"Vous nous faites chier", "connards"… Impossible de tout énumérer. Le chef de chantier de ce rond-point des Côtes d’Armor en entend des vertes et des pas mûres toute l’année. Mais cette fois-ci, des menaces de mort se sont ajoutées aux injures et aux insultes. Les ouvriers ont été obligés de quitter le chantier.
C’était le 13 novembre dernier. Ce soir-là, les agents des routes qui travaillent à l'aménagement d'un giratoire avaient prévu de couper la circulation. "Au départ, témoigne Thibault Le Chenu, le chef de chantier, les travaux se faisaient avec une circulation alternée, mais là l’intervention exigeait d’empêcher l’accès des voitures."
Certains nous ont foncé dessus au risque de nous écraser.
Thibault Le Chenu, chef de chantier
Ses hommes installent donc les traditionnels plots de ralentissements rouge et blanc... mais "dans les 10 minutes qui ont suivi, tout ce qu’on avait mis sur place pour barrer la route a été retiré par les usagers, poursuit Thibault Le Chenu et les gens se sont mis à rouler là où on travaillait. Certains nous ont foncé dessus au risque de nous écraser. Il y a eu des menaces de mort : Soit tu enlèves ta voiture, soit je vais chercher mon fusil et te mettre une balle. On était en danger, on a été obligés de quitter le chantier."
Un chantier au service des automobilistes
L’axe est une départementale très fréquentée. Il accueille jusqu'à 15 000 véhicules par jour. "Ce giratoire est important pour la sécurité des usagers, rappelle Thibault Le Chenu. Nous, on fait juste notre travail mais les gens n’ont pas de patience et ne sont pas compréhensifs."
Les ouvriers ne sont revenus sur le chantier que le lendemain. "Des balisages ont été écartés de la voie alors que la route était barrée, déplore Franck Bourdais, directeur des infrastructures au Conseil départemental des Côtes d'Armor. Si une route barrée c'est que derrière il y a des travaux, un chantier, des agents qui travaillent. Ne pas respecter cette signalisation, c'est mettre en danger les agents du Département, les agents des entreprises mais aussi se mettre soi-même en danger, parce que derrière, l’automobiliste ne sait pas ce qu’il peut trouver, un engin de chantier, un trou, des travaux qui ne sont pas terminés."
Ils ont dû sauter dans le fossé parce que sinon, ils se faisaient shooter
Franck Bourdais, directeur des infrastructures au Conseil départemental des Côtes d'Armor
Le directeur n’ignore pas le quotidien des agents et connaît la teneur des noms d’oiseaux qui volent parfois au bord des routes. "Mais là, il y a des collaborateurs qui ont risqué leurs vies, s’agace-t-il. Ils ont dû sauter dans le fossé parce que sinon, ils se faisaient shooter. C'est inadmissible."
"On ne fait pas cela pour embêter les automobilistes poursuit-il. Certains travaux ne peuvent se faire en une nuit : on ferme, on rouvre et hop tout est fait ! Entre les terrassements, les couches de roulement, les bordures tout ça, ça prend du temps !"
Des automobilistes parfois à cran
Arrêtés derrière le feu rouge du chantier, les automobilistes se montrent plutôt compréhensifs. "Les travaux sont faits pour aider à la circulation", rappelle l’un d’eux. Mais tous constatent que derrière un volant, les gens perdent parfois tout sens commun. "On vit dans un monde où les gens montrent une certaine impatience pour tout", indique l’une. "Moi, je suis un vieux bonhomme et je me fais klaxonner parce que je ne vais pas assez vite et parce que je respecte les limitations de vitesse ! ", décrit un autre.
Parfois, on a des gens qui nous disent, "moi je travaille" sous-entendu, nous, on ne travaille pas !
Franck Bourdais, directeur des infrastructures au Conseil départemental des Côtes d'Armor.
"On est dans une période où tout le monde est à cran, dans un monde qui va toujours plus vite. Donc on n'accepte pas de devoir attendre", s’inquiète Franck Bourdais.
"Parfois on a des gens qui nous disent, "moi, je travaille " sous-entendu, nous, on ne travaille pas ! Dans son véhicule, on a l'impression qu'on est le seul à avoir des contraintes, le seul à travailler !"
Il se rassure en se disant que dans deux ou trois mois, les gens qui passeront ne se souviendront plus du chantier, il n’y aura plus de problème… Mais les ouvriers ont été impactés alors "ce que l’on souhaite, termine-t-il, c'est que les agents soient vraiment beaucoup plus respectés !'
(Avec Sandrine Ruaux)