Guerre en Ukraine. La galette bretonne menacée par la pénurie de blé noir. Les agriculteurs appelés à semer du sarrasin

L’association blé noir tradition Bretagne lance un appel aux agriculteurs. Elle cherche des terres et des volontaires pour semer du sarrasin. La Russie et l’Ukraine représentent un tiers des exportations mondiales de blé noir. La guerre va bouleverser le marché. La France importe entre 5 et 10 000 tonnes de blé noir par an. La galette bretonne est-elle en danger ?

"Sans ce grain qui nous est venu, les gens pauvres auraient beaucoup à souffrir" écrivait Noël du Fail, conseiller au Parlement de Bretagne, vers 1550. La culture du blé noir est intimement liée à l’histoire bretonne.

Le sarrasin, originaire de Mandchourie (au nord-est de la Chine) est arrivé en Europe il y a 3 000 ans. Parfaitement adapté aux sols et au climat breton, le blé noir est cultivé dans la région dès le Moyen-âge.

Grâce à lui, des générations de petits bretons se sont endormi le ventre plein de crêpes ou de galettes.

Une plante tombée dans l'oubli

Au début des années 1960, plus de 160 000 hectares de blé noir étaient encore cultivés en Bretagne. Vingt ans plus tard, il n’en restait que quelques centaines. Avec l’arrivée des engrais, le sarrasin ne pouvait pas lutter contre le blé et le maïs aux rendements bien supérieurs. Le blé noir a failli disparaitre.

Dans les années 2000, la production nationale de sarrasin ne couvrait qu’un quart des besoins des crêperies et des particuliers. La France produisait alors 2 700 tonnes de blé noir, dont 2 000 tonnes en Bretagne. Les galettes bretonnes étaient souvent faites à partir de blé noir chinois, russe ou ukrainien.

Face à la demande, les agriculteurs relancent la culture. Dans le sud du pays, le blé noir est semé en deuxième culture et petit à petit, la Bretagne perd sa place de championne du blé noir. Alors qu'elle représentait 70% des volumes de sarrasin, elle n'en produit que 22%.

En 2021, la France a récolté 25 600 tonnes de blé noir, dont 5 600 tonnes dans la région. La France continue donc d’importer du blé noir. 5 à 10 000 tonnes par an suivant les récoltes.

Une plante facile mais qui a quand même des exigences

On appelait souvent le blé noir, "plante des 100 jours", car il est récolté un peu plus de 3 mois après avoir été mis en terre.

"C’est une culture sur laquelle on n’agit pas, décrit Christine Larsonneur, directrice de Blé Noir Tradition Bretagne (BNTB). Il lui faut juste du soleil et de la pluie. N’en déplaise aux uns ou aux autres, il y a les deux en Bretagne ! Il n’y a qu’à attendre que dame nature fasse son travail et qu’elle pousse."

"Le blé noir ne supporte ni engrais, ni pesticides. C’est super mais ça peut être inquiétant pour les agriculteurs de ne pas tout maitriser. Si le semis est raté, c’est raté car il n’y a pas de produits pour corriger le tir."

"On a longtemps dit que le blé noir se contentait des sols pauvres, ce n’est pas tout à fait vrai, corrige Christine Larsonneur. Il n’est pas compliqué, il n’a pas un système racinaire très profond, et se plait sur toutes les terres, mais il a besoin d’un peu de potassium. La culture ne peut être renouvelée qu’une année sur trois sur la même parcelle."

Lionel Guerret, responsable de site de la minoterie Corouge qui fabrique de la farine de blé noir à Réguiny depuis 35 ans défend la culture du blé noir avec fougue. "C’est un produit noble, qui correspond à l’époque et à l’heure de la transition écologique puisqu’elle n’a pas besoin de produits phytosanitaires. Et en plus, ajoute-t-il, c’est une plante extraordinaire pour les abeilles."

Blé Noir Tradition Bretagne a donc besoin de nouvelles terres et de nouveaux agriculteurs.

C’est le moment

"Le sarrasin se sème entre le 15 mai et le 15 juin, c’est le moment pour les agriculteurs de se renseigner et de nous appeler. Nous avons des techniciens qui peuvent leur expliquer comment faire les semis sur une terre réchauffée pour que la plante pousse toute seule et étouffe les mauvaises herbes" affirme Christine Larsonneur.

"Depuis 2010, le blé noir bénéficie d’une IGP, indication géographique protégée. Il y a une demande forte, insiste Lionel Guerret, nous avons déjà connu quatre années difficiles à cause de la météo et les agriculteurs voient les prix des céréales et du colza s’envoler alors ils sont tentés de mettre ces cultures là en place.
Nous travaillons à 95% avec du blé noir français, pour compléter, nous avons été obligés d’en acheter ailleurs. Mais pas en Russie précise-t-il aussitôt, cela nous pose un problème moral."

Il faut que nous puissions livrer nos clients, ce serait quand même malheureux qu’il n’y ait plus de galettes !

Lionel Guerret, responsable de site Minoterie Corouge

Le marché mondial bouleversé

En 2021, la Russie a produit 785 702 tonnes de blé noir, la moitié de la production mondiale (1 612 235 tonnes) et en a exporté 64 000 tonnes. L’Ukraine est le troisième producteur et le troisième exportateur. Evidemment, dans les prochains mois, les deux marchés risquent de disparaitre.

A Vitré, Romain Tirel, de la crêperie "La Clé des champs", utilise 100 % de blé noir breton. "Cela fait partie de notre ADN. Je fais du bio et du local, je ne vais pas faire venir du sarrasin de Russie. Mais, on ne sait pas combien de temps cette guerre va durer."


Jean-Luc Le Toquin, qui vend des crêpes et des galettes sur les marchés du Morbihan depuis 2018 à bord de son camion, "La Bilig qui roule", est un peu inquiet. Il ne travaille qu’avec du blé noir breton.

"Si je change de farine tout le temps, mes galettes n’auront jamais le même goût, mais quand il n’y aura plus que de la farine de blé noir française sur le marché, tout le monde voudra en acheter… les prix augmenter !"

Peut-être une bonne occasion

Michel le Friand, responsable des métiers du grain chez Eureden se veut rassurant : "la situation est compliquée mais ce peut être aussi une chance. Puisque les engrais azotés sont très chers, ça peut devenir intéressant de semer une plante qui n’en n’a pas besoin."

"Les agriculteurs sont attirés par les hausses record des prix des céréales, poursuit-il, mais notre rôle, c’est de leur rappeler que le blé noir breton avec son IGP est bien payé. Il ne connait pas les envolées du blé ou du tournesol, mais cet automne au moment de la récolte, si les sarrasins russes et ukrainiens font défaut, les tarifs pourraient grimper !"

"Entre les caprices de la météo et les incertitudes de la situation internationale, il est difficile de savoir ce qui va se passer, résume Lionel Guerret. " Il faut espérer, rien n’est joué, on verra quand les récoltes arriveront dans les silos !"

Tous les producteurs intéressés pour implanter cette culture après couvert végétal ou jachère (qui peut être travaillée en 2022) peuvent contacter rapidement :
L’association Blé Noir Tradition Bretagne : bntb-chrisitnelarsonneur@orange.fr ou 06 21 93 33 46

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