Des congres se sont échoués massivement sur le littoral finistérien, entre Concarneau et Le Guilvinec. Maladie subite ? Grandes marées ? Toxine libérée par des microalgues apparues il y a une semaine ? Les causes de mortalité suscitent doute et interrogations.
Les premiers cadavres de congres, aussi appelés anguilles de mer, ont été observés le jeudi 22 août 2024, dans le port de Concarneau. Le lendemain, une dizaine d'entre eux sont retrouvés morts sur la plage des Sables-Blancs. Quelque 200 individus se sont ainsi échoués entre Concarneau et le Guilvinec, dans le sud Finistère.
Le phénomène est suffisamment rare pour susciter les interrogations. "Cela fait 27 ans que je travaille à la station marine de Concarneau, c'est la première fois que je vois un échouage massif" note Samuel Iglesias, maître de conférences au muséum d'histoire naturelle.
La piste d'un rejet par les pêcheurs est écartée car il y a trop de cadavres et le phénomène est trop étalé sur la côte
Samuel IglesiasChercheur à la station marine de Concarneau
Le chercheur est dubitatif. Aucune explication sur les causes de la mort n'est, à ce jour, donnée. Toutefois, plusieurs pistes sont explorées. À commencer par celle du rejet par les pêcheurs de ce poisson qui n'a pas une grande valeur marchande. Or, elle est rapidement écartée, "car il y a trop de cadavres et le phénomène est trop étalé sur la côte" précise Samuel Iglesias.
Il envisage même un court instant que cette mortalité soit liée à la reproduction des congres : à la libération des œufs, l'animal meurt. "Le cycle de reproduction n'a pas lieu tous les ans et est semblable à celui des anguilles, relate-t-il. Ils se reproduisent au large et subissent une sorte de métamorphose qui les décalcifie. Là, il n'y a pas de décalcification et le suivi de plancton montre qu'il n'y a pas de larves de congres. J'écarte donc aussi cette hypothèse".
Toxine ? Maladie ?
Autre hypothèse : un bloom de microalgues marines a été signalé dans la baie de Concarneau il y a une semaine, rendant l'eau très marron. Ont-elles libéré une toxine qui aurait pu tuer les congres ? "Rien ne permet de dire qu'il y a un lien de cause à effet, avance le chercheur de la station marine. Pourquoi d'ailleurs cette toxine ne s'attaquerait qu'aux congres et pas aux autres poissons ?".
Sauf que depuis les premiers constats, Samuel Iglesias a reçu d'autres signalements d'échouages qui concernent, cette fois, des bars dans l'anse Saint-Laurent à La-Forêt-Fouesnant, des dorades royales ainsi qu'une quarantaine de homards aux Glénan. De quoi épaissir un peu plus le mystère.
Le scientifique n'exclut toutefois pas la possibilité d'une maladie subite chez les congres pourtant robustes et capables de vivre dans 2 mètres d'eau. "À Concarneau, on les trouve sous des gros blocs rocheux, ils ont le même habitat que les homards, indique-t-il. S'ils étaient affaiblis, ces poissons ont pu être piégés à marée basse, compte tenu des coefficients de marée importants, et mourir par manque d'oxygène. Ceux que l'on a retrouvés vivaient très certainement près du bord" ajoute prudemment le spécialiste.
Analyses en cours et plages fermées
Le mystère reste entier et risque fort de le rester. Le maître de conférences du muséum d'histoire naturelle n'est pas en mesure de mener des analyses toxicologiques ni d'effectuer une autopsie des cadavres. "Ce n'est pas mon travail, dit-il. Je constate le phénomène et l'archive". Il sait, cependant, que la nature massive de l'échouage sous-tend "une cause de mortalité bien précise". Oui mais laquelle ?
Du côté d'Ifremer, à Concarneau, des prélèvements de microalgues ont déjà été réalisés, dès que le phénomène de bloom est apparu et avant la mort des congres. "Les analyses bio-moléculaires sont en cours" confirment Kenneth Mertens et Aourgan Terre. Le chercheur en taxinomie et la technicienne de laboratoire indiquent qu'elles vont permettre "d'identifier l'espèce d'algue et de savoir si elle produit des toxines". Les résultats seront connus d'ici quelques semaines.
La mairie de Concarneau a décidé de fermer l'accès aux plages "jusqu'à nouvel ordre", en raison des nombreux congres échoués. "Les activités nautiques, baignades, promenades et toutes autres activités de loisirs y sont strictement interdites" précise-t-elle dans un arrêté pris ce 25 août, mentionnant la possibilité d'un "risque sanitaire".
"Pas question de se baigner"
Anne, qui est une habituée de la plage des Sables-Blancs, est catégorique : pour elle, la pêche est en cause. "Les pauvres congres ne sont pas morts de la pollution, affirme-t-elle. Je suis certaine qu'ils ont été largués au large des Glénan par des gros chalutiers, ils les balancent car ils ne les vendent pas à la criée, ces poissons".
Le ramassage des cadavres des anguilles de mer sur cette plage de Concarneau est en cours. "Ça ne sent pas bon, dit André, adepte du longe-côte, lequel a préféré remettre sa séance à un autre jour. Il y en a aussi dans l'eau, donc pas question de se baigner, d'autant qu'on ne connaît pas l'origine de leur problème ni pourquoi ils meurent en masse comme ça" souffle l'homme qui ajoute n'avoir "jamais vu un truc pareil".