La peine requise est inédite. Lors du procès en appel du Mediator, l'accusation a réclamé, ce mercredi 31 mai 2023, la "confiscation du bénéfice" dégagé par les laboratoires Servier grâce au médicament, soit 182 millions d'euros. Pour Irène Frachon, la pneumologue qui a révélé le scandale sanitaire, "ce réquisitoire cherche à redonner du sens au mot justice".
Le procès en appel du Mediator s'est ouvert en janvier dernier. Ce mercredi 31 mai 2023, l'accusation a requis la "confiscation du bénéfice" tiré par les laboratoires Servier de ce médicament. Soit une somme maximale de 182 millions d'euros.
Cet anti-diabétique, largement prescrit comme coupe-faim, est tenu pour responsable de centaines de décès et de graves effets cardiaques chez des milliers de patients.
La peine requise est inédite en matière de tromperie, mais elle est justifiée par "la gravité des faits" a argumenté l'un des avocats généraux, Jean-Philippe Rivaud, estimant "dérisoires" le montant des amendes encourues "eu égard au préjudice causé".
En première instance, en mars 2021, Servier avait été condamné à une amende de 2,7 millions d'euros et avait fait appel de cette condamnation.
"L'insupportable négation de ce crime par l'entreprise"
"Information déloyale" des médecins, "dissimulation" vis-à-vis des autorités sanitaires, patients "utilisés à des fins mercantiles", atteinte à la "confiance dans la médecine"... Lors de deux jours de réquisitoire devant la cour d'appel de Paris, les représentants de l'accusation ont longuement détaillé les griefs imputés au laboratoire et à son ex-numéro deux Jean-Philippe Seta.
Tous deux sont rejugés pour "tromperie aggravée", "homicides et blessures involontaires", "obtention indue d'autorisation de mise sur le marché" et "escroquerie".
Ce réquisitoire cherche à redonner du sens au mot 'justice'
Irène FrachonPneumologue et lanceuse d'alerte
Commercialisé depuis 1976 jusqu'à son interdiction en 2009, le Mediator est l'un des pires scandales sanitaires français, révélé au grand public par la pneumologue brestoise, Irène Frachon. "Ce réquisitoire cherche à redonner du sens au mot 'justice', face à un crime ayant eu des conséquences aussi gigantesques" a-t-elle réagi, ce jeudi 1er juin, sur France-Inter.
Selon Irène Frachon, l'avocat général a également souligné "l'insupportable négation de ce crime par l'entreprise, ce qui aggrave la douleur, le préjudice des victimes et ce qui fait de Servier à jamais des bourreaux". Et d'ajouter : "Nous reprenons espoir qu'il y ait une décision de justice exemplaire"
Les deux avocats généraux ont requis 13,5 millions d'euros d'amende contre les six sociétés du groupe Servier poursuivies, le maximum encouru.
Surtout, ils ont réclamé cette "peine complémentaire de confiscation du produit de l'infraction", évaluant à 153 millions d'euros le bénéfice dégagé par Servier sur les ventes du Mediator pendant la période de prévention (1994-2009), auquel ils ont ajouté les dépenses de recherche et développement, estimant que les études lancées sur le Mediator n'étaient destinées qu'à "tenter de sauver le médicament".
"Risque identifié dès la fin des années 60"
A l'encontre de Jean-Philippe Seta, 69 ans, ex-directeur général de Servier, l'accusation a réclamé cinq ans d'emprisonnement dont deux ferme, aménageables avec un bracelet électronique, et une amende de 200.000 euros.
Ils ont estimé que la "participation active" de cet "homme de qualité", bras droit du tout-puissant fondateur Jacques Servier, décédé en 2014, avait "pu être démontrée, malgré ses dénégations".
Selon l'avocate générale Agnès Labreuil, il ne pouvait ignorer "que le Mediator faisait l'objet d'une enquête de pharmacovigilance", ni les signalements d'effets indésirables graves dès 1999.
En mars 2021, Jean-Philippe Seta avait été condamné à quatre ans de prison avec sursis et 90.600 euros d'amende. L'accusation avait requis cinq ans de prison dont trois ferme et 200.000 euros d'amende.
Les laboratoires Servier et Jean-Philippe Seta ont trompé pendant 33 ans les médecins et leurs patients
Agnès LabreuilAvocate générale
Reprenant chacun des délits reprochés aux prévenus, l'accusation a requis une confirmation de leur condamnation pour "tromperie aggravée" à l'encontre de plus de 7.500 parties civiles et "homicides et blessures involontaires" envers 95 victimes.
"Nous ne sommes pas dans des faits de tromperie ordinaire qu'on appelle souvent le 'délit d'épicier', a argumenté Agnès Labreuil. Les laboratoires Servier et Jean-Philippe Seta ont trompé pendant 33 ans les médecins et leurs patients en commercialisant un produit présentant un risque, identifié dès la fin des années 1960" a-t-elle estimé.
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"Mensonges en bande organisée"
A partir de 1995, lorsqu'une étude démontre que deux médicaments proches du Mediator augmentent le risque d'une maladie pulmonaire grave, on bascule même "d'un risque hypothétique" à "un risque avéré", que Servier fait "le choix délibéré" de dissimuler.
L'accusation a également demandé la condamnation de Servier pour "escroquerie", estimant que la relaxe en première instance s'appuyait sur des "erreurs juridiques".
Pour Jean-Philippe Rivaud, Servier a bien usé de "manoeuvres frauduleuses" pour conduire "les organismes sociaux à rembourser" le Mediator.
A l'audience, Servier et Jean-Philippe Seta ont reconnu une "erreur d'appréciation" mais aucune faute pénale, et assurent avoir scrupuleusement respecté leurs obligations réglementaires. Des "mensonges en bande organisée" a répliqué l'accusation.
La défense plaidera à partir de ce lundi 5 juin. La décision de la cour est attendue le 20 décembre.
(Avec AFP)