Le docteur Clauzel a annoncé la nouvelle à ses patients par un message sur les réseaux sociaux. Il s’en va au mois d’octobre. Le médecin se dit "écœuré" par la politique de la municipalité de Plougrescant. Les élus ont décidé d’augmenter le loyer du préfabriqué dans lequel il exerce depuis trois ans. Les habitants se mobilisent pour garder leur praticien.
"L'heure est grave, écrit en préambule de son courrier à ses patients, Maxence Clauzel, votre mairie a décidé de se séparer de son médecin !"
Lors du dernier conseil municipal, les élus de Plougrescant, ont voté à l’unanimité l’augmentation du loyer du "cabinet média". Depuis son arrivée dans la commune de 1160 habitants dans les Côtes-d'Armor, le médecin exerce dans un préfabriqué. "Une baraque à frites, brûlante en été et frigorifiée en hiver, sans eau chaude", précise le docteur.
"Quand il nous a annoncé son envie de s’installer sur la commune, répond Anne-Françoise Piedallu, la maire de Plougrescant, nous avions un projet de maison médicale. Il voulait construire son cabinet. Nous, nous étions très heureux qu’un médecin arrive, donc nous avons abandonné notre projet."
"La commune a trouvé un terrain et l’a même viabilisé", poursuit l’élue. En attendant que le bâtiment sorte de terre, la mairie a loué une cabine provisoire. "Cela fait trois ans que nous payons près de 900 euros pour ce préfabriqué. Nous le louons à moitié prix au médecin, 450 euros, charges comprises. Nous augmentons ce loyer à 600 euros, car pour les communes aussi, tout augmente, l'eau, l'électricité... cela commence à faire cher et le docteur ne nous a toujours pas acheté le terrain sur lequel il veut bâtir. Nous ne savons pas où en est son projet. Le terrain est prêt depuis des mois."
"Ce n’est pas le cabinet qui fait le médecin, mais quand même "
"On me demande de payer 600 euros pour une baraque à frites, s’étrangle Maxence Clauzel. Une hausse de 30% ? Quand dans les communes voisines, j’ai des confrères qui sont installés dans des maisons médicales flambant neuves et qui versent des loyers de 500 euros ?"
Maxence Clauzel affirme qu'il ne peut plus construire le cabinet dont il rêvait à cause de la flambée des prix des matériaux.
"C’est l’horreur, s’exclame-t-il. Quand je pense à tous les sacrifices que je fais. Je suis le dernier sur le secteur à faire des visites à domicile. On est payé 60 centimes du kilomètre quand on va voir les malades, on perd de l’argent. Je travaille 50 à 60 heures par semaine, je vois 6 000 patients par an. Je sauve des vies et je me prends des enclumes sur la tête."
Un métier en souffrance
Le médecin évoque les grèves des praticiens du début de l’année. Le Ministre de la Santé, François Braun a refusé les hausses de tarif des consultations. "Les gens nous prennent pour des nantis, mais on ne vit plus. Etre généraliste en France quand il n’y a plus de moyens, c’est dur, insiste Maxence Clauzel. On se retrouve tout seul avec… son couteau !" sourit un instant le soignant.
On se bat pour une population et on nous crache dessus.
Maxence Clauzel, médecin
"Un cabinet médical, c’est une charge mentale énorme, témoigne le médecin. On n’a pas le droit à l’erreur. Quand les résultats de certains examens ou de certaines prises de sang nous tombent par mail, nous n’avons pas le droit de ne pas voir, la vie des gens est parfois entre ces lignes. On se bat pour une population et on nous crache dessus."
Départ en octobre
Dans le courrier adressé à ses patients, Maxence Clauzel annonce donc son intention de partir en octobre, "date à laquelle je n'exercerai plus dans votre belle commune."
Beaucoup ont immédiatement réagi. "On a été choqués, explique Bénédicte. C’est précieux d’avoir quelqu’un comme le docteur Clauzel, il a dépanné de nombreux habitants et en a même sauvé certains."
"On sait qu’il se donne à fond, poursuit une autre de ses patientes, je sais qu’il y a un différend avec la mairie et je ne veux pas m’en mêler, mais ce que je sais, c’est qu’il était investi, qu’il connaissait les gens, c’était le médecin idéal pour la commune."
"Quand les gens ont besoin de soins, il ne ménage pas son temps, ajoute aussi Hervé. Il est toujours prêt à aider."
Les patients du médecin ont prévu de se rassembler dimanche 23 avril à 11h sur le marché pour essayer de trouver des solutions. "Si le médecin s’en va, les plus proches sont à 15 minutes en voiture s’inquiète Bénédicte. Pour les personnes âgées, ou pour celles qui n’ont pas de voiture, c’est loin…"
Une démographie médicale compliquée
"Toutes les communes cherchent des médecins, et Plougrescant qui en a un le met dehors ?" interroge Maxence Clauzel. "Je peux aller où je veux, il y a des endroits où on me fera des ponts d’or. Au Luxembourg, la consultation est à 70 euros… Si on n’a pas la reconnaissance des élus, à quoi bon rester ?"
Même si le coin du nord Bretagne est magnifique, la démographie médicale est aussi compliquée qu'ailleurs. "Certes, la situation médicale est tendue, reconnait la maire de Plougrescant, mais ce n’est pas une raison pour prendre les patients en otage, leur faire peur en annonçant ainsi son départ. Les gens ont peur de predre leur médecin, c'est normal, mais il ne faut pas non plus en profiter pour faire n'importe quoi ! "
"Les questions de soins ne font pas partie des compétences des collectivités territoriales ", rappelle l’élue. Devant la carence en personnel soignant, les communes doivent prendre en charge certaines dépenses. "Nous, nous étions très content d’avoir un médecin, mais est-ce une raison pour lui faire des cadeaux ? Nous avons acheté un terrain, nous l'avons viabilisé et depuis trois ans, nous payons une grande partie du local pour le docteur Clauzel, il aimerait peut être que la commune lui fasse don du terrain ?" , s'irite l'élue.
La maire invite ses administrés à une réunion publique le 3 mai pour faire le point sur la situation.
A Plougrescant, le malaise est palpable. Le remède sera sans doute difficile à trouver.