Et si l’algue brune, verte ou rouge devenait le nouvel or vert du XXI siècle ? Et si dans cette course à l’innovation pour limiter l’impact des énergies fossiles, la Bretagne, le Finistère plus particulièrement, était le nouvel eldorado de cette ressource d'avenir ?
Elle est récoltée depuis plusieurs générations et a longtemps servi d’engrais pour fertiliser les terres agricoles. Mais depuis quelques années, des biologistes, des industriels, des transformateurs et des cuisiniers bretons s’intéressent à l’algue sous toutes ses formes ! Dans le Finistère, a Portsall, à Lanildut et à Lesconil, 4 jeunes ont fait le pari d’investir au pays des algues…
Julien Racault et ses « légumes de mer »
Originaire de Portsall, il ignorait qu’il allait faire de ses plages favorites, celles de sa région natale, son lieu de travail. Ces longues plages de sable blanc deviennent à marée basse son jardin potager car c’est là qu’il ramasse avec d’extrêmes précautions, les algues de rives.Des algues déshydratées, brutes ou cuisinées et assaisonnées… Il y en a pour tous les goûts !
Sur les plages bretonnes, dans les fonds sous-marins on dénombre pas moins de 600 espèces différentes d’algues (et près de 25 000 dans le monde) mais celles que ramasse Julien, sont les algues alimentaires : la dulse, la laitue de mer, le Kombu royal et le wakamé.Tout est bon dans le goémon breton
Dans ce qui fut la poissonnerie famililale, à proximité immédiate des plages de Portsall, Landunvez et Saint Pabu, il a crée sa petite entreprise, Algomanne. C’est là, avec une partie de sa famille, qu’il sèche et prépare ses algues...
Privilégier la qualité à la quantité
Julien pratique une récolte sélective et cherche à tous prix à protéger la ressource. Il n’arrache pas mais coupe les algues à l'aide de petits ciseaux, laisse les racines sur le rocher afin qu'elles puissent repousser. Pour ce goémonier, aussi cuisinier et chef d’entreprise, travailler l’algue c’est "offrir aux consommateurs l’opportunité de varier son alimentation avec des saveurs océanes" mais aussi, avec des ressources nutritives riches en fibre, vitamines, protéines.
Sur les marchés, derrière son stand, il a convaincu les consommateurs de l’intérêt de cet aliment. Il a aujourd’hui du mal à répondre à la demande croissante.
Avec Julien Tanguy, le moissonneur de la mer
On la retrouvera dans la composition de nos crèmes desserts, de nos dentifrices et autres produits de consommation. Les applications sont multiples !
La famille de Tanguy, comme une trentaine d'autres goemoniers, perpétuent la grande tradition de la récolte du goemon breton. Leurs bateaux, dont le port d'attache est à Lanildult, prennent la mer de mai à novembre chaque année juste avant l’arrivée des premières tempêtes d’hiver. Dans les eaux tempérées froides de la mer d'Iroise, sur le plateau rocheux de l 'archipel de Molène, les pêcheurs de laminaires ramassent à l'aide de scoubidous, de grands bras munis d'un crochet, plusieurs dizaines de tonnes d’algues chaque année. Cette récolte réglementée est soumise à quotas. Une façon de préserver cette manne sous marine, réservoir d'une biodiversité exceptionnelle.
Lorsque leur engin plonge en mer, c’est pour remonter par paquets entiers ces grandes lianes marines. À entendre certains, l’arrachage de l’algue abîme les fonds. Julien Tanguy lui, assure que les fonds ne sont pas impactés par cette pêche industrielle.L’algue fait travailler des goémoniers depuis plusieurs générations
5 jours sur 7, ils embarquent, seuls, parfois à deux, sur leurs petits navires pour se rendre sur les sites ouverts à la récolte de laminaires : tous situés autour de l’île de Molène en plein cœur de la mer d’Iroise, sur le plateau rocheux. L’algue qu’ils décrochent du fond de l’océan avec leur scoubidou (un grand bras articulé muni d’une grosse pince), c’est la Laminaria Digitata longue de parfois plus de 2 ou 3 mètres !
Elle pousse naturellement en plein coeur de la mer d’Iroise, le second plus grand champ d’algues d’Europe :
Cette manne bretonne, pourrait bientôt trouver d’autres applications. L’algue est en passe de devenir l’or vert des prochaines décennies. Une alternative écologique à la chimie mais aussi pour l’élevage, l’agriculture : aujourd’hui une entreprise bretonne produit un aliment à base d’algue, un substitut au soja destiné au bétail.
Elle est aussi devenue un engrais pour l’agriculture et vient remplacer les produits chimiques dans nos champs. Côté santé, l’université de Nantes cherche à développer des applications plus thérapeutiques : anti dépresseur, anti-inflammatoire.
À Lesconil dans la nurserie de Pierre et Timothée...
150 hectares d’océan en concession, à proximité de Lesconil où ils font grandir puis récoltent deux variétés d’algues alimentaires : le kombu royal et la wakame... les deux algues les plus consommées dans le monde.
L’expérience est unique en France. Situé à 3 miles des côtes, le champ apparaît à la surface de l’océan : à perte de vue, de petites bouées blanches alignées les unes derrière les autres sur plusieurs kilomètres.
Les tempêtes, les navires, les prédateurs marins… Ici pas de clôture, pas d’engrais, pas de tracteur pour la récolte ! Un simple petit bateau pour assurer une surveillance quotidienne du champ et une grande barge pour la récolte. Tout se fait à la force des bras : de l'ensemencement du champ en septembre jusqu'au ramassage des grandes laminaires, en hiver puis au printemps.Il faut pendant 6 mois se battre contre les éléments pour préserver sa récolte
Si tout se passe bien, ils pourront récolter 100 tonnes d’algues qu’ils revendront partout en Europe…dans des restaurants étoilés mais aussi à des géants de l’agro-alimentaire. C'est un vrai défi que Pierre et Timothée tentent de relever : "faire pousser de l'algue en pleine mer, tient de la prouesse technique. En plein hiver, les coups de vent, les tempêtes peuvent tout simplement arracher l'ensemble de la structure et détruire la récolte".
Leur ambition à long terme ? Développer et mettre sur le marché de nouveaux produits qui pourraient séduire un consommateur en quête de qualité et d’aliments sains. L’algue sera selon eux, l’aliment de demain, la protéine végétale qui pourrait remplacer la viande.Culturellement le consommateur européen est peu habitué à manger de l’algue. Il n’a pas facilement accès à ce produit
Pour satisfaire la demande toujours plus croissante en algues, l’évaluation de l’état de la ressource est capitale. Les champs d’algues du Finistère situés au cœur du parc marin d’Iroise (réserve de biosphère classée par l’UNESCO) sont largement exploités depuis des décennies. Aujourd’hui, une vingtaine de navires goémoniers y travaillent.
Le business de l'algue dans le monde est aujourd’hui estimé à 5 milliards de dollars.
Pour aller plus loin :
- Les algues de Bretagne
- Le parc naturel marin d'Iroise
- Cartographie du champ d'algues molénais
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