Il aura fallu plus de vingt ans à Elyse pour mettre un nom sur ses douleurs chroniques. Cette Brestoise est atteinte de la maladie de Willis-Ekbom, communément appelée le syndrome des jambes sans repos. Agacements, fourmillements, brûlures, secousses, décharges électriques, autant de symptômes qui apparaissent au repos. De jour comme de nuit.
Des nuits morcelées. Très souvent sans sommeil. "Je dors deux heures, tout au plus, une nuit sur deux, confie Elyse Arnaud. Je vous laisse imaginer mon état de fatigue". Une insomnie provoquée par une douleur. Insoutenable. "Elle peut prendre la forme de brûlures dans une jambe ou un bras, de piqûres intenses. Il y a des fourmillements, des picotements et surtout des agacements qui entraînent un besoin irrépressible de bouger, de se lever"
Cette Brestoise est atteinte de la maladie de Willis-Ekbom, laquelle touche entre 8 % à 10 % de la population française. Elle est communément appelée le syndrome des jambes sans repos, même si elle ne cible pas seulement les membres inférieurs.
Maladie invisible
Chez elle, Elyse est en mouvement perpétuel. Ou presque. Dans le salon, on repère en entrant un pédalier sous le bureau. "J'ai trouvé ce système-là, montre-t-elle. Pédaler quand j'ai des choses qui m'obligent à rester assise devant mon ordinateur. C'est pas trop mal".
S'occuper l'esprit réduit aussi les symptômes. "Dès que l'on n'est plus actif, la crise surgit" relate cette ancienne documentaliste aujourd'hui à la retraite.
Ne pas bouger revient à laisser la crise s'amplifier et durer
Elyse Arnaud
Se poser dans un canapé pour lire ou regarder un film, se coucher pour dormir, il y a bien longtemps qu'Elyse ne sait plus à quoi cela ressemble. La maladie "invisible" dégrade sa qualité de vie, handicape son quotidien depuis une trentaine d'années.
Pour meubler ses nuits, elle met un casque sur ses oreilles et écoute de la musique ou un livre audio, en marchant. Elle s'installe également au piano, pour se changer les idées, en espérant que le sommeil finisse par la cueillir.
Quand elle se rend au théâtre, elle veille à obtenir un siège en bout de rang, "pour pouvoir sortir et faire quelques pas, si besoin". Elle prend sur elle, parfois. "Car j'ai envie d'être comme tout le monde". Elle serre les dents si la douleur devient trop forte, "je sais pourtant que ce n'est pas la solution parce que ne pas bouger revient à laisser la crise s'amplifier". Elle est dure au mal mais quand même.
Elyse parvient à dormir, "enfin somnoler", quand le traitement reste efficace. Elle en a expérimenté beaucoup, des médicaments, dont des dérivés morphiniques pour atténuer les décharges qui griffent son corps sans crier gare. L'immobilité est sa pire ennemie. Les jambes sans repos ne lui en laisse aucun.
Différentes formes
C'est par hasard que la Brestoise est parvenue à mettre un nom sur sa souffrance. A la faveur d'un article décrivant la maladie de Willis-Ekbom. "Je me suis dit : 'tiens, ça ressemble à ce que j'ai', raconte-t-elle. Il y avait ce terme 'syndrome des jambes sans repos'. A partir de là, j'ai fait des recherches".
Elle croise également la route de l'association France Ekbom. "Ça a changé ma vie" souffle celle qui y trouve aide et écoute. Elle consulte alors un neurologue qui pratique un examen clinique, assorti d'un questionnaire précis. Ses douleurs ont désormais un double patronyme : Willis-Elkbom, en référence aux deux médecins qui ont observé cette pathologie - le premier en 1672, le second en menant une étude poussée en 1945.
Sur sa lancée, Elyse crée l'antenne finistérienne de l'association et organise des conférences sur le sujet. Comme ce 28 janvier, au Patronage Laïque du Pilier-Rouge, à Brest.
Dans la salle, pas une chaise libre. Au micro, le docteur Erika Follin, neurologue à Quimper qui explique que les examens servent "à éliminer toute autre cause". "Il y a la forme pure du syndrome des jambes sans repos, dit cette spécialiste, mais il y a aussi des formes secondaires liées à des pathologies de type neuropathies, troubles endocriniens tels que le diabète, la thyroïde, etc. On doit faire la part des choses".
Répercussions
La neurologue voit défiler dans son cabinet des personnes qui, en tout premier lieu, se plaignent de troubles du sommeil, "elles disent qu'elles ont du mal à dormir, qu'elles remuent beaucoup et doivent se lever". La maladie de Willis-Ekbom figure d'ailleurs dans la classification internationale des troubles du sommeil.
Même si les mécanismes de cette pathologie chronique ne sont pas clairement identifiés, la recherche a toutefois permis de mieux cerner son origine : elle implique un dysfonctionnement de la dopamine, un neuro-transmetteur du système nerveux central. "Pour faire simple, indique Erika Follin, l'information n'est pas bien transmise d'un neurone à l'autre par ce neuro-médiateur et donne aux gens une sensation de mouvement alors qu'ils sont au repos".
Cette maladie a des répercussions sur l'état général de la personne, sur son état psychologique
Dr Erika FollinNeurologue
Le traitement principal, composé de médicaments dopaminergiques, permet d'agir sur la dopamine, de compenser en quelque sorte ce qu'elle ne fait pas. "La prise en charge s'est améliorée depuis une dizaine d'années, constate la neurologue. Et puis, c'est une maladie dont on parle davantage. D'autant qu'elle a des répercussions sur l'état général de la personne, sur son état psychologique. Certains peuvent arriver à un point où ils développent un syndrome anxio-dépressif, ce qui se comprend puisqu'ils dorment mal et sont sans arrêt en train de bouger".
La maladie de Willis-Ekbom chamboule la vie sociale, familiale et professionnelle. Elyse en sait quelque chose. Derrière son regard clair, l'épuisement est manifeste. "Vous savez ce dont je rêve ? D'une vraie sieste pour récupérer de mes nuits sans sommeil".