À Callac, dans les Côtes-d'Armor, où le projet abandonné d'accueil de réfugiés a laissé des traces, la campagne pour les législatives bat son plein sur fond de montée du vote RN. Reportage.
Sur le marché, ce mercredi 26 juin 2024, à quelques pas de la candidate du Nouveau Front populaire (NFP) et députée sortante, Murielle Lepvraud (LFI), le candidat du Rassemblement national (RN), Noël Lude, ne semble pas faire recette. Malgré le score de son parti aux Européennes du 9 juin, en tête avec 32,9%, peu prennent ses tracts et les échanges sont rares.
Noël Lude, 75 ans, est arrivé par hasard en Bretagne, à la retraite, reconnaît-il. Aux législatives de 2022, il avait obtenu 16% des voix et il a été conseiller municipal dans sa commune de Rostrenen (3.200 habitants), dans cette même 4e circonscription des Côtes-d'Armor à la population vieillissante.
Affable, il n'expose aucun projet pour le territoire. Mais, sourit-il d'un air gourmand, "si j'ai la chance de pouvoir être élu, ça va faire un petit séisme dans le coin".
La fracture
La matinée est bien avancée quand Danielle Le Men qui, elle, joue à domicile, débarque avec ses tracts Reconquête !, gratifiée de 5,33% des voix aux Européennes.
D'une vieille famille callacoise, la septuagénaire est celle qui, initialement, a porté le fer contre le projet d'accueil de réfugiés, avant de recevoir le soutien d'éléments majoritairement extérieurs au territoire.
En revanche, le RN n'a pas soutenu la bataille contre ce projet baptisé Horizon et abandonné fin 2022.
Porté par une fondation privée, Horizon, qui a fracturé ce chef-lieu de canton de 2.200 habitants, prévoyait, outre l'accueil de réfugiés, de notables améliorations pour la commune dont la pauvreté transpire à travers commerces fermés et bâtiments décatis.
"On a dû vivre des situations très difficiles avec ce projet, je n'ai jamais vu autant de bagarre sur Callac" déplore l'ancienne maire de 2008 à 2014, Carole Le Jeune.
En dépit de l'abandon d'Horizon, une dizaine de familles étrangères, selon le maire, Jean-Yves Rolland (DVG), vivent sans problème à Callac où elles sont arrivées pour partie dans le cadre d'un programme de relocalisation porté par l'État.
Ancienne institutrice, Danielle Le Men regrette que les Callacois "n'osent pas" afficher leurs opinions. "S'ils nous fréquentent, ils sont mal vus" assure-t-elle.
"Les gens se sentent abandonnés"
"C'est normal que les gens soient en colère puisque tous les services publics ont reculé. On a abandonné la ruralité" considère Murielle Lepvraud, 49 ans. Si on veut de l'apaisement, il faut faire régresser les inégalités sociales pour retrouver de la cohésion" dit-elle.
Sur cette terre historiquement résistante et communiste, la députée sortante LFI l'avait emporté en 2022 avec 53,39%, face au sortant de la majorité présidentielle. Cette dernière est cette fois représentée par Cyril Jobic, chef d'entreprise de 38 ans, maire depuis dix ans de Calanhel (230 habitants). "C'est un homme du territoire. Il serait passé autrement mais, là, il est du mauvais côté" en raison du rejet du président de la République, Emmanuel Macron, analyse un observateur attentif.
Tailleur de pierre pendant 42 ans, barbe et cheveux bouclés grisonnants, Michel Le Magoariec fustige : "Il n'y a plus rien ici, les gens se sentent abandonnés". "Honnêtement, il faudrait peut-être le RN" lâche d'un air interrogatif celui qui se qualifie "d'ex-maoïste".
"2024, c'est 1933"
À deux pas du marché, Paul Le Contellec a repris en 2006 le commerce familial, un capharnaüm dont il peine à financer les travaux. "L'atmosphère n'est plus comme dans le temps. Moins de monde dans les rues" s'attriste-t-il.
Cet homme né en 1968 est très inquiet : "Je me sens mal à l'intérieur de moi. On a l'impression que le passé est en train de réémerger, craint-il. 2024, c'est 1933", année de l'accession au pouvoir par les élections d'Adolf Hitler. Il rappelle que sa "grand-mère résistante a sauvé beaucoup de gens, dont des familles actuelles. S'ils sont là, c'est grâce elle".
Ce qui le rassure un peu, c'est de voir "des gens qui n'ont pas voté depuis des années et qui, là, ont décidé d'y aller parce que la démocratie est en danger".
(AFP/Clarisse Lucas)