Des menaces de mort reçues par courrier par la maire et le médecin généraliste de Plougrescant sèment le trouble et provoquent l'inquiétude. Deux plaintes contre X ont été déposées. Des menaces qui interviennent sur fond de litige lié à la construction d'une maison médicale.
Le courrier de menace de mort est arrivé le matin du 5 juin, au cabinet médical de Plougrescant, dans les Côtes-d'Armor.
Sur une feuille de cahier manuscrite, des insultes et de graves mises en garde. "Pauvre type, alcoolo, bipolaire (...) Surveilles tes arrières, un accident est si vite arrivé (...) La maire et toi, personne pour remonter le niveau." Une lettre envoyée par la poste qui se conclut par deux acronymes. Tout d'abord "RIP" qui signifie "Repose en paix" suivi de "LOL".
Dans la foulée, Maxence Clauzel, le médecin généraliste destinataire du courrier anonyme, dépose plainte contre X à la gendarmerie de Tréguier.
J'ai perdu beaucoup d'argent. La mairie ne me permet pas d'offrir à la commune une maison de santé
Docteur Maxence ClauzelMédecin généraliste à Plougrescant
Dans son audition, le médecin affirme "ne pas avoir de soupçons sur les personnes qui pourraient être les auteurs de ce courrier". Il précise néanmoins que "la situation est actuellement un peu tendue avec la mairie concernant une infrastructure médicale qui doit être créée." Et il ajoute "J'ai perdu beaucoup d'argent. La mairie ne me permet pas d'offrir à la commune une maison de santé."
Le même jour, un autre courrier manuscrit sous enveloppe au nom de la maire de Plougrescant arrive cette fois en mairie.
Contactée par téléphone, Anne-Françoise Piedallu dit vouloir "s'abstenir de tout commentaire. Je ne veux pas que mes propos soient source d'interprétation." Elle confirme qu'elle a porté plainte contre X.
La maire donne toutefois son sentiment. "Après le sabotage de ma voiture en mai dernier et un premier dépôt de plainte, je ne m'attendais pas à ce second courrier. Je ne suis pas rassurée." En mai dernier, le véhicule de la maire avait eu les cables de freins sectionnés.
Je remercie les autorités qui jouent bien leur rôle de protection de l'élue que je suis
Anne-Françoise PiedalluMaire de Plougrescant
Une élue qui dit ne pas être dans la même situation que le maire de Saint-Brévin qui a choisi de démissionner après des agressions physiques et l'absence d'accompagnement de l'Etat. "En ce qui me concerne, je suis bien entourée. Je remercie les autorités qui jouent bien leur rôle de protection de l'élue que je suis" confie-t-elle.
L'avocat de la maire, Me William Pineau, que nous avons contacté, ne souhaite faire "aucune communication" et "compte sur le travail des enquêteurs."
De son côté, Nicolas Heitz, le procureur de la République de Saint-Brieuc, fait savoir que ces courriers "sont suffisamment inquiétants pour se poser la question de danger de mort".
Tensions au sujet d'une maison médicale
Ces menaces de mort interviennent dans une ambiance exécrable au sein de cette commune de 1.200 habitants. Au coeur des tensions : le projet de construction d'une maison médicale "sur un terrain viabilisé de 2.000 m2 en plein centre avec vue mer et pour 25.000 euros" précise la maire.
Le dossier de permis de construire va envenimer les positions entre les deux parties. D'un côté, la maire qui dit "ne pas comprendre pourquoi le médecin ne conclut pas le compromis de vente signé en 2021".
De l'autre, un médecin généraliste qui affirme se sentir piégé par la maire. "Anne-Françoise Piedallu a fait mettre des clauses suspensives qui sont impossibles à tenir dans les délais compte-tenu de la complexité d'un tel dossier, indique Maxence Clauzel. En plus, pour mettre en route la construction, il fallait que la mairie viabilise un accès. Cela avait été voté en 2018 et ces travaux indispensbales n'ont été réalisés qu'en 2022."
Des divergences qui vont petit à petit s'intensifier. Avec toujours plus d'accrimonie et de tensions entre l'élue et le professionnel de santé. La première accusant le second de faire du chantage. "Il fallait que la commune lui donne gratuitement le terrain sinon il parlait de banqueroute. Il nous a dit qu'il avait déjà dépensé 100.000 euros ! ".
Le docteur Maxence Clauzel rétorque "La maire attise la haine. Elle cherche à me décrédibiliser. En plus, elle veut changer les règles financières. Moi, tout ce que je veux, c'est qu'on reste sur les accords d'avant".
Dernière source de conflit en date : la décision de la mairie d'augmenter de 30 % le loyer du cabinet provisoire loué au médecin depuis 2020. "150 euros de plus pour payer l'électricité et l'eau et les augmentations liées à l'inflation" précise Anne-Françoise Piedallu. "Un passage de 450 euros à 600 euros pour ce préfabriqué sans eau chaude alors que des collègues paient 500 euros pour de vrais cabinets" constate Maxence Clauzel.
Une situation qui aboutit à une division au sein même de la population. Un rassemblement de plus de 300 habitants de la commune et des environs se met en place pour soutenir le médecin. Dans le foulée, début mai, la maire est contrainte d'organiser une réunion publique pour donner sa position. "En tant que maire, je cristallise les mécontentements. Certains sont venus à la réunion avec leurs certitude et sont repartis avec" conclut l'élue.
Une affaire qui en rapelle une autre
Cette bisbille entre la maire et le médecin n'est pas la première du genre dans la commune de Plougrescant. En 2015, un autre médecin était lui aussi dans la tourmente.
Après s'être installé en étant accompagné par la commune, le généraliste quitte Plougrescant 24 mois plus tard. "Il venait de la région lilloise. On lui a prêté gratuitement pendant deux ans un logement communal. On lui avait proposé d'acheter ce local mais il a refusé car cela faisait trop de dépenses. Puis il est parti en 2017 sans même se justifier en face à face" relate la maire.
Une présentation tronquée des choses
Docteur FlahaultAncien médecin généraliste à Plougrescant
Une version que conteste radicalement le second médecin, Maxence Clauzel. Il précise qu'il a eu connaissance d'une lettre ouverte écrite par son collègue, le docteur Flahault. Un courrier dans lequel, à l'époque, le premier médecin se dit "être obligé de remettre en cause une présentation erronnée et tronquée des choses par la maire" concernant son départ.
L'ancien généraliste de la commune parle de "mauvaise foi" de la part de l'élue et ajoute : "Si vous aviez accepté mes propositions à l'époque, il y aurait aujourd'hui deux cabinets médicaux dans la commune".
Mise en place d'une médiation
A Plougrescant, le dialogue de sourd est si fort aujourd'hui que le sous-préfet, sur proposition du médecin, met en place une démarche de médiation.
Pour tenter de calmer les esprits et retourner à la table des négociations, Raphaël Le Méhauté, ancien préfet et aujourd'hui avocat briochin spécialisé en droit public, est désigné. Des premiers échanges entre lui et les deux autres parties ont déjà commencé.
Ce lundi soir, en conseil municipal, la maire de Plougrescant a obtenu la signature pour autoriser cette conciliation pour laquelle elle espère qu'une "solution sera trouvée. Nous les élus, on veut un service médical de proximité pour la population" assure-t-elle.
De son côté, le médecin affirme "être toujours prêt à monter une maison médicale". Avec tous ces événements, note-t-il, j'ai failli mettre les deux pieds hors de la commune. Le soutien de la population m'a encouragé. J'espère que je vais pouvoir continuer à aider les 2.000 patients qui me font confiance depuis 3 ans et demi."
Reste à savoir si la médiation permettra de sortir par le haut de l'impasse qui n'est pas de nature à rassurer les habitants. Des habitants qui savent que trouver un médecin en secteur rural est devenu un parcours du combattant.