Comme dans la plupart des départements français ruraux, l'Yonne subit la désertification vétérinaire. Le nombre de praticiens s'amenuise toujours plus dans les campagnes icaunaises, un constat qui inquiète les acteurs locaux du monde agricole et les oblige à s'adapter.
Vingt. C'est le nombre de vétérinaires qui manquent à l'appel dans le département de l'Yonne. Le constat n'est pas nouveau, mais s'accentue d'année en année : la désertification ne s'arrête pas qu'aux médecins généralistes mais touche aussi les professionnels des soins à destination des animaux ruraux (bovins, équidés...).
Dans un territoire rural comme l'Yonne, qui compte près de 3 000 agriculteurs (même si tous ne sont pas éleveurs), le problème est d'autant plus important. "Quand j'ai lancé mon exploitation il y a 15 ans, il y avait trois vétérinaires ruraux qui intervenaient exclusivement sur la commune", se souvient Loïc Guyard, éleveur à Saint-Sauveur-en-Puisaye. "Aujourd'hui, cela a bien changé. Les professionnels qui se déplacent ne sont jamais les mêmes. Ils tournent beaucoup. Et puis ils mettent plus de temps à arriver".
En période de vêlage, je vous avoue que c'est beaucoup de stress. On compte les minutes en espérant que le veau ou la vache n'y passent pas
Loïc Guyard,éleveur de bovins à Saint-Sauveur-en-Puisaye
L'agriculteur veille au quotidien sur un cheptel d'une soixantaine de vaches et d'une quinzaine de génisses. L'aide d'un vétérinaire lui est ainsi précieuse pour veiller à la bonne santé de ses bêtes. "J'ai de la chance, le vétérinaire est toujours venu quand je l'ai appelé, contrairement à chez certains collègues dans le Nord de l'Yonne", continue Loïc Guyard. "Mais il peut venir trop tard. En période de vêlage, je vous avoue que c'est beaucoup de stress. On compte les minutes en espérant que le veau ou la vache n'y passent pas".
2022, une année noire pour les vétérinaires icaunais
Claire Legru-Sarrazin est vétérinaire à Saint-Sauveur-en-Puisaye, dans l'Yonne, depuis plus d'une dizaine d'années. Avec trois autres collègues, elle se partage la charge de 184 éleveurs bovins (ce qui représente environ 11 000 bêtes) et 250 exploitations de chèvres et de moutons. "Tous les jours, nous couvrons pas moins de 100 km, du nord au sud du département", précise-t-elle. "On est souvent appelé par des agriculteurs hors de cette zone, donc on doit décliner et laisser certains éleveurs sans vétérinaires."
Si le constat n'est pas tout rose, la professionnelle tient à souligner qu'il s'est pourtant amélioré. "En 2022, on a vraiment vécu une année terrible, avec une vraie pénurie", se souvient-elle. "Le problème, c'était le recrutement. On devait remplacer plusieurs collègues et on a mis un an pour revenir à des effectifs stables. C'était très dur de maintenir une activité viable avec 6 vétérinaires manquants."
Très dur, et très coûteux en énergie et en temps : "les appels des agriculteurs pleuvaient jour et nuit. Le stress était immense. On ne peut pas s'arrêter pour s'occuper de notre enfant malade, on ne peut pas s'arrêter si on est blessé, encore moins si on est fatigué", liste la vétérinaire.
Conséquence : une charge mentale très lourde...et des envies d'ailleurs. "Lorsque ces conditions de travail deviennent une habitude, cela pousse vers la sortie certains professionnels. Aujourd'hui, environ une structure vétérinaire sur deux se pose la question de continuer son activité d'ici cinq ans", regrette Claire Legru-Sarrazin.
Aujourd'hui, on a la chance de travailler avec beaucoup de stagiaires, notamment des internes, ce qui nous aide beaucoup. Et puis comme ça, on a déjà un pied dans les écoles, ce qui facilite le futur recrutement.
Claire Legru-Sarrazin,vétérinaire à Saint-Sauveur-en-Puisaye
Pour redresser la barre et ne pas mener la filière agricole droit dans le mur, il a donc fallu s'adapter. Un travail de fond a été mené entre les différents acteurs locaux pour un début d'embellie. "Aujourd'hui, on a la chance de travailler avec beaucoup de stagiaires, notamment des internes, ce qui nous aide beaucoup. Et puis comme ça, on a déjà un pied dans les écoles, ce qui facilite le futur recrutement".
Quelles solutions ?
Car c'est bien là tout l'enjeu : garder ces jeunes praticiens dans l'Yonne à la fin de leurs études. Pour cela, à Saint-Sauveur-en-Puisaye, des négociations entre les vétérinaires, la municipalité et la communauté de communes ont été menées au cours des derniers mois. Celles-ci ont permis la mise à disposition de logements communaux pour que ces stagiaires s'installent. "Avec ces nouvelles mesures, ils voient que c'est possible de bien bosser en Puisaye", sourit Claire Legru-Sarrazin.
Autre levier d'amélioration, la formation des agriculteurs. "J'ai moi-même suivi une formation de sage-femme", explique Loïc Guyard. "On a plusieurs modules pour savoir quels produits utiliser pendant les vêlages, ce qui ce passe dans le métabolisme de l'animal à ce moment-là, comment décrire les symptômes au vétérinaire par téléphone."
L'objectif : faciliter la tâche du professionnel et ne pas le faire se déplacer pour rien. Mais la transmission des savoirs a ses limites, par exemple pour les vaccins ou les opérations lourdes type césarienne. "Les vétérinaires restent essentiels dans nos campagnes, conclut Arnaud Delestre, président de la Chambre départementale d’agriculture de l'Yonne. On ne peut pas les remplacer, point. Faute de soins, les bêtes ne peuvent plus s'exporter et le modèle économique s'effondre. C'est simple, une réduction du nombre de vétérinaires se traduit forcément par une augmentation des exploitations non reprises".
Avec Baziz Djaouti