Des années d'enquête, de nombreuses fausses pistes, une cavale de plusieurs mois... L'affaire de la disparition de Géraldine Giraud et de Katia Lherbier aura marqué les années 2000. À l'occasion des 20 ans de ce fait divers, retour sur sept années hors normes.
C'est un fait divers qui a marqué l'Yonne, et bien au-delà. Le 1er novembre 2004, Géraldine Giraud, fille du comédien Roland Giraud, et son amie Katia Lherbier disparaissent alors qu'elles séjournent à La Postolle, une commune de l'Yonne. Un homme est suspecté : Jean-Pierre Treiber. Mais 20 ans plus tard, l'affaire "Giraud-Lherbier" n'est toujours pas officiellement résolue. Et elle ne le sera probablement jamais.
Nous revenons sur les dates clés qui ont marqué cette affaire spectaculaire.
1er novembre 2004 : la disparition
Le 1er novembre 2004, Roland Giraud, comédien émérite ayant joué dans Les Bronzés font du ski, pousse les portes de la police judiciaire de Paris. Il veut signaler la disparition de sa fille, Géraldine. L'homme est inquiet : "ils ont l'habitude d'avoir des contacts téléphoniques chaque dimanche. Mais, cette semaine-là, elle n'a pas téléphoné. Depuis, il ne parvient pas à la joindre," explique l'ancien procureur de la République de Sens, Michel Meurant, au micro de RTL.
Dans le même temps, la famille de Katia Lherbier signale sa disparition au commissariat de police de Sens. "Elle a pris des engagements auprès de sa famille. Elle ne les avait pas tenus, et les Lherbier n'ont plus de nouvelles d'elle," ajoute Michel Meurant. A priori, ces deux faits divers ne sont pas liés.
Mais les enquêteurs vont rapidement découvrir que Géraldine et Katia ont passé ces dernières semaines ensemble, à La Postolle (Yonne), dans la résidence secondaire des Giraud. À la mi-novembre, le parquet de la République de Sens ouvre une information judiciaire pour "enlèvement et séquestration."
23 novembre 2004 : un homme est interpellé
La police judiciaire d'Auxerre commence à enquêter. Rapidement, des collègues de Seine-et-Marne leur fournissent une information cruciale : les cartes bancaires de Géraldine et Katia ont été utilisées dans un des supermarchés du département. Ils visionnent les caméras de surveillance, et remarquent une silhouette d'homme. Quelques jours plus tard, rebelote à une station-service.
Les enquêteurs identifient l'homme comme étant Jean-Pierre Treiber, un ancien garde forestier. Il est alors interpellé, et les cartes bancaires des deux jeunes femmes sont retrouvées dans son portefeuille.
L'homme est placé en garde à vue à Melun. Les enquêteurs en apprennent davantage sur sa personnalité. Il est divorcé, père d'une fille de 15 ans. Il habite à Villeneuve-sur-Yonne, une commune située à une trentaine de kilomètres du domicile des Giraud. Et surtout, lorsqu'on lui parle de Géraldine et Katia, il confirme qu'il les connaît.
Quelques minutes plus tard, il donne une explication aux enquêteurs : ils auraient sympathisé à la terrasse d'un café de Sens. Mais quelque chose ne colle pas : les policiers savent que Géraldine et Katia ne se sont rencontrées qu'à l'automne 2004. On le reprend, et il donne une deuxième version, puis une troisième... Toutes semblent incohérentes.
L'ancien garde forestier est alors mis en examen pour "enlèvement et séquestration, vols et escroquerie." Il est incarcéré et devient le suspect n°1.
Début décembre 2004 : les corps sont retrouvés
Lors de son audition, Jean-Pierre Treiber détaille également son emploi du temps au moment du crime. Il explique notamment aux enquêteurs qu'il se trouvait à Villeneuve-sur-Yonne et qu'il était en train de réaliser des travaux, dans son jardin, à l'aide d'une pelleteuse. Le 8 décembre, les enquêteurs procèdent alors à des fouilles approfondies sur son terrain.
Ils découvrent des objets ayant appartenu aux victimes, comme des téléphones portables calcinés, des boutons de vêtement et le trousseau de clés de la maison des Giraud. Le lendemain, de nouvelles fouilles sont organisées. Et en fin de soirée, ils atteignent un puits situé devant la maison. Un policier l'ouvre et sent une odeur pestilentielle. Il décide de descendre et découvre les corps des deux victimes.
Le 21 décembre, Jean-Pierre Treiber est mis en examen pour assassinat. De son côté, le principal suspect nie toute implication dans la mort de ces femmes.
Janvier 2005 : la cause du décès révélée
Quelques jours plus tard, le procureur de la République de Sens annonce que l'inhalation d'un produit destiné à tuer des nuisibles, appelé chloropicrine, pourrait être la cause du décès de Géraldine et de Katia : des traces de ce produit ont été retrouvées sur les vêtements des deux jeunes femmes.
Les enquêteurs ont aussi la confirmation que la chloropicrine laisse les poumons dans un état délétère. Lors de la découverte des corps, le visage des deux jeunes femmes était masqué de manière à ne pouvoir respirer que par le nez, ce qui aurait pu faciliter l'empoisonnement des jeunes femmes. Néanmoins, Jean-Pierre Treiber nie avoir employé ce gaz.
Novembre 2005 : nouvelle mise en examen
À ce moment-là, le dossier commence à s'enliser, à cause de nouvelles expertises. Elles ont été réalisées sur un ruban adhésif, identique à celui utilisé pour bâillonner l'une des deux victimes. Elles révèlent une trace d'ADN inconnue.
Les enquêteurs s'intéressent donc à l'entourage des deux victimes. Ils estiment que celui de Katia Lherbier ne pose pas "de problème majeur." Cependant, une personne attire leur attention : Marie-Christine Van Kempen. Elle est la professeure de chant et la colocataire de Katia Lherbier, mais aussi la tante de Géraldine Giraud. C'est d'ailleurs elle qui avait présenté les deux jeunes femmes.
Lors d'une perquisition, ils découvrent une lettre compromettante : Marie-Christine Van Kempen confie à Katia Lherbier son dépit amoureux. Des traces de chloropicrine sont également retrouvées dans sa cave.
Un an après le début de l'affaire, une découverte va faire avancer le dossier. Les enquêteurs de la police judiciaire de Dijon retrouvent la tenancière d'un bar de Fontainebleau (Seine-et-Marne). Elle prétend avoir vu Treiber et Van Kempen ensemble dans son établissement. C'est un témoignage clé, car jusqu'alors, les deux intéressés affirmaient qu'ils ne se connaissent pas.
Le procureur de la République de Sens décide alors de mettre en examen Marie-Christine Van Kempen pour complicité d'assassinat. Elle nie toutefois toute implication dans ce crime, estimant que la tenancière de la brasserie se trompe.
17 février 2006 : une confrontation qui ne donne rien
Les enquêteurs organisent alors une confrontation entre la gérante de la brasserie, Treiber, et Van Kempen au palais de justice de Sens. Elle ne mène à rien : chacun campe sur ses positions. Dix jours plus tard, Marie-Christine Van Kempen est donc remise en liberté.
Dans les six mois qui suivent, d'autres relations de l'ancien garde forestier sont placées en garde à vue, mais sont rapidement relâchées.
En novembre 2006, soit un peu plus de deux ans après les faits, une reconstitution du meurtre est organisée. Marie-Christine Van Kempen et Jean-Pierre Treiber y sont présents. D’après l’avocate de la famille Giraud, la reconstitution prouve seulement qu'une seule personne pourrait jeter deux corps au fond d’un puisard.
13 octobre 2008 : non-lieu prononcé pour Van Kempen
Presque quatre ans après le début de l'affaire, le juge Mickaël Ghir, chargé de l'enquête sur le double meurtre de Géraldine Giraud et Katia Lherbier, prononce un non-lieu pour Marie-Christine Van Kempen. Selon un article du Parisien du 13 octobre 2008, il estime "qu'il n'existe pas de preuves suffisantes pour étayer une éventuelle complicité d'assassinat de la tante de Géraldine Giraud dans ce dossier."
Le magistrat ordonne en revanche le renvoi aux assises de Jean-Pierre Treiber, qui, en octobre 2008, reste le principal suspect dans cette affaire.
8 septembre 2009 : une évasion rocambolesque
Presque un an plus tard, un événement rocambolesque vient bouleverser le bon déroulement du procès. Jean-Pierre Treiber travaille alors dans un atelier d'emballage de cartons situé au rez-de-chaussée de la maison d'arrêt d'Auxerre. Le 8 septembre 2009, vers 10h30, il profite d'un moment d'inattention pour se glisser dans l'un des cartons, qui est ensuite chargé dans un camion. Il parvient ainsi à s'évader sans éveiller le moindre soupçon.
Sept heures plus tard, les gardes remarquent son absence et l'alarme est donnée. "Les gens sont appelés à droite, à gauche, en l'air, par terre. Ils sont usés, et voilà où on en arrive aujourd'hui," explique un délégué syndical de l'époque. Les premières recherches dans les bois ne donnent rien, et un travail de fond commence.
Durant sa cavale, l'ancien garde-chasse ne reste pas silencieux. Bien au contraire, il multiplie les courriers. Le 15 septembre, il envoie une lettre au chroniqueur gastronomique de Marianne, dans laquelle il clame son innocence : "J'avais confiance en la justice, mais je me suis trompé. On s'est acharné sur moi, sur mon entourage..."
Il échange régulièrement avec ses proches, ce qui finira par causer sa perte. Le 20 novembre 2009, le Raid l'interpelle dans un studio situé dans le centre-ville de Melun. Il appartient à l'ami d'une vieille connaissance de Treiber, Michel Huys. L'ancien garde forestier est transféré à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, en attente de son procès prévu pour le 19 avril 2010.
20 février 2010 : un suicide
Mais le procès n'aura jamais lieu. Le 20 février 2010, Jean-Pierre Treiber se pend dans sa cellule. Selon un article du Point, il aurait laissé une lettre expliquant sa lassitude d'être considéré comme un criminel et de ne plus pouvoir voir les personnes qu'il aimait. D'après des informations de France Info, il avait plusieurs fois exprimé ses intentions suicidaires.
Son suicide met fin à l'action pénale de la justice à son égard. Vingt ans plus tard, l'assassinat de Géraldine Giraud et Katia Lherbier reste donc non élucidé.