Les sécheresses, la canicule et les épisodes de gel. Ces dernières années, la vigne est mise à rude épreuve par les effets du changement climatique. Les professionnels et les scientifiques tentent de s'adapter aux évolutions du climat. Quitte à implanter des cépages venus d'autres régions ?
C’est un constat aujourd’hui unanimement partagé. Dans les prochaines décennies, la culture de la vigne changera en bourgogne. En janvier 2020, une étude internationale se montrait assez pessimiste sur l'avenir des vignobles. Depuis 20 ans, les sécheresses se sont multipliées, de même que les canicules, avec un risque d’augmentation du taux d’alcoolémie des vins. Dans le même temps, les gelées de printemps font plus de dégâts sur des vignes dont les bourgeons sortent plus tôt. Début avril 2021, un épisode de gel intense à occasionné d'importants dégats. A chaque fois, ce sont des millésimes entiers qui sont menacés.
En Bourgogne, viticulteurs, scientifiques, vinificateurs, toute la profession expérimente pour tenter de s’adapter. Méthodes de taille, d'entretien, solutions techniques. Tout est envisagé. Y compris, à terme un changement de cépages. Depuis une ordonnance du Duc Philippe le Hardi en 1395, c’est le pinot noir qui règne sur les vins rouges de Bourgogne. Avec le changement climatique, c'est l'identité même des vins de Bourgogne qui est mise en question.
La taille
Sur son domaine de Villers-la-Faye (Côte d'Or), dans les Hautes Côtes, Danièle Bonnardot participe à une expérimentation moins radicale. Elle pratique différents types de taille pour retarder la croissance de la vigne et contrer les effets du gel. "Il y a des mois de mars qui sont assez chauds qui font que la vigne a un débourrement (la poussée des bourgeons) assez précoce. Les coups de froid en avril, qui sont tout à fait normaux, provoquent, du coup, des gelées printanières assez conséquentes. Des tests sont faits sur les périodes de taille pour voir s’il y a un impact sur le débourrement."
Depuis 5 ans, sur le domaine de Danièle Bonnardot, l’effeuillage qui permet de protéger les pieds de vigne de l’humidité est aussi moins important. Objectif : maintenir les raisins plus à l’ombre en été.
Une fois planté, un pied de vigne produit pendant plusieurs décennies. Pour la profession, le temps presse alerte Danièle Bonnardot. "Ce n’est pas sur des petites parcelles de test que l’on arrivera à aller très vite. Et là, il faut aller très vite. Il faut tester sur plusieurs vignobles, sur plusieurs cépages. Il faut multiplier les expériences pour avoir des résultats plus rapides."
Des porte-greffes italiens, espagnols ou hongrois ?
Sur ses parcelles, Danièle Bonnardot teste également de nouveaux porte-greffes. Depuis le XIXe siècle et la diffusion du phylloxéra, les différents cépages (essentiellement Pinot noir, Chardonnay et Aligoté en Bourgogne) sont greffés sur des plants résistants à cet insecte. "Sans parler de changer pour l’instant de cépages, on teste des porte-greffes qui viennent du sud de la France et qui seraient plus résistants à la sécheresse."
31 porte-greffes différents sont autorisés en France dont certains sont très peu utilisés. Pour compléter cette liste et donc les solutions éventuelles, l’INRAE (Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement) recherche parmi des portes greffe étrangers (Hongrie, Italie, Espagne) lesquels pourraient permettre, en Bourgogne, de retarder le débourrement ou de mieux tolérer les fortes chaleurs ou la sécheresse.
"Le taux de renouvellement du vignoble est long et lent. Parfois plus lent que changement climatique."
Faut-il aller plus loin et remplacer jusqu'au cépage pinot noir qui fait l’identité du vignoble bourguignon ? La question était taboue il y a quelques années. Elle est désormais prise très au sérieux. "On est en train de travailler sur une liste de candidats que les viticulteurs pourraient essayer très prochainement" explique Frédéric Barnier, vice-président de la commission technique du bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB). "On a déjà une short-list d’une vingtaine de candidats que l’on va essayer de réduire. On parle de pinot mais pas seulement. On parle aussi d’autres cépages qui pourraient venir de cépages limitrophes. Ça pourrait aussi être des cépages qui viennent de l’étranger. On doit aujourd’hui se poser ses questions. C’est maintenant que l’on doit se poser ces questions."
Première piste envisagée, le retour de cépages anciens. Beaucoup sont encore présents en Bourgogne, notamment dans l’Yonne. Parmi eux, le Roublot pour les blancs ou le César pour les rouges. Tous deux sont d’ailleurs des descendants du pinot noir. Le Franc de l’Yonne a lui pratiquement disparu. "Ce sont des variétés qui ont un potentiel de concentration des sucres plus limité, davantage d’acidité, et qu’il pourrait être intéressant de tester" explique Jean-Michel Boursiquot. Cet ampélographe (spécialiste des cépages) était invité à l’occasion d’une conférence en ligne du BIVB. A Savigny-les-Beaune, en Côte d'Or, le Groupement d'Etude et de suivi des terroirs (GEST) a développé depuis plusieurs années un Conservatoire d'anciens cépages qui a répertorié 52 cépages ou croisements de cépages implantés en Bourgogne.
Savagnin, Syrah ou Nebbiolo en Bourgogne…
Mais la solution pourrait aussi se trouver hors de Bourgogne. Coté blanc, le Savagnin du Jura pourrait présenter un équilibre et un potentiel d’acidité intéressant. Pour les rouges, le Syrah, plus souvent cultivé dans la vallée du Rhône, est également étudié. C’est le cas aussi du Nebbiolo italien, ou du Xynomavro de Grèce.
Pas question pour autant d’arracher les pieds de Pinot Noir pour l’instant ! Une limite de 5% des surfaces est aujourd’hui autorisée pour tester des variétés différentes.
Egalement sollicité par le BIVB, Laurent Audeguin estime que la solution peut également se trouver du côté du pinot noir. Expert du pôle "matériel végétal" l’Institut français de la vigne et du vin de Montpellier, il souligne qu’après 7 siècles d’existence, le pinot noir compte de nombreux clones naturels. "C’est un cépage qui offre une grande diversité. Il y a des clones que l’on qualifie de bourguignon, que l’on n’utilisera pas pour faire des vins effervescents en Champagne, détaille Laurent Audeguin. A l’inverse, il y a des clones que l’on utilise en Champagne que l’on n’utilisera pas pour faire des vins tranquilles de grande qualité en Bourgogne. Donc cette diversité, elle est encore exploitable." Il existe 47 clones de pinot noir et 40 clones de Chardonnay. Il serait ainsi possible de remplacer le pinot noir de Bourgogne tout en maintenant le pinot noir.
Quel climat en 2050 ?
Mais quels critères retenir ? La résistance à la sécheresse, au gel ou une floraison plus tardive ? Difficile à dire pour l’instant. Si toutes les modélisations convergent vers une hausse des températures dans les décennies à venir - +2°C d’ici 2050 – les variations climatiques au cours d’une saison sont plus difficiles à prévoir.
Au centre de climatologie de l’Université de Bourgogne à Dijon, les chercheurs s’interrogent. "Les conclusions sont un peu mi-figue mi-raisin", reconnait Benjamin Bois, maitre de conférence. "Certains modèles nous disent qu’il risque d’y avoir une augmentation du nombre de jours de gel. Certaines approches nous disent qu’il risque d’y avoir une baisse. L’incertitude règne."
Comme les tailles, les porte-greffes ou les cépages, différents modèles météorologiques sont à toujours l’étude en Bourgogne. Comme les vins de Bourgogne, la maturité des solutions se fait attendre. Comme Jean-Michel Boursiquot le rappelle : "le taux de renouvellement du vignoble est long et lent. Parfois plus lent que changement climatique."