Ils sont arrivés de Paris à Brest, après avoir fui leur pays d'origine. Aujourd'hui, l'administration française les renvoie en région parisienne. Julie est l'une de ces réfugiés. Elle va devoir faire ses valises et laisser derrière une vie stable pour une ville où elle ne connaît personne.
C'est à 7h19, très précisément, que Julie (le prénom a été modifié) quittera Brest, ce jeudi 25 avril 2024. Malgré elle. Elle montera dans un TGV direction Melun, en région parisienne. Retour à la case départ pour cette Ivoirienne de 33 ans qui est arrivée en France, à Paris, avant d'être "transférée" à Saint-Brieuc puis Brest il y a tout juste un an.
"C'est zéro"
Depuis qu'elle a posé le pied sur le sol finistérien, la jeune femme s'est petit à petit bâti une nouvelle vie et reconstruite aussi, après avoir vécu l'enfer dans son pays d'origine. "J'ai connu les violences, un mariage forcé et j'ai été excisée, relate-t-elle. Alors, j'ai fui, toute seule, pour chercher un avenir meilleur. A Brest, je l'ai trouvé. Je suis entourée de gens qui m'ont adoptée, qui m'aiment et qui m'aident".
Julie est bénévole au sein de l'antenne locale du Secours catholique qui l'a prise sous son aile. Elle y suit des cours de français. C'est elle qui fait tourner le café solidaire. La jeune Ivoirienne a déposé un dossier de demande de régularisation auprès de l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Suite à son excision, elle est également engagée dans un long parcours de soins qu'elle va devoir interrompre.
Certains veulent s'en aller ailleurs, moi non. Moi je veux rester à Brest parce que je dois tout à cette ville
JulieExilée ivoirienne
Ainsi en a décidé l'office français de l'intégration et de l'immigration (OFII) qui lui a signifié, sans autre explication, qu'elle devait partir et rejoindre un centre d'accueil pour demandeurs d'asile à Melun. "Personne ne m'a demandé mon avis, déplore-t-elle. Qui va m'écouter ? Certains veulent s'en aller ailleurs, moi non. Moi je veux rester à Brest parce que je dois tout à cette ville et aux gens qui m'ont redonné confiance. Qu'est-ce que je vais faire en région parisienne où je ne connais personne ? Et mes soins ? Mes rendez-vous médicaux ? Il faut que je recommence tout. C'est zéro" lâche-t-elle, dans une colère mêlée de tristesse.
"Un jeu de chaises musicales"
"Révoltant" affirme le responsable de l'antenne brestoise du Secours catholique, laquelle a adressé une lettre ouverte au directeur de l'OFII. "Ces déplacements sont dénués d'humanité, observe Jean-Claude Tanguy. Que l'on ne nous dise pas que les raisons sont administratives car on assiste à un jeu de chaises musicales qui consiste à libérer des places ici pour remplir là-bas et remplir à nouveau ici".
On a la nette impression que l'administration française n'a pas envie qu'ils créent des attaches trop longtemps au même endroit
Jean-Claude TanguyResponsable de l'antenne brestoise du Secours catholique
L'association constate que "le mouvement s'accélère". Pas plus tard que la semaine dernière, 8 personnes prises en charge par le Secours catholique ont été déplacées. "Deux autres encore avant elles, dont un jeune Guinéen qui n'a même pas eu le temps de dire au revoir à ses collègues de l'atelier mobilier où il était bénévole" détaille Jean-Claude Tanguy.
Du jour au lendemain, ces exilés doivent empaqueter leurs maigres affaires. "On a la nette impression que l'administration française n'a pas envie qu'ils créent des attaches trop longtemps au même endroit, analyse le responsable du Secours catholique à Brest. Alors, elle les trimballe d'un endroit à un autre, comme des pions".
"Hurler notre désaccord"
En arrivant à Brest en avril 2023, Julie n'imaginait pas que le répit serait si court. A l'exil non désiré mais imposé par la nécessité de sauver sa peau, là voilà à nouveau aujourd'hui condamnée à l'errance qui la laisse dans un grand désarroi. "C'est insupportable, s'insurge Jean-Claude Tanguy. Que ce soit pour Julie ou tous les autres qui ont vécu des choses abominables avant de trouver refuge ici. Nous sommes indignés. Que pouvons-nous faire face à cette administration française qui ne tient pas compte des êtres humains à part hurler notre désaccord ?" interroge-t-il.
La lettre envoyée à l'OFII n'a toujours pas reçu de réponse. "Mais on ne désespère pas d'en avoir une, souligne encore le Secours catholique. On veut comprendre ce qui justifie de les obliger à quitter un centre d'accueil à Brest, une ville dans laquelle ils ont commencé une vraie intégration, ont créé des liens d’amitié, ont mené des actions comme bénévoles dans diverses associations et surtout entamé et poursuivi un cycle d’apprentissage du français".