Ce mardi 29 novembre, deux surveillants de la maison d’arrêt de Saint-Brieuc ont été agressés par un détenu. Le premier a reçu une claque, le second, un coup de tête qui lui a brisé le nez. Une agression révélatrice du malaise dans l’établissement le plus surpeuplé de Bretagne. Il accueille 160 détenus pour 85 places.
"Chaque matin, quand on prend notre service, on ne sait pas ce qui va se passer. Dès que le ton monte, on a toujours en tête la peur de l’agression. Les surveillants mettent leur vie en danger chaque jour", témoigne Christophe Bueno, secrétaire local du Syndicat pénitentiaire des surveillants.
Mardi 29 novembre, à l’heure de la promenade, un gardien a ouvert la porte de la cellule d’un détenu. "À l’intérieur, le gars était très excité, très énervé. Il a collé une baffe au gardien. Les collègues sont immédiatement intervenus pour lui porter secours. L’un d’entre eux a pris un coup de tête, il a eu le nez cassé. Il a fallu cinq agents pour maîtriser le prisonnier. Aujourd’hui, c’est ça la réalité des prisons."
La prison la plus surpeuplée de Bretagne
Selon les derniers chiffres rendus publics par le ministère de la justice, au 1er octobre 2022, la maison d’arrêt de Saint-Brieuc accueillait 160 détenus alors qu’elle est prévue pour 85, soit une densité carcérale de 188,2 %. En 2019, le chiffre de 200 détenus a même été atteint, soit un taux d’occupation de 285 %.
"Aujourd’hui, il y a 158 détenus, annonce Christophe Bueno. Mais souvent, on en compte 160, 170. Alors, les gars se retrouvent à trois détenus dans des cellules de 9-10 mètres carrés. Cela met de la tension."
La maison d’arrêt de Saint-Brieuc reçoit des hommes condamnés à des courtes peines, moins de deux ans. "Il y a beaucoup de jeunes, qui viennent de cultures différentes, qui ont des profils différents. Et parfois dans la cellule, il y a des gars qui ne se lavent pas, d’autres qui ne font pas leurs lits, qui ne font pas le ménage, ça fait cocotte-minute. Sans leur donner raison, quand on est trois enfermés comme cela, on comprend qu’ils dégoupillent", explique le surveillant.
Des conditions de détention "indignes"
"On peut mesurer le degré de civilisation d'une société en visitant ses prisons" écrivait Dostoievski. La prison de Saint-Brieuc date de 1913. Lors de sa visite de l’établissement, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté jugeait que les conditions de détention y étaient "indignes" et "inacceptables". Il évoquait des "moisissures, des trous dans les murs, l’absence d’intimité dans les WC, un état d’hygiène déplorable des sols."
"La prison a plus de 100 ans, constate chaque jour Christophe Bueno. Peut-être qu’avant des détenus pouvaient vivre ensemble, aujourd’hui, ce n’est plus possible. Le monde extérieur est de plus en plus violent, la prison est le reflet de la société. A l’intérieur de nos murs, la violence est encore pire."
Les surveillants voient arriver de plus en plus de détenus souffrant de troubles psychiatriques, de problèmes d’alcool ou de stupéfiants. "La drogue rentre en prison, que ce soit par les parloirs ou avec des parachutages, (l’envoi de colis au-dessus des murs d’enceinte), reconnait Christophe Bueno. Evidemment, les gardiens tentent de lutter, mais en même temps, la situation est encore pire quand un détenu est en manque… là, ça peut très vite devenir très compliqué."
4 500 agressions chaque année dans les prisons françaises
"Quand vous ouvrez la porte de la cellule, si c’était très tendu dedans, la moindre petite chose peut partir en cacahuète. Le monde carcéral est très dur. Un détenu, tant qu’on lui dit oui, ça va… mais des fois, on dit non… et tout peut arriver… La tension est toujours palpable" continue le surveillant.
"Les chiffres sont terribles, mais ils permettent de se rendre compte de la réalité explique Frédéric Bescon, secrétaire régional du Syndicat Pénitentiaire des Surveillants. Chaque année, dans les prisons françaises, on compte 4 500 agressions.". Sur le site internet du syndicat, les titres des tracts se suivent et se ressemblent. "Encore une agression", "Une lâche agression", "Agressions, la série"
"On a un manque cruel d’effectifs, déplore-t-il. Cela fait longtemps que ça dure, et dans les années qui viennent, on va avoir de nombreux départs en retraite mais les jeunes ne se présentent pas pour faire ce boulot."
"C’est un métier ingrat, mal payé et mal considéré" confirme Christophe Bueno. A Saint-Brieuc, il n’y a qu’un seul surveillant pour une coursive avec 60 détenus. "Ça ne fait pas beaucoup regrette-t-il, surtout quand on a affaire à des gens agressifs. Ils appellent toute la journée. Ils doivent sortir pour aller prendre une douche, aller en cours, au travail, au parloir, à l’infirmerie, ça fait beaucoup de mouvements."
Au mois d'octobre, le maire de Saint-Brieuc, Hervé Guihard, a alerté Eric Dupont-Moretti le garde des Sceaux sur la situation particulièrement préoccupante de la maison d’arrêt.
L'élu attend toujours la réponse du ministre et dénonce "quand on enferme les gens dans ces conditions-là, il ne faut pas s'étonner qu'il y ait des altercations et de la violence."
"Même l'Europe condamne la France pour l'état de ses lieux de privation de liberté" souligne Hervé Guihard. "Aujourd'hui, déplore-t-il, quand les gens entrent en prison, c'est comme s'ils étaient condamnés définitivement parce qu'on ne leur donne pas les moyens d'avancer. Quand ils sortent et qu'ils reviennent dans la société, ils doivent aller mieux. Ils ne doivent pas être broyés et déshumanisés. Il faut que l'on s'occupe de l'après, parce qu'il y a un après. Mais visiblement, l'Etat s'en fiche."
"Mais nous ne sommes pas là seulement pour ouvrir et fermer des portes, précise aussitôt Christophe Bueno. On vit avec les détenus au quotidien, on parle beaucoup avec eux. Quand on voit quelqu’un en difficulté, on essaye d’être là. "
Il y a quelques jours, dans la prison, les surveillants ont décroché le corps d’un homme qui s'était pendu dans sa cellule. "C’est difficile. On y laisse parfois des plumes."
"Il y a des jours où il faut expliquer les choses de la vie. Apprendre à dire bonjour, merci, on prend des baffes de vie à cause des lacunes de l’éducation. Mais on essaye de montrer le chemin du respect mutuel, entre eux et avec nous, indique Christophe Bueno et il conclut, ils sont en prison, mais il ne faut pas oublier que ce sont des êtres humains."