Il y a cinq ans, jour pour jour, le 17 novembre 2018, les gilets jaunes se donnaient rendez-vous pour la première fois. Pour fêter ce cinquième anniversaire, quelques -uns se sont retrouvés aujourd’hui à Saint-Brieuc, entre joies des retrouvailles et déception de n’avoir rien obtenu… Retour sur ce mouvement avec Tristan Lozac’h et le politologue Christian Le Bart auteur de Petite sociologie des Gilets jaunes.
"On est là", scandaient les Gilets jaunes à pleins poumons en 2018. Cinq ans, Tristan Lozac’h sourit en disant, "On est toujours là."
Ils ne sont qu’une petite dizaine à se retrouver ce 17 novembre 2023 sur le rond-point de Brézillet, leur rond-point. "C’était important de se rassembler pour fêter cet anniversaire et pour dénoncer le fait que nos revendications n’ont toujours pas été entendues, c’est une façon de montrer qu’on est toujours là. Pas très nombreux, mais toujours présents avec les mêmes revendications. "
Pendant des mois, entre novembre 2018 et décembre 2019, les gilets jaunes ont bloqué des routes et des ronds-points, défilé sur les Champs-Elysées.
Quelques coups de klaxon viennent saluer les manifestants. Les gilets jaunes en sont comme émus. "Les gens ne nous ont pas oublié, se réjouit Tristan Lozac’h, et peut être que ceux qui ne nous soutenaient pas il y a 5 ans se rendent compte qu’on avait raison parce que tout ce qui se passe aujourd’hui, on le prévoyait il y a cinq ans, et ils se disent, les gilets jaunes avaient raison. "
Quand le prix de l'essence enflammait les ronds-points
"Les mouvements sociaux ne naissent pas uniquement des conditions de vie des gens, sinon, ce serait déjà reparti, analyse Christian le Bart, politologue à l’IEP de Rennes. En 2018, l’élément déclencheur de la contestation, c’est le prix de l’essence. La flambée du prix des carburants (en 2018, le litre d’essence est à 1 Euro 40) a touché les gens au porte-monnaie. Les questions du coût de la vie, du revenu disponible, du financement des mobilités pour aller travailler occupent les Français. "
"Aujourd’hui, constate le politologue, la situation est encore plus difficile qu’il y a 5 ans, (le litre d’essence est à 1 euro 80)." "Et en plus, il y a l’inflation, l’électricité, le chauffage, le gaz" détaille de son côté Tristan Lozac’h. "Les gens se serrent la ceinture."
"Il suffira d'une étincelle !"
"Mais pour que les gens redescendent dans la rue, il faut des gouttes d’eau, des étincelles, quelque chose, explique Christian Le Bart. En 2018, quelques personnes ont réussi à se positionner comme initiateurs du mouvement, en postant des messages sur les réseaux sociaux et la mayonnaise a pris. "
A Saint-Brieuc, des dizaines de personnes se rassemblent chaque samedi sur les différents ronds-points de la ville. Des cabanes sont édifiées.
"Ce qui frappe, à ce moment-là, se souvient Christian Le Bart, c’est l’expression d’un ras le bol généralisé. D’abord sur les questions de niveau de vie et puis très vite, cela s’est élargi aux questions politiques. Une vraie colère contre les politiques et notamment contre le Président Macron s’est exprimée. On a vu la rupture qui existait avec les élus. "
"Le mouvement a pris des formes originales, approfondit le politologue. Il a duré très longtemps d’un samedi à l’autre, on comptait les manifestations en Actes. C’est sans doute l’expression d’une grande détresse, d’une véritable envie d’exprimer sa colère."
Gilets jaunes et colère rouge
Dans sa profession, on sait que les mouvements sociaux se chassent les uns les autres. "On a oublié les Nuits debout, les Bonnets rouges… Mais les Gilets jaunes ont marqué parce qu’on a vu, sur les ronds-points et dans les défilés, des gens qu’on n’avait pas l’habitude de voir dans la rue. C’est la France de Monsieur tout le monde qui défilait."
La marmite elle est pleine
Tristan Lozac'h
Cinq ans plus tard, la colère est toujours là, "la marmite, elle est pleine", s’agace Tristan Lozac’h. "Pour moi, la seule solution qui est efficace c’est de ressortir dans la rue. Mais le prochain mouvement qui va arriver ce sera puissance 1 000, prévient-il, parce que le gouvernement n’entend que comme ça. On l’a vu en décembre 2019 quand le mouvement a été violent, 3 jours après on avait des avancées alors que quand on est sages, avec nos panneaux, on n’a rien ! "
Dès demain, les gilets jaunes de Saint-Brieuc appellent à un nouveau rassemblement à Brézillet à 14h. "On espère que le mouvement va renaitre confie Tristan Lozac’h. Peut-être pas Gilets jaunes mais dans le même genre, sans syndicat, ni parti politique. "
L'amertume
Les gilets jaunes persévèrent dans cette volonté de se tenir loin des structures, et dans leur refus de se doter de porte-paroles ou de leader. "Pourtant, cela a sans doute empêché leurs demandes de remonter, indique Christian Le Bart. Le mouvement a atteint les limites de la posture. A critiquer tout ce qui est institutionnel, le mouvement s’est un peu épuisé. Les conditions n’ont jamais été remplies pour que les gens se mettent autour d’une table."
"Comme la question de la formulation des demandes était compliquée, le gouvernement a proposé la mise en œuvre de cahiers de doléances, se remémore Christian Le Bart. C’était une réponse très symbolique, cela renvoyait à la crise de l’ancien-régime, mais techniquement, il était compliqué de lire ces milliers de paroles individuelles et l’exécutif n’a pas mis beaucoup de bonne volonté à ouvrir ses cahiers de doléances. Résultat, regrette-t-il, ces expressions se sont perdues dans les sables, c’est sans doute une faute politique. "
Sur le rond-point, les gilets jaunes de Saint-Brieuc sont heureux de se retrouver. Les souvenirs remontent dans un mélange d’amertume, au vu des résultats obtenus et de joie d’avoir vécu une aventure collective intense.
"Les gens sont sortis de chez eux et ont découvert que d’autres vivaient et pensaient les mêmes choses, explique Christian Le Bart. Rien n’empêcherait que ça recommence, poursuit-il, les gilets sont dans les coffres des voitures. Ils seront portés par les mêmes ou par d’autres. Pour le moment, c’est calme, mais on sait que le calme est précaire. "
( avec Jean-Marc Seigner )