Face à l'augmentation alarmante des prises accidentelles de dauphins communs dans le Golfe de Gascogne depuis 2016, l'État finance une vaste étude pour en diminuer la mortalité dans les filets de pêche, et ainsi répondre à la Commission européenne qui a engagé une procédure d'infraction contre la France dans ce dossier en juillet 2020. Les premiers résultats de l'enquête scientifique établissent que la nourriture des grands animaux marins, anchois et sardines, a augmenté dans le Golfe de Gascogne, et plus près des côtes.
Leur présence n'a rien d'inhabituel : des grands dauphins et des requins-taupes en Manche, des dauphins communs et des marsouins communs particulièrement dans le golfe de Gascogne. Mais les scientifiques constatent que cette mégafaune marine évolue plus près des côtes.
S'il y a toujours eu des dauphins communs dans le golfe de Gascogne, ils semblent désormais plus nombreux sur le plateau continental. Pourtant, au total, "les populations de dauphins n'ont pas augmenté, ça, c'est quelque chose qui est sûr", indique le coordinateur scientifique de l'observatoire Pelagis, à La Rochelle, Olivier Van Canneyt.
Jusqu'à 10 000 dauphins morts prématurément par an
Ce qui a augmenté, c'est leur mortalité dans le golfe de Gascogne. À partir du nombre de cadavres retrouvés à terre, Pelagis estime entre 5 000 et 10 000 par an le nombre de dauphins morts prématurément.
À titre d'exemple, entre le 18 et le 26 septembre 2023, soit en huit jours, une trentaine de dauphins communs se sont échoués sur 25 km de côte, principalement entre Piriac-sur-mer et Le Pouliguen, en Loire Atlantique.
Dans 90% des échouages, les blessures retrouvées sur les cadavres indiquent que les dauphins communs ont été capturés dans des engins de pêches.
Déplacement de leurs proies, évolution de leur habitat, modification des engins et des pratiques de pêche… plusieurs pistes sont explorées depuis que l'État finance, pour cinq millions d'euros, une étude pour réduire les captures accidentelles d'animaux marins par les pêcheurs.
Chercher les bancs de poissons
Lancée en mars 2022 et intitulée "Projet Delmoges", l'étude menée par Ifremer en partenariat avec l'Université de la Rochelle et l'Université de Bretagne occidentale, devrait livrer ses conclusions définitives au printemps 2025.
À l'aide d'un drone marin, des chercheurs d'Ifremer à Nantes ont pu confirmer que des petits poissons pélagiques se concentrent au large des Sables d'Olonne, notamment sur un site classé Natura 2000 et qui reste autorisé à la pêche au filet. Or les petits poissons pélagiques, anchois, sardines, chinchards et sprats, également appelés "poissons bleus", constituent l'essentiel de l'alimentation des dauphins et une bonne part de celle des requins-taupes.
Poissons plus nombreux, mais moins nourrissants
Mathieu Doray, chercheur à Ifremer à Nantes, constate que "les bancs d'anchois ne sont pas plus proches des côtes, mais leur population a fortement augmenté dans le Golfe de Gascogne".
Autre constat : plus nombreux, les anchois sont néanmoins devenus plus maigres. "La taille et le poids des anchois diminuent dans le golfe de Gascogne", précise le chercheur spécialiste des petits poissons pélagiques. "On suppose que les dauphins trouvent [dans le golfe] des poissons qui sont moins intéressants du point de vue énergétique", poursuit Mathieu Doray. Cela pousse-t-il leurs prédateurs, cétacés ou requins, à devoir chasser plus souvent ? Une hypothèse qui est aussi étudiée.
Des eaux plus chaudes
Pour expliquer ces transformations, les conséquences du dérèglement climatique figurent évidemment en bonne place dans les pistes des chercheurs. Didier Gascuel, professeur en écologie marine à l'Institut Agro de Rennes, souligne que les répercussions du réchauffement dans l'Océan Atlantique sur le zooplancton, dont se nourrissent anchois et sardines, restent encore à préciser.
Les petits poissons sont-ils également plus maigres au large ? Les données manquent pour établir une comparaison. D'autres analyses visent d'ailleurs à comparer la concentration en lipides des "poissons bleus" (anchois, sardines, chinchards et sprats) : a-t-elle diminué également chez les petits poissons loin des côtes ?
La piste des filets
Face à la procédure d'infraction lancée par la Commission européenne contre la France, lui ordonnant de remédier aux captures accidentelles de dauphins, les scientifiques s'interrogent aussi sur de nouvelles pratiques de pêche. Pour pêcher différentes espèces de poissons au même endroit, les pêcheurs utilisent-ils des "filets attrape-tout" qui, placés au fond de la mer, ne permettent pas aux dauphins de s'échapper ? C'est une autre piste explorée par les chercheurs, la mortalité des dauphins communs par capture dans les filets ayant augmenté vertigineusement à partir d'une période précise, l'année 2016.
Le coordinateur scientifique de l'observatoire Pelagis, à La Rochelle, précise que "ce ne sont pas seulement les engins de pêche qui ont changé, ce sont aussi les poissons ciblés : avant, on pêchait le bar, maintenant on pêche le merlu", (qui vit au fond de la mer).
"Manque de données sur les pratiques de pêche"
De son côté, le chercheur d'Ifremer à Nantes confirme que les changements dans les pratiques de pêches font partie des hypothèses étudiées par le projet Delmoges de lutte contre les captures accidentelles de dauphins. Mais il note que son Institut dispose pour l'heure de peu de données sur ce volet de l'enquête.
Il faudra donc attendre encore un peu pour connaître tous les facteurs qui menacent de faire disparaître totalement la population de dauphins du golfe de Gascogne.