Brexit : à J-45 d'un possible "no deal", les pêcheurs bretons gardent la tête froide

À un mois et demi d'un accord, ou non, suite au Brexit, les discussions entre Britanniques et Européens sur les relations commerciales à venir, sont au point mort. Quelles conséquences en cas de no deal ? Les représentants de la pêche en Bretagne veulent garder la tête froide. 
 

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Le Royaume-Uni a officiellement quitté l'UE le 31 janvier dernier, mais l'effet du divorce ne se fera pleinement sentir que le 1er janvier 2021, à l'issue de la période de transition pendant laquelle il continue d'appliquer les normes européennes.

D'ici là, Londres et Bruxelles s'étaient promis de conclure un traité commercial pour limiter autant que possible les conséquences négatives (et inévitables) du Brexit.
 

L'accord sur la pêche, d'abord emblèmatique

Les 27 s’étaient promis un accord rapide sur la pêche, afin d'apaiser leurs pêcheurs, qui craignent de ne plus avoir le même accès aux eaux britanniques, très poissonneuses.

Mais l'inflexibilité des deux côtés de la Manche n'a pas permis de concilier des positions de départ aux antipodes : le statu quo dans l'accès à ces eaux côté européen, un contrôle total pour Londres.

Pourtant l'activité pêche ne représente qu'une part négligeable de l'économie de l’Union européenne et du Royaume-Uni puisque les Européens pêchent chaque année pour 635 millions d'euros dans les eaux britanniques et les Britanniques pour 110 millions d'euros dans celles de l'Union Européenne.

Le sujet n'en reste pas moins explosif pour une poignée d'États membres: France, Espagne, Belgique, Pays-Bas, Danemark, Irlande, dont les pêcheurs, historiquement, ont toujours fréquenté les eaux du Royaume-Uni. Sans accord, il leur faudrait se redistribuer les quotas.

Une affaire très politique

Coté britannique, lors du référendum de 2016, alors qu'elle ne représente que moins de 0,1 % du PIB du Royaume-Uni, la question de la pêche a pesé en faveur du Brexit. Le premier ministre conservateur Boris Johnson en avait fait un argument électoral promettant alors de légiférer pour évincer les navires étrangers et retrouver la souveraineté sur son territoire maritime. 

De leur côté, les 27 pensaient pouvoir camper sur leurs positions, mais le négociateur européen, Michel Barnier, les a conduit à infléchir leur position pour dégager des marges et tenter de débloquer la négociation.
 

C'est trop tôt pour dire qu’il n’y aura pas d’accord

Au Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de Bretagne, le secrétaire général, Jacques Doudet, ne laisse paraître aucune impatience. «Un préalable important, souligne-t-il, c’est que les négociations sont toujours en cours, et c’est encore trop tôt pour dire qu’il n’y aura pas d’accord. Il ne faut pas exclure qu’ils y parviennent même à la dernière minute. Tout est possible».
 

Pas de discours alarmiste

Les conséquences d’un « no deal » ont été établies dès 2017. Mais pour Jacques Doudet elles sont hypothétiques, il préfère parler des enjeux d’un scénario catastrophe improbable: « Pour la Bretagne ce sont 130 navires qui pratiquent une part significative de leur activité dans les eaux britanniques et seraient gravement affectés. Leur activité représente un tiers des débarquements dans les ports bretons et ce serait autant de marchandises en moins dans la filière du commerce du poisson».

Criées et mareyeurs seraient en effet à leur tour affectés. Mais si Jacques Doudet garde la tête froide, c'est que le principal débouché de la pêche britannique c’est l’Europe; et que les deux parties n’ont pas intérêt à ce qu’il n’y ait pas d’accord. Pour lui, «les discussions sont certainement serrées et le bras de fer terrible parce ce que la pêche britannique a été un fer de lance du référendum pour le Brexit».
 
 

En cas de prolongations: des fonds de soutien européens

Si il n’y a pas d’accord au 1er janvier? «Il y aura des perturbations très fortes, concède Jacques Doudet, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y aura pas d’accord ensuite, ni que 130 équipages vont se trouver à la rue du jour au lendemain. Pour parer à cette hypothèse, l’Europe a d’ores et déjà prévu des fonds de soutien aux entreprises de pêche qui seraient touchées par le Brexit. En mars dernier, l’épisode Covid-19 et l’arrêt économique de la filière a servi de Crash test: la filière a démontré qu’elle savait encaisser les coups durs et s'adapter».
  

Le droit international si besoin

Conseiller Régional, Pierre Karleskind est aussi eurodéputé et préside la commission pêche du parlement européen. Au téléphone il se veut réaliste: «S’il n’y avait pas d’accord, c’est le droit international qui s’appliquerait. Pour le commerce ce sont les règles de l’OMC, taxes douanières, barrières douanières, quotas d’importation etc. Et pour la pêche, le droit international c’est la convention de Montego Bay qui établit les eaux territoriales 0 à 12 milles et la zone exclusive économique (12 à 200 milles) sur lesquels tout état côtier a une souveraineté économique sur les ressources halieutiques».
 

Un traité du roi Charles II

Océanographe de formation, Pierre Karleskind confirme que ce sont les eaux les plus poissoneuses d'Europe: «Déjà parce qu’elles sont grandes tout autour du Royaume-Uni, mais aussi parce que les eaux froides de la Mer du nord sont productives et que les eaux à l’ouest et au nord de l’Écosse sont au niveau du talus continental qui fait remonter des nutriments du fonds de l’océan. Dans ces eaux-là il y a donc toujours eu énormément de poissons. Des flottes européennes autres que britanniques, viennent y pêcher depuis des siècles pour la simple raison que la Convention de Montego Bay n’existait pas encore. Quand les Britanniques ont adhéré en 1973 à la Communauté économique européenne (CEE), ces eaux n’étaient pas sous souveraineté britannique. À l’époque c’était 0 à 6 milles». 

En 1973, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer était encore en construction et n’allait aboutir qu’en 1982 avec la Convention de Montego Bay. Pendant ce temps, les règles de la Politique commune de la pêche ont abouti à accorder aux navires européens un accès égal aux zones de pêche des autres états membres, à condition qu’ils respectent les quotas de pêches fixés pour préserver la ressource.

« Depuis des siècles les pêcheurs européens allaient pêcher dans ces eaux poissonneuses, explique Pierre Karleskind. Quand le Royaume-Uni a « revendiqué » ses eaux territoriales il n’y a pas eu de négociation puisque de-facto ces eaux se sont trouvées communautarisées. Mais maintenant que les Britanniques sortent de l’UE, un autre volet des règles internationales, prévoit que les droits de pêche sont attachés à une antériorité des pratiques historiques. C’est pourquoi la Belgique a ressorti un traité datant de 1666 par laquelle le roi Charles II accordait aux pêcheurs de Bruges des droits « éternels » de pêche dans les eaux britanniques». 
 

Exigences britanniques et conséquences commerciales

Actuellement, explique l'eurodéputé, les pêcheurs britanniques exercent 55% de l’activité pêche sur les eaux britanniques et les autres européens 45%. Au regard des droits historiques les européens s'en tiennent à demander le maintien du statuquo alors que les Britanniques sont arrivés aux négociations en disant «nous sommes un état souverain, on veut tout».

« Or, l’État britannique exporte 47% de sa pêche vers le marché européen […] et une grande partie se vend en criée à Boulogne car c’est là que le poisson frais se valorise le mieux: à destination du marché européen. Actuellement le pêcheur anglais pose sa caisse sur le quai d’un port français et ça part en camion sans qu’il ait à se poser de questions. Ce qui va se passer faute d’accord, c’est qu’il lui faudra franchir les étapes vétérinaires et douanières coté anglais puis le camion devra faire la queue à Douvres etc., et donc le poisson sera moins frais et perdra de sa valeur».
 
Du côté des pêcheurs français : les Boulonnais, les Normands et bien-sûr les Bretons de la côte nord-Bretagne, sont concernés au premier chef: la limite des eaux territoriales passera au milieu de la Manche et réduira la zone de pêche de 50%. Ils vont donc devoir se répartir les quotas tout en continuant de faire des efforts de gestion durable d'autant qu'avec le réchauffement climatique, certaines espèces migrent vers le nord de 25 km par an. Certains armateurs du sud-Bretagne qui disposent actuellement de quotas en mer d’Écosse seront aussi touchés.
 

Une seule solution: négocier la pêche et l'accord global

Avant le Brexit, l’Europe avait réparti les quotas pour chacun selon une clé de répartition durable. Si les 27 n’obtenaient pas d’accord sur la pêche ils pourraient voir disparaitre un tiers de l’activité en mer et à terre à proportion.
« C’est pour ça qu’on a prévu d’abord de continuer de négocier et de laisser des marges aux Britanniques pour qu’ils puissent s’en saisir. Ensuite, rassure Pierre Karleskind, si la négociation devait se prolonger un fonds de soutien aux entreprises de pêche prendrait le relai».

Mais le président de la Commission pêche du parlement européen souligne que les Britanniques ont aussi besoin à tout prix d’un accord global sur le marché unique : l'europe c’est la moitié des exportations du Royaume-Uni ! Ce sont des dizaines de milliards d’euros que ça leur coûterait chaque année. Ce n’est pas pour rien que la patronne des patrons britanniques vient de démissionner la semaine dernière: c'est pour tirer la sonnette d’alarme.
 

Pour son économie il n’en a absolument pas besoin

Aux yeux de ses électeurs, Boris Johnson a besoin de gagner quelque chose, il a besoin d’une victoire symbolique promise aux pêcheurs résume Pierre Karleskind: « le tout c’est de lui donner ce qui est vraiment nécessaire. Je ne crois pas que le Premier ministre anglais ait intérêt à faire durer les négociations au-delà du 1er janvier. Pour son économie il n’en a absolument pas besoin. Il survivrait au Brexit, mais le Brexit plus le Covid-19 ça commence à faire beaucoup, son directeur de cabinet aussi vient de démissionner… il ne pourra pas faire avaler des couleuvres très longtemps autour de lui, je me dis que l’heure d’un accord approche.»

 
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