La barre des 200 % de surpopulation à la maison d'arrêt de Brest a été franchie. Comme les agents pénitentiaires, les soignants tirent la sonnette d'alarme. Ce mercredi 17 avril 2024, ils ont prévu un débrayage devant la prison. Médecin coordinatrice, Elisabeth Gravrand dénonce les mauvaises conditions de soin et les risques d'agression.
Dans l'unité sanitaire de la prison de Brest, Elisabeth Gravrand, la médecin coordinatrice, reçoit ses patients, minerve au cou : elle souffre encore d'une entorse des cervicales suite à l'agression dont elle a été victime deux mois plus tôt.
"C'est sur moi que c'est tombé"
Le 14 février 2024, une détenue la pousse violemment lors d'une consultation puis tente de se jeter sur elle, avant que deux surveillants n'interviennent.
"On n'avait jamais eu d'agression physique dans l'unité sanitaire jusqu'ici parce que c'est un endroit plus calme que le reste de la prison, un endroit sanctuarisé, assure Elisabeth Gravand. C'est sur moi que c'est tombé."
La détenue aurait dû être hospitalisée la veille. "Elle avait été vue par un autre médecin de la prison qui avait demandé son placement urgent en unité de soins psychiatriques, explique la responsable de l'unité sanitaire de la prison. Mais il n'y avait pas de place. Je l'ai revue le lendemain, elle était encore plus mal… Alors, elle a décompensé en prison au lieu de le faire à l'hôpital."
Soigner en prison, c'est déjà très difficile à la base, alors avec cette surpopulation, ce n'est plus tenable
Elisabeth GravrandMédecin coordinatrice de l'unité sanitaire de la maison d'arrêt de Brest
La conséquence d'un manque de places à l'hôpital et d'une surpopulation galopante à la maison d'arrêt de Brest qui met les détenus sous tension et ne permet plus aux soignants de travailler normalement.
"Heureusement qu'il y avait deux surveillants ce jour-là, soupire la médecin. Faute de moyens, on n'en a souvent plus qu'un seul dédié à l'unité sanitaire. Soigner en prison, c'est déjà très difficile à la base, alors avec cette surpopulation, ce n'est plus tenable."
Une population carcérale "souvent éloignée des soins"
Composé de deux généralistes à temps plein, de neuf infirmières ainsi que de quelques spécialistes assurant des permanences hebdomadaires, le service qui dépend du CHRU de Brest prend en charge une population carcérale "souvent éloignée des soins avant l'incarcération."
"On a beaucoup de détenus qui arrivent avec des problèmes psychiatriques, qui en développent en détention ou encore qui ont des problèmes d'addiction pour lesquels il faut dispenser régulièrement des médicaments de substitutions, analyse Elisabeth Gravrand. Mais dans ces conditions, on ne peut pas faire un suivi de qualité, pas de prévention."
La maison d'arrêt reçoit les prévenus en détention provisoire et les condamnés à une peine de moins de deux ans. Les nouveaux arrivants sont donc nombreux. Ils doivent en théorie être vus par un médecin sous 48h. Dans la pratique, cela prend parfois plus d'une semaine.
J'en ai un, il n'a pas eu de chance, il en est à sa quatrième annulation de rendez-vous médical faute d'escorte le jour J
Elisabeth GravrandMédecin coordinatrice de l'unité sanitaire de la maison d'arrêt de Brest
"On doit faire des choix entre les nouveaux arrivants, les urgences et nos suivis, explique la praticienne. Et pour les rendez-vous chez des spécialistes au CHU, c'est pire. Un cardiologue, c'est 18 mois d'attente. Mais s'il y a une urgence vitale ce jour-là, l'escorte n'est plus disponible pour accompagner le détenu. On doit annuler le rendez-vous. On devient tous fous. J'en ai un, il n'a pas eu de chance, il en est à sa quatrième annulation de rendez-vous faute d'escorte le jour J."
Et quand il y a plusieurs urgences, ce sont de simples surveillants, non armés qui sont chargés d'escorter les détenus à l'hôpital.
Un jour, on va se tromper de détenus et de barquette de médicaments. C'est dangereux, pour la santé des détenus
Elisabeth GravrandMédecin coordinatrice de l'unité sanitaire de la maison d'arrêt de Brest
Pour ses collègues infirmières, les journées ressemblent à une véritable course contre-la-montre. Chargées de recevoir tous les nouveaux détenus, elles doivent aussi quotidiennement délivrer 172 barquettes individuelles de médicaments, contre 138, il y a un an. Le tout en moins d'une heure et à deux seulement. "Il leur faudrait des rollers pour bien faire" s'agace la médecin coordinatrice de l'unité sanitaire de la prison. Franchement, je suis étonnée qu'il n'y ait pas plus d'erreurs. Un jour, on va se tromper de détenus et de barquette. C'est dangereux, pour santé des détenus."
La surpopulation engendre aussi davantage de tension entre détenus. Les certificats pour coups et blessures se sont multipliés. "Les patients qu'on reçoit sont tous à trois par cellules. Certains devraient être incarcérés seuls en raison de leurs troubles psychiatriques".
À l'image de cet homme de 27 ans qui vient d'être condamné par la cour d'assises de Quimper pour avoir tué son codétenu en 2021 alors que la prison souffrait déjà de surpopulation.
Ces conditions difficiles pour les détenus, comme pour les surveillants et les soignants, le député Jean-Charles Larsonneur est venu les constater lors d'une visite de la maison d'arrêt de Brest ce lundi 8 avril 2024.
Le reportage de Catherine Aubaile et Christian Polet
Avant l'agression d'Elisabeth Gravrand, une infirmière avait déjà reçu de violentes menaces de mort en juin 2023. "On a prévenu que c'était lié à la surpopulation parce que c'était un week-end et qu'il y avait tellement de monde que le patient avait attendu 2h en salle d'attente."
200 % de surpopulation
Pourtant, le nombre de détenus a continué de grimper. Ce lundi 15 avril 2024, le quartier des hommes comptait 438 détenus pour 224 places. Le seuil des 200 % de surpopulation a même été franchi le 8 avril dernier.
"On a l'impression qu'il n'y a pas de quota maximal, se désespère la médecin coordinatrice. On attend quoi ? Qu'il se passe quoi ?, lance-t-elle. Qu'il y ait des surveillants ou des soignants plus gravement blessés ? Mais je crois que même si j'avais été plus gravement blessée, ça n'aurait sûrement rien changé non plus. On est un peu désespérés."
Je me dis que si on quitte le navire, les détenus n'ont plus personne
Elisabeth GravrandMédecin coordinatrice de l'unité sanitaire de la maison d'arrêt de Brest
Mais pas question pour elle d'abandonner la prison : "Je me dis que si on quitte le navire, les détenus n'ont plus personne. Il y a des unités en France où il n'y a plus de médecins. Alors, on reste pour eux."
Plusieurs syndicats de soignants ont déposé un préavis de grève pour ce mercredi 17 avril afin de dénoncer "la dégradation globale des conditions de travail, de la qualité de prise en charge des patients détenus et l'impossibilité de répondre à certaines demandes de soins." Un rassemblement devant la prison est prévu entre 11h et 13h.