Dans le vignoble du Jura, le réchauffement climatique est dans toutes les têtes. Des vendanges plus précoces, un changement des arômes et des cépages, des maladies plus présentes... Autant de problèmes profonds auxquels deux viticulteurs jurassiens se préparent.
"En 50 ans de carrière de vigneron, mon père a vendangé trois fois en août. J'ai connu la même chose mais en 10 ans seulement", raconte Jean-Etienne Pignier, co-propriétaire avec son frère et sa sœur du domaine Pignier à Montaigu dans le Jura. Le phénomène tend à s'accélérer. Et d'après les chercheurs de l'Observatoire de la biodiversité, les vendanges précoces sont directement liées au réchauffement climatique. Plus il y a d'ensoleillement et de chaleur, plus le raisin mûrit rapidement.
D'ici 2100, la hausse de températures en Franche-Comté pourrait aller de 1,5 à 5 degrés.
En Franche-Comté comme partout ailleurs, le réchauffement climatique est déjà là : en 130 ans, "la moyenne des températures a augmenté de plus d'1,5 degrés dans la région", explique Bruno Vermot-Desroches, délégué départemental de Météo France à Besançon et également auteur de Histoire du climat en Franche-Comté.
Et la situation ne devrait pas aller en s'arrangeant. D'après différents scénarios envisagés, d'ici 2100, la hausse de températures en Franche-Comté pourrait aller de 1,5 à 5 degrés.
Inévitablement, le paysage et l'économie de la région devraient changer. La viticulture, soumise aux aléas du climat, est en première ligne.
En août dernier, un article de Franceinfo envisageait un scénario où le paysage viticole français serait profondément bouleversé : des vins du nord de l'Italie pourraient s'adapter dans la région. Quand est-il vraiment ? Comment les viticulteurs envisagent les changements sur la vigne liés au changement climatique ?
Changer les modes de culture pour s'adapter au réchauffement climatique
Au domaine Pignier, on fait du vin biodynamique depuis 20 ans. Pas de produit chimique, travail du sol important, récolte à la main et pas d'intervention sur le vin une fois qu'il est à la cave, ce sont les quatre piliers de la biodynamie. Dans le département, environ 20% des exploitations travaillent de cette manière. Ce qui fait du Jura, le deuxième domaine viticole biodynamique de France en terme de proportion.
Pour Jean-Etienne Pignier, co-propriétaire du domaine de 14 hectares, il faut envisager l'avenir dès maintenant. Il tente de nouveaux modes de cultures : "en ce moment, on teste la technique du port retombant. C'est-à-dire que la vigne est attachée différemment pour que la feuille retombe sur les raisins pour la protéger naturellement", détaille t-il.
Le viticulteur tente aussi des cépages différents :
Pour le vigneron de Montaigu, "les viticulteurs conventionnels qui utilisent produits chimiques et tracteurs pour faire les vendanges vont être plus touchés que nous par le réchauffement climatique. Ils vaporisent pour réagir aux maladies alors la terre est chargée de produits phytosanitaires. La vigne ne sait plus se défendre seule et aura dû mal à s'adapter aux changements à venir".
Des vins du Jura profondément modifiés ?
Pour Damien Petit, propriétaire du domaine conventionnel Désiré-Petit à Pupillin, le réchauffement climatique est déjà une préoccupation. La hausse des températures pourrait toucher aux spécificités des vins jurassiens. Cépages et arômes pourraient être éprouvés par la hausse des températures :
Au-delà des changements de goût, Damien Petit s'inquiète pour la subsistance même de son domaine de 24 hectares. Certaines maladies nouvelles et particulièrement redoutables ont fait leur apparition dans le Jura : en 2014, la flavescence dorée a fait un carnage dans le département.
Auparavant, elle était limitée dans le sud de la France, là où les températures sont plus chaudes. Depuis la flavescence dorée a été bien contenue mais certains vignerons s'inquiètent des maladies encore inconnues qui pourraient s'inviter dans la Jura avec la hausse des températures.
"En 1900, il y avait 80 jours de gel dans la région. Aujourd'hui, il n'y en a plus que 50"
La hausse globale des températures risque d'entraîner d'autres problèmes pour les viticulteurs : "un responsable de Météo France nous a expliqué qu'on avait perdu 30 jours de gelée depuis 1900. Le problème pour nous, c'est que le gel tue les bactéries et donc les maladies. Si on a moins de gel, on devra trouver d'autres solutions, s'organiser avec les assurances sûrement", explique Damien Petit. Jean-Etienne Pignier, philosophe, estime qu'il "faudra être moins exigeant et s'attendre à des rendements plus faibles".