionnant : plusieurs centaines d'abandons, des gelures aux nez, aux yeux, aux doigts et autres. Pour ce qui nous concerne, 6 heures et 9 minutes, pas si mal que ça, avec tous ces arrêts, une place vers les 1250 et une quantité de grands souvenirs...