Arrêt des néonicotinoïdes : les betteraviers de l'Yonne dénoncent "un coup de poignard dans le dos"

C'est une annonce faite par le miinistre de l'Agriculture lundi 23 janvier : il n'y aura pas de nouvelle dérogation à l'usage de néonicotinoïdes pour l'enrobage des semences de betteraves en France. La filière, bien implantée dans l'Yonne, dénonce une décision brutale, qui met les betteraviers "au pied du mur".

Les néonicotinoïdes (NNI) sont utilisés pour éviter les pucerons vecteurs de la jaunisse dans les cultures de betteraves à sucre. Depuis deux ans, la France bénéficiait d'une dérogation pour poursuivre l'utilisation de cette famille d'insecticides. Les néonicotinoïdes sont des insecticides qui s'attaquent au système nerveux des insectes, ils sont mis en cause dans le déclin massif des colonies d'abeilles.

"C'est un véritable coup de poignard dans le dos"

La décision d'arrêter l'usage des néonicotinoïdes a été accueillie brutalement par la filière betteravière (production du sucre). Didier Renoux, vice-président Champagne-Bourgogne et représentant de l'Yonne du CGB (Confédération Générale des Betteraviers, le syndicat des betteraviers français) décrit comment la décision de la Cour de Justice Européenne a été accueillie : "ça a été une décision brutale et inattendue, c'est un véritable coup de poignard dans le dos de la part de Bruxelles. Le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau a confirmé à la délégation de la filière betteravière française (betteraviers, semenciers, sucriers) qu'ils allaient appliquer à 100% la décision Européenne."

Même réaction pour le président de la CGB Champagne-Bourgogne, Cyril Cogniard : "nous sommes complètement abasourdis par cette décision, qui met toute une filière en péril".

Un plan de recherche pour développer de nouvelles semences

La filière, dès 2020 et les ravages de la jaunisse (70 % de pertes dans le département de l'Yonne, 30% au niveau national), avait réagi pour d'une part, demander une dérogation pour poursuivre l'utilisation des néonicotinoïdes (en enrobage des semences) mais avait obtenu d'autre part un plan de recherche national (PNRI plan de recherche national et d'innovation) avec l'Etat : 20 millions d'euros de financement au total avec l'INRAE (institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) sur une durée de 3 ans, le plan débutant en janvier 2021.

Les recherches sont orientées pour trouver de nouvelles semences, plus résistantes aux pucerons, sans produits chimiques.
Les planteurs de betterave demandaient juste "un peu de temps" pour permettre à la recherche de porter ses fruits.

Des pratiques différentes dans l'Union Européenne

Hormis le coup d'arrêt décidé par la Cour de Justice de l'Union Européenne, une "concurrence déloyale s'opère au sein même de l'Union Européenne" selon Cyril Cogniard. "Nous sommes abasourdis également par la façon dont la France est traitée [...]  Je suis très en colère d'entendre aujourd'hui que l'Allemagne (2ème producteur européen de sucre) va pouvoir continuer à utiliser une molécule néonicotinoïde en aspersion follière (pulvérisation sur les plants ndlr) et que le Royaume-Uni vient aujourd'hui-même d'obtenir une dérogation pour avoir des semences NNI en enrobage en betterave sucrière."

Alors peut-on utiliser la même molécule utilisée en Allemagne ?

Cyril Cogniard rappelle la surperposition des réglementations en France : "Les Allemands utilisent une des molécules qui n'est pas visée par l'interdiction initiale. En France, nous avons un échelon supplémentaire légal, qui est la loi de biodiversité française, qui interdit au niveau français les molécules NNI ou celles qui ont un mode d'action identique, une réglementation que l'Allemagne n'a pas."

Quels sont les conséquences sur la filière ?

L'inquiétude est bien réelle pour la filière, qui se demande "s'il va rester encore des planteurs. Le scénario catastrophe, c'est qu'il n'y aura plus de planteurs, ils auront tous abandonné. Dès 2023, on risque des fermetures d'usine, avec les emplois directs et indirects. On nous parle de réindustrialisation de la France, là ça risque de s'écrouler. Des surfaces en moins, ça fera des sucreries en moins et qui risquent de fermer." 

Didier Renoux imagine ce qu'il pourrait arriver dans un futur proche : "On va importer du sucre venant d'autres pays, fabriqué avec des normes qui ne sont pas les nôtres. C'est économiquement aberrant !"

L'échéance des semis approche (mars) et selon Didier Renoux, dans l'Yonne, "Déjà des planteurs ne veulent pas semer, ou ne veulent semer qu'à 50% ! Avec la sécheresse, on était déjà à la peine. Les seules possibilités qui leur reste, c'est de semer des cultures de printemps, de l'orge de printemps, du maïs, du tournesol, des petits pois."

Une réduction des surfaces semées en betterave porterait un coup dur à la filière, selon le vice-président de l'Yonne. L'Yonne comporte 150 producteurs environ pour près de 2300 hectares.

"Point final" pour les associations pour la biodiversité 

"Néonicotinoïdes: point final !" a claironné l'association Agir pour l'environnement, qui avait par deux fois porté ce combat contre les néonicotinoïdes devant le Conseil d'Etat, réclamant en vain leur interdiction totale.

La Ligue de protection des oiseaux (LPO) a salué lundi soir une "grande victoire pour la biodiversité" avec cette décision qui "témoigne que la protection de la biodiversité, le respect du droit européen et la garantie du revenu des agriculteurs peuvent être conciliés".

Une indemnisation "extrêmement conséquente" demandée par la filière

Le président de la CGB, Cyril Cogniard, souhaite "à ce stade, obtenir une indemnisation conséquente. Une indemnisation sans franchise, sans plafonnement, car en particulier dans la région Bourgogne, nous allons assister à la fermeture des outils. Les agriculteurs qui ont fait 25 ou 30 tonnes en 2020 ne voudront pas mettre leur exploitation en danger pour cultiver de la betterave. Nous attendons du Ministre sous 10 jours, l'annonce d'un soutien total à la filière, d'un dispositif indemnitaire dont l'enveloppe est sécurisée."

Le Président du syndicat des betteraviers rappelle l'aspect essentiel de la filière betteravière pour l'économie : "on a besoin de sucre, de bio éthanol, de gel hydro alcoolique. On a besoin de préserver la souveraineté alimentaire, énergétique et sanitaire française. Je ne voudrais pas qu'on importe du sucre d'autres pays, produit dans les mêmes conditions qu'on refuse chez nous. On a l'impression que le Covid n'y a rien changé, on ne fait rien pour pouvoir protéger les fleurons industriels qu'on a et on nous demande de réindustrialiser le pays. Les bras m'en tombent !"

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