C'est sur eux que retombe la mission de mettre en place les groupes de niveaux en français et en mathématiques dans les collèges. Ce directeur d'établissement ne croit pas en cette réforme, trop éloignée de la réalité du terrain. Ni dans sa mise en place, ni dans ses bienfaits.
Dépité. Désabusé. Devant son ordinateur, ce directeur d’un collège en Bretagne est tout simplement sans solution. Le choc des savoirs annoncé en grande pompe par le Premier ministre, après son passage au ministère de l’Éducation, semble plus être un mur dans lequel son établissement va se percuter à la prochaine rentrée de septembre que la grande solution pour améliorer le niveau de ses élèves.
“Je fais des simulations d’emplois du temps pour les profs, pour les élèves, pour la gestion des salles de classe… Cela ne rentre pas ou alors mes professeurs devront encore faire de lourds efforts et cela ne sera pas possible partout" explique-t-il.
Les groupes de niveaux ? Cela va bloquer au moins pour des raisons d’organisation
Un directeur de collège en Bretagne
En lien avec les autres chefs d’établissements de la région, son sentiment est clair. “Dans la moitié des collèges de France, cette mise en place des groupes de niveaux ne pourra pas se faire. Cela va bloquer au moins pour des raisons d’organisation”.
Groupes de niveaux ou classes de niveaux, peu importe les termes employés pour Jean* (prénom d’emprunt), cette grande réforme de l‘Éducation nationale prend le problème à l’envers.
Protégé par l’anonymat, ce directeur de collège bien noté en Bretagne fait le point sans langue de bois.
La réforme Pisa : remédier à la baisse du niveau des élèves
Point de départ de cette réforme : la dégringolade des élèves français au classement Pisa, ce classement international qui évalue les performances en mathématiques et français. La France est tombée à la 26e place après "une baisse inédite des performances des élèves".
Ces résultats décevants sont le fruit d'une série d'évaluations étalées sur huit semaines, menées entre avril et mai 2022, impliquant 6.770 élèves âgés de 15 ans.
Loin du ministère de l’Éducation mais proches de ses élèves, Jean* propose une solution pragmatique pour améliorer les résultats des collégiens. “Plutôt que de revenir aux solutions du passé, il vaut mieux moderniser les programmes et s’approcher des attentes liées au PISA, souligne-t-il. C’est ce que font les pays nordiques. Et là, pas de doutes, les résultats vont progresser”.
Le douloureux retour aux vieilles méthodes
Après son passage éclair de cinq mois à l’Éducation, Gabriel Attal est affirmatif. Les groupes de niveaux au collège en maths et en français seront la règle sur "les trois quarts de l'année au moins" et la classe "l'exception".
“Pendant 25 ans, il ne fallait pas différencier les élèves, souffle Jean*. Nous avons mis en place des classes avec des groupes hétérogènes car le monde scientifique nous a prouvé que cela faisait progresser les élèves. Et là, on nous explique que ce n’était pas la bonne méthode. On nous demande de refaire des classes pour les bons, d’autres pour les très mauvais et une troisième pour les moyens. Ce n’est pas facile à avaler et à faire accepter”.
Si le Premier ministre refuse de parler de classes de niveaux pour toutes les matières, les cours de maths et de français représentent de 35 à 40% du temps scolaire.
Le directeur le sait, ce n’est pas toujours simple de faire classe quand les niveaux sont très différents. “Mais dans les classes trop uniformes, il peut y avoir également un manque de dynamisme”.
Les élèves dont le niveau est très faible
Selon lui, derrière le besoin de créer des groupes de niveaux se cache le problème des élèves très faibles. “Certains ne savent pas lire en 4e ou 3e, observe Jean*. Ils arrivent tout juste en France. D’autres, porteurs de handicap ne devraient pas être chez nous. Actuellement, nous n’avons pas les structures pour accueillir le handicap Et cela provoque des fossés dans une classe”.
Un problème mis de côté qui pénalise les enfants. “J’ai plus d’une dizaine de 6e qui sont au collège car les parents attendent des places en milieu spécialisé type ULIS ou IME (institut médico-éducatif;NDLR). D’autres devraient être en Segpa (les classes pour enfants en difficultés scolaires, NDLR)”.
Ces élèves attendent parfois depuis le début de leur scolarité, souvent le CE2, que des places se libèrent pour les accueillir. Faute de mieux, ils continuent leur scolarité comme ils peuvent.
L’avis de Jean* est tranché. “La réalité est que l’on fait des classes de niveaux pour ces élèves qui ne sont pas dans le bon parcours”. Pour lui, “heureusement, des réussites arrivent grâce à la détermination de professeurs et la volonté de certains élèves mais ce n’est pas le lot de tous”.
On impose à des enseignants de changer de métier
Directeur de collège en Bretagne
Et dans ces groupes de niveaux, l’un est destiné pour ces élèves en grande difficulté scolaire. “Je devrais mettre un professeur dans leur classe. Et d’un coup, il se retrouve à enseigner uniquement face à des élèves qui relèvent de Segpa ou d’institut. C’est un autre métier, une autre formation. Ils ne sont pas tous préparés pour cela.”
Plus d’heures d’un côté, moins de l’autre
Pour continuer à expliquer pourquoi il rejette cette réforme, le directeur poursuit. “Mettre en place les emplois du temps va être d’une grande complexité et créer de fortes frustrations”.
Logiquement avec plus de classes, les enseignants vont devoir effectuer plus d’heures de présence face aux élèves et plus de temps présents dans l’établissement.
“Je n’ai pas de classes pour accueillir des enseignants qui attendent de redonner un cours. Pas de lieu où ils peuvent corriger des copies ou préparer leur prochain cours. Ils n’auront plus de temps pour assister à nos réunions, nous devrons faire les réunions sur leur temps de classes. Les élèves seront donc “libérés”. Et des cours optionnels vont disparaître, ils ne pourront plus les donner faute de place dans l’emploi du temps.
Cette réforme ne tombe pas au bon moment
Directeur de collège en Bretagne
Le directeur souffle. “Déjà que la profession perd en attractivité mais là, c’est encore un coup rude. Vu le contexte, ce n’était pas le bon moment. On voit des collègues qui se posent des questions sur leur utilité, mais avec cela en plus…”
La vision d’un seul homme
Pour ce directeur, des parents d’élèves ou certains profs peuvent être séduits par ce discours de changement. Mais à ses yeux, cette réforme n’est pas réalisable. Trop de contraintes organisationnelles, pas assez de moyens mis en face. Impossible à organiser dans les petits collèges ou dans les gros groupes scolaires. “Les établissements bien dotés en aides pourront y arriver mais nous… Sans compter que le privé pourra encore faire comme il veut”
Pour Jean*, l’actuelle ministre de l'Éducation sait pertinemment que cette réforme ne peut se mettre en place partout. “C’est une ancienne rectrice qui connaît très bien les dossiers. Je vois bien qu’elle est contre mais elle est poussée à le faire. Nous avons eu une visio avec elle et tous les directeurs de collège. Le Premier ministre s’est imposé dans la réunion et a monopolisé la parole. Elle n’a rien pu dire”.
La rentrée 2024-2025 se prépare dès à présent et, comme Jean*, beaucoup de chefs d’établissements ne savent pas encore comment la mettre en place.