Violences sexuelles dans l'Eglise. " Il faut se garder de considérer que le dossier est clos "

Deux après la remise du rapport choc de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (CIASE), Alain Cordier, l'un de ses membres, est l'invité du magazine "Enquêtes de région" consacré à ces violences. Pour lui, ces actes sont loin d'appartenir au passé.

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Des dizaines de milliers de victimes. 330.000 très exactement. Quand la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise a rendu son rapport en octobre 2021, il a littéralement fait l'effet d'une bombe. Depuis 1950, 330 000 personnes ont été victimes d'un membre du clergé ou du personnel laïc œuvrant dans des institutions catholiques de France.

Alain Cordier a été l'un des 22 membres de cette commission voulue par la Conférence des Évêques et composée uniquement de laïcs. Pour le magazine "Enquêtes de région", il revient sur ce long travail d'enquête qui a permis de mesurer l'ampleur de ces violences. 

QUESTION : " Pour mener votre enquête, vous avez visité 113 diocèses, 400 institutions religieuses. Avez-vous eu du mal à travailler avec l’Église ? Des portes sont-elles restées fermées ?

Au début, les choses ont parfois été un petit peu difficiles. Quand on a voulu commencer à travailler sur les archives, il y a eu un peu d’inquiétude, il faut être honnête. Quand nous avons réalisé un flyer pour un appel à témoignages, il n’était pas toujours distribué dans toutes les églises. Mais on s’est expliqués, les choses se sont arrangées. A une exception près, où on a eu un refus clair d’un évêque, globalement, l’Église a joué le jeu, ne serait-ce que financièrement puisque nous avons été financés sans aucune réserve.

 

QUESTION : " Le rapport de la Commission a été rendu en octobre 2021 avec ce chiffre de 330.000 victimes mineures en 70 ans. Ce chiffre, il a été étudié par l’Insee qui l’a minoré. Selon vous, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg ? "

C’est la première fois dans le monde qu’une commission s’est engagée dans une enquête en population générale. Ce travail n’avait été fait dans aucun pays. C’est une enquête qui a été critiquée par certains et nous avons soumis ces résultats à des experts en statistiques dont les inspecteurs de l’Insee. Effectivement, ils ont dit qu'il y avait peut-être un biais et s'il y a un biais, il est minorant, ne serait-ce que pour une simple raison : c'est que nous avons interrogé des gens vivants. Par définition, les morts ne se sont pas exprimés.

QUESTION : "  Il y a eu beaucoup de silence, de déni, de non-dit. C’était inhérent à l’organisation de l’institution, de l’Église ? "

Il faut comprendre qu’il y a une responsabilité individuelle des prédateurs, c’est évident, mais elle est inséparable d’un rapport avec l’autorité, avec un environnement censé protéger, mais qui s’est montré défaillant, voire complice.

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QUESTION : " L’Église a d’abord voulu protéger son institution plutôt que les victimes ? " 

Le premier mot du rapport de la CIASE, c’est celui d’une victime qui dit «  je n’en peux plus du silence ». Au fond, c'est briser le silence. 

QUESTION : " Lors de votre travail, vous avez procédé à des signalements pour des faits qui n’étaient pas prescrits. Longtemps, les prêtres se sont abrités derrière le secret professionnel et le secret de la confession. Ca doit changer cela aujourd’hui ? "

C’est un des points, parmi d’autres, qui mérite un questionnement auprès de l’Église. Il y a une obligation dans le Code pénal français qui est que lorsque vous avez connaissance d’actes de violences sexuelles sur un enfant, vous devez faire un signalement au procureur. Dans ce cas, le code pénal lève l’obligation du secret professionnel. C’est une réalité juridique ! 

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QUESTION : " Est-ce que l’Église est prête à faire primer le droit commun sur le droit canon ? La loi des Hommes sur la loi de Dieu ? "

Nous avons rappelé cette exigence du droit de la République. Nous avons également rappelé que le secret de la confession est fait pour protéger le pénitent, en l’occurrence l’enfant. Et donc, on voit bien que dans ce cas-là, la question mérite vraiment d’être posée et réfléchie par l’Église.

 

QUESTION : " En novembre 2023, le pape François a demandé pardon aux victimes au nom de l'Eglise. Ce pardon va-t-il changer beaucoup de choses ? Est-ce que ça peut changer la doctrine ? "

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Il faut bien comprendre que ça n’est pas un problème du passé. C’est un problème toujours présent. Il faut se garder de la tentation de considérer que le dossier est clos. Deuxièmement, je crois qu’il faut comprendre que ça n’est pas seulement des questions de gouvernance, de procédures, c'est un défi pour l’Église de se réinterroger sur des éléments de doctrine qui ont été dévoyés. On ne peut pas, par exemple, continuer à avoir une vision de la sexualité qui met sur le même degré de gravité le viol et la masturbation. On ne peut pas continuer à avoir des procédures judiciaires dans le droit canon qui sont exorbitantes du droit commun puisque la victime n’est même pas présente au procès. Je pense que le Pape a cette exigence et il faut qu’elle soit partagée par l’ensemble des dignitaires de l’Église.

Le magazine Enquêtes de région "Violences sexuelles dans l’Église : la fin d’un tabou ?" est à découvrir ce mercredi 31 janvier sur France 3 Bretagne et France 3 Pays de la Loire à 23h10 ou dès maintenant sur France.tv 

(Avec la participation de Robin Durand et Mathieu Guillerot)

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