Ce jeudi 23 mars, lors d’une manifestation contre la réforme des retraites, un cheminot a perdu un œil. Quand il a appris la nouvelle, Gwendal Leroy a frémi. Il a vécu la même chose pendant le mouvement des Gilets jaunes à Rennes en janvier 2019.
"Quand j’ai entendu qu’un manifestant avait été éborgné lors d’une manifestation à Paris contre la réforme des retraites, pendant quelques secondes, j’ai ressenti les mêmes douleurs que celles que j’ai eues le 19 janvier 2019 ", commence Gwendal Leroy.
Ce jour-là, le jeune cariste participe à l’Acte X des Gilets jaunes. Il est venu manifester à Rennes. En fin d’après-midi, alors que l’ambiance est un peu tendue, il décide de rentrer. Il tourne les talons, s’éloignant du cortège et des forces de l’ordre et s’engouffre dans une rue adjacente. C’est alors qu’il ressent un choc violent. Il tombe. Le chirurgien lui annonce quelques heures plus tard que son œil est perdu.
"Apparemment, le cheminot à Paris a reçu des éclats de grenade de désencerclement, comme moi. Ce sont des projectiles qui vont à 330 kilomètres à l’heure, alors… " Un silence s’installe une seconde.
Des souvenirs douloureux
L’accident du cheminot replonge Gwendal Leroy dans de douloureux souvenirs. "Quand je suis allé voir le psychologue après l'accident, il m’a dit que ma blessure, c’est une blessure de guerre. Pendant les deux premières années, ça a été très dur, confie-t-il. J’ai été marqué à vie."
Gwendal Leroy a perdu le droit d’exercer son métier de cariste. "Avec un seul œil, je n’ai plus de vision en 3D, explique-t-il. Monter des palettes à plusieurs mètres de haut, c’était trop dangereux."
Il multiplie donc les contrats en Intérim, "sans doute jusqu’à 64 ans" grince-t-il, un instant. "Par chance, je n’ai pas mal à l’œil, mais je souffre de douleurs aux cervicales. Je ne tourne plus la tête de la même façon puisqu’il y a tout un côté où je ne vois rien, alors c’est douloureux. "
"Le 28ᵉ éborgné"
Du côté de la justice, rien n’a bougé, depuis trois ans, il attend la copie de son dossier. En vain. "Je voudrais juste faire remarquer qu’aucune des personnes mutilées ou blessées pendant le mouvement des Gilets Jaunes n’a été poursuivie pour avoir cassé, lancé un pavé ou pour quoi que ce soit", souligne-t-il.
Il espère être entendu un jour par un juge pour que le policier qui a tiré la grenade soit condamné, mais il n’y croit guère. "Si un policier était condamné, ses collègues hésiteraient sans doute à être la chair à canon du gouvernement. Ils n’obéiraient plus aux ordres qui leur disent de charger la foule."
"La Police est utile, poursuit-il, je ne suis pas anti-policiers. Mais ce monsieur, c’est le 28ᵉ éborgné de ces dernières années, et je ne compte pas les mains arrachées, les mâchoires défoncées."
Manifester, un droit fondamental
"Certes, il y a de la violence des deux côtés, reconnait Gwendal Leroy. Mais de leur côté, ils sont coqués, ils ont des armures et des armes de guerre. Moi, le cheminot, on a juste manifesté. Et manifester, c’est un droit fondamental en France. Les gens qui descendent dans la rue, ce ne sont pas des factieux. Ils s’opposent à la réforme des retraites et la seule réponse du gouvernement, c'est LBD, grenades de désencerclement, charge sur charge. "
Gwendal Leroy a parfois envie d’aller battre le pavé, mais résiste. "Faites attention ", dit-il aux manifestants, "protégez-vous". "Car quand on est blessé par un représentant des forces de l’ordre, qu’on appelait avant, gardiens de la paix, souligne-t-il en passant, il n’y a pas que notre intégrité physique et psychologique qui est détruite. Toutes les valeurs que l'on nous enseigne depuis notre enfance sur la justice, la démocratie et nos droits, et que nous essayons de respecter, se retrouvent honteusement détruites d'un lancer de bras, ou d'une insignifiante pression de doigt."
"Je souhaite bon courage à ce monsieur, conclut Gwendal Leroy. C’est dur, je le sais, mais surtout, qu’il ne se laisse pas abattre. "