La chef décoratrice Anne Seibel aime fabriquer des décors, une passion qui remonte à son enfance dans l'Yonne. Aujourd'hui, elle travaille avec les plus grands réalisateurs. Le documentaire "Une femme au coeur de l'illusion" nous emmène à sa rencontre.
Devant la caméra, une porte s’ouvre, puis une autre, comme les rideaux d’une scène de théâtre. Mais qu’y a-t-il donc derrière ces portes ?
Le film débute sur un plateau de cinéma où se tourne un film. Sous nos yeux, des professionnels appartenant à différents corps de métiers s’activent. Certains peignent, d’autres poncent… Une véritable ruche où tout le monde est occupé, quand soudain, d'un pas tranquille et léger, arrive une femme qui les salue et les embrasse de la manière suivante :
Je suis contente, il y a tous les gens que j’aime ici.
Cette femme chaleureuse, c’est Anne Seibel, chef décoratrice de cinéma, qui a besoin de bonnes relations humaines pour pouvoir bien travailler.
Je suis très mal sur un tournage quand l’humain se passe mal, quand les gens se parlent mal, que le réalisateur est méchant ou le producteur menteur. Cela arrive parfois, mais je ne comprends pas.
Précise et minutieuse, elle préfère échanger avec son équipe sur les couleurs, les tissus, la perspective, les patines, jusqu’à ce qu'ils arrivent "au meilleur possible", ensemble.Le documentaire de Tibo Pinsard, Une femme au cœur de l’illusion, nous invite à un voyage dans l’envers des décors de cinéma. Il dresse le portrait d’une de ses magiciennes, la chef décoratrice Anne Seibel.
Si son nom n’est pas connu du grand public, son travail l'est. Elle est à l’origine de décors de films de renommée internationale.
Cette touche, on la trouve dans tous les films dans lesquels elle intervient. Sans elle, Minuit à Paris de Woody Allen, Munich de Steven Spielberg, Marie-Antoinette de Sofia Copola, et d’autres encore, ne seraient pas ce qu’ils sont.Le travail du chef décorateur consiste à mettre en volume tout un univers écrit dans un scénario. Il essaie de traduire ce que le réalisateur a envie de voir, tout en apportant sa touche. Anne Seibel
De son travail, mené en collaboration avec le réalisateur et le directeur photo, va dépendre toute l’esthétique et l’atmosphère d’un film.
♦ Un métier auquel Anne Seibel est venue par hasard
Ce métier est entré dans sa vie par hasard. Au départ Anne Seibel se destinait à être architecte.
Après trois ans d’école d’architecture, une connaissance l’a emmenée sur le tournage du film Tous vedettes de Michel Lang dont le décorateur était Bernard Hevin, un habitué des films de Jacques Demy.
Sous ses yeux émerveillés, elles voit l’équipe de Bernard Hevin faire ce qu’elle adorait depuis qu'elle est enfant.
Avec ses cousins, elle mettait au point des spectacles, assemblait des bouts de ficelles, découpait des cartons, faisait des dessins pour réaliser les décors. En un mot, déjà à cette époque elle aimait créer l’illusion.
Après avoir passé son diplôme, elle s’est fait une place dans le métier, au gré des rencontres. Sa maîtrise de l’anglais, rare à l’époque, l’a amenée à intervenir à chaque fois qu’un film anglais-saxon se tournait à Paris. C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée en 1985 sur le tournage d'un James Bond Dangereusement Vôtre.Je me suis dit : ils font exactement ce que je fais et en plus ils sont payés pour le faire.
C’est dans le film anglais, Tempo, d’Eric Styles, en 2002, qu’elle devient, pour la première fois, chef décoratrice. Sa carrière va se poursuivre avec de grosses productions étrangères qui vont forger son savoir-faire, mais elle n’arrêtera jamais de contribuer à des productions plus petites.
♦ Une carrière où cohabitent grosses productions et courts-métrages
• En 2004, le décorateur K.K. Barrett fait appel à elle pour gérer pour lui, la partie française du film Marie-Antoinette de Sofia Copola.Elle constitue alors une équipe et devient le véritable chef d’orchestre de la déco.
Avec une apparente simplicité et beaucoup de générosité Anne Seibel est une véritable chef d’équipe qui s’appuie sur les talents de chacun de ses collaborateurs.C’est sur ce film que j’ai compris comment cela fonctionne. Je me suis entourée des gens dont j’avais besoin pour ce film d’époque. Eux aussi ont leurs secrets, ce sont de véritables alchimistes, des artistes.
• En 2009, elle fait une rencontre décisive, celle de Rik Carter qu’elle appelle son "mentor". Ce chef décorateur multi oscarisé a fait appel à elle pour le film Munich de Steven Spielberg. Au cœur de Budapest en Hongrie, cette magicienne du cinéma a su recréer une rue parisienne. Un décor de carton-pâte qui donne au spectateur l’illusion d’être à Paris.
Quand je l’ai rencontrée, j’ai tout de suite su qu’elle saurait recréer n’importe où Paris, Rome et plein d’autres villes, car elle a l’œil pour ça. Rick Carter
• C’est également en 2009 que sort Road movie de Dev Benegal, un film indien qui a beaucoup compté pour elle.
Ensuite, je les ai laissé faire et cela a très bien marché.
• En 2011, Woody Allen la choisit pour travailler avec lui sur le film Midnight in Paris. Il lui donne carte blanche. Grâce à l’ingéniosité de cette chef décoratrice, avec l’aide de son équipe, elle arrive, entre autres, à reconstituer dans les locaux de l’actuelle Cigale un lieu disparu aujourd’hui, le cabaret du Moulin Rouge.
Paroles prémonitoires ! En 2012, elle est nominées aux Oscars aux côtés de son mentor Rick Carter.Quand j’ai été prise pour Midnight in Paris, Rick Carter m’a dit que si je donnais aux américains le Paris dont ils ont l’image, cela m’emmènerait très loin.
• En 2019, elle a travaillé sur le film de Ralph Fiennes, The White Crow, consacré à Rudolf Noureev. A cette occasion, Anne Seibel a dû faire appel à ses connaissances en architecture. Pour ce long métrage, tourné en Serbie, il lui a fallu reconstituer l’aéroport du Bourget, une salle de répétition de l’académie de ballet Vaganova à Saint-Pétersbourg et une autre de l’opéra Garnier à Paris. Là aussi, un pari réussi !
♦ La transmission une nécessité
Quand Anne Seibel a commencé, le cinéma était surtout une affaire d’hommes et les femmes étaient rares. Elle fait partie des pionnières, qui ont ouvert la voie des métiers du cinéma aux femmes.
Aujourd’hui, les choses ont changé, elle transmet son savoir aux plus jeunes, dont des jeunes femmes, comme Rick Carter l’a fait avec elle.Depuis 2012, elle est directrice du département décoration de cette prestigieuse école de cinéma à Paris. Pour elle, il est fondamental de former et donner leur chance aux plus jeunes. Pour cela, elle n’hésite pas à les accompagner dans leurs expériences pour les initier à son métier en leur transmettant l’art de l’illusion au cinéma.J’ai envie de faire la même chose que m’a enseignée Rick carter, c'est-à-dire transmettre. Entre chaque film, j’enseigne à la Femis. Anne Seibel
Il y a une chose importante quand on construit les décors et qu’on construit des univers, c’est la patine. Pour rendre crédible un lieu, on est obligé d’inventer une alchimie pour que cela ait l’air réel. Anne Seibel
C’est en travaillant avec elle sur un de ses court métrages, Gorilla, que Tibo Pinsard a eu envie de réaliser un documentaire sur elle.
Elle n’hésitait pas à mettre la main à la pâte, bouger les pots des plantes, installer la mousse pour au bout du compte transformer la forêt de Chenôve, en Côte-d'Or, en une véritable jungle hollywoodienne. Tibo Pinsard
C' est ainsi que ce cinéphile, réalisateur de films documentaires et de fictions, a voulu montrer le processus de création qui contribue à l’illusion cinématographique.
♦ Saint-Père-sous-Vézelay, une maison où elle vient se ressourcer
Cette magicienne du cinéma passe sans cesse d’un décor à l’autre, aux quatre coins du monde. Mais dès qu’elle le peut, Anne Seibel revient se poser en Bourgogne.
C’est dans sa maison de Saint-Père-sous-Vézelay, dans l’Yonne, où elle a grandi avec ses parents et ses sœurs, qu’elle vient se ressourcer et trouver son inspiration.
Mais son métier est toujours présent dans la vie d’Anne Seibel, même dans sa maison familiale.La création ne me quitte jamais et jardiner est une pensée créatrice. Jardiner me permet d’anticiper des décors que je dois faire, c’est essentiel à mon équilibre. Anne Seibel
Dans un massif de pivoines, qu’elle a récupéré à la fin du tournage du film Marie-Antoinette, elle pose des fleurs artificielles alors que ce n’est plus la saison. Histoire de donner l’illusion de l’été !
Ce massif romantique, aux couleurs pastel du film, même sa tante s’y trompe.
Comme dans le jardin, à l’intérieur de la maison, des objets utilisés dans des décors de films ont trouvé leur place. Là aussi, des œuvres d’art factices qui donnent l’impression du vrai.
Dans le grenier, les archives sont classées de façon méthodique et recouvertes de draps blancs pour les protéger de la poussière et du temps.
• On y retrouve des objets de famille. Ceux que son père a ramené des Etats-Unis avant sa naissance ou les exemplaires de la revue Paris Match de son grand-père. Des morceaux de sa vie privée qui vont inspirer la création de décors.
• Dans d’autres boites, des archives professionnelles lui rappellent les films sur lesquels elle a travaillés : des "mood boards" (planches de tendances) de films, des photos, des dessins …
Un véritable trésor !
Car le but du chef décorateur n'est pas de faire admirer le décor qu’il a mis au point, mais de permettre aux spectateurs de rentrer dans le film. Un travail de l'ombre, pour des décors éphémères qui mettent les films en lumière !Créer l’illusion, je trouve cela très amusant. Car si tu fais bien et que personne ne s’en aperçoit, tu te dis oui je les ai eu ! Anne Seibel
"Une femme au coeur de l'illusion"
Un film de Tibo Pinsard, monté par Laurence Crotet-Beudet
Coproduction Camera Lucida et France Télévisions
A voir le lundi 2 novembre 2020 vers 23h sur France 3 Bourgogne-Franche-Comté
Rediffusé le vendredi 6 novembre 2020 à 9h15
A revoir sur bfc.france3.fr