Bretagne Vivante, la LPO et d'autres associations s'opposent en justice contre la reprise de l'exploitation de la carrière du Tahun, à Guémené-Penfao, par le groupe Pigeon, d'Argentré-du-Plessis. Le plan d'eau, créé après le départ du dernier exploitant, risque d'être vidé. Ils demandent une décision en référé.
Les opposants à la remise en exploitation de la carrière du Tahun, à Guémené-Penfao (Loire-Atlantique), ont demandé ce mardi 11 juin 2024 au juge des référés du tribunal administratif de Nantes de suspendre en urgence l'arrêté préfectoral qui avait été octroyé en juin 2023 au groupe Pigeon Carrières.
L'association de défense de l'environnement Bretagne Vivante, celle de protection animale AVES France, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) de Loire-Atlantique, le collectif Carrière Tahun et dix-huit riverains qui se sont joints à eux sont en effet convaincus que le carrier d'Argentré-du-Plessis (Ille-et-Vilaine) va bientôt commencer à vider le plan d'eau qui avait été créé après le départ du précédent exploitant.
Leur avocat a donc commencé par rappeler que ce projet consiste en un "approfondissement assez conséquent" de la fosse actuelle d'environ "quinze mètres", et que l'instruction de ce dossier a été "particulièrement étendue dans le temps" puisqu'elle s'est étirée "de 2015 à 2023", ce qui est "peu fréquent" dans ce type de dossiers.
Face à ces travaux qui sont menés "au fil de l'eau", il lui est donc "difficile" pour l'avocat des défenseurs de l'environnement et des riverains de savoir "à quel moment" il est le plus opportun d'introduire une demande de référé-suspension, une procédure où il faut démontrer au juge qu'il y une "urgence" à suspendre la décision attaquée. Or, "l'évolution du site" ces derniers temps laisse à penser que "nous approchons" de cette étape "importante et essentielle" qu'est la vidange du site, "la dernière étape du projet".
Éviter la "politique du fait accompli"
Les défenseurs de l'environnement et les riverains ont donc "intérêt à agir" dès à présent "pour éviter cette politique du fait accompli" : si l'arrêté préfectoral était censuré dans deux ans environ par le même tribunal administratif de Nantes, réuni cette fois-ci en formation collégiale, ce site aujourd'hui "toujours attractif pour les espèces protégées" serait altéré.
Me Thomas Dubreuil a donc insisté sur "la très forte ancienneté des données" sur lesquelles l'Etat s'est appuyé pour donner son feu vert : elles remontent "à 2013", soit "dix ans" avant la décision attaquée, a-t-il reformulé en d'autres termes. La "qualité" de ce dossier est ainsi "en décalage substantiel avec le niveau de qualité qu'on peut retrouver dans d'autres projets" postérieurs à l'avis du Conseil d'Etat du 9 décembre 2022, qui avait "clarifié" les conditions d'octroi des "dérogations" à l'interdiction de destruction des espèces protégées.
La Mission régionale d'Autorité environnementale (MrAe) est quant à elle "un peu ambiguë" dans l'avis favorable qu'elle a rendu, puisqu'elle convient que l'étude d'impact du projet "pâtit de sa relative ancienneté". De plus, des membres du Collectif Carrière Tahun "ayant des compétences naturalistes" ont détecté des espèces protégées qui ne figuraient pas dans les données de 2013. A ces "lacunes assez substantielles", s'est ajouté un "vice" de procédure puisque la Commission locale de l'environnement (CLE) n'a pas été consultée.
L'avocat des opposants à la remise en exploitation de la carrière a aussi réfuté que le site puisse être considéré comme "anthropisé" - c'est-à-dire colonisé par l'Homme - même s'il a accueilli par le passé "des raves-parties", une "décharge illégale" puis une "base de loisirs". "Mais les raves-parties, ce n'est pas quotidien... On est sur un simple usage ponctuel, qui n'est pas comparable avec les passages incessants de camions et les mouvements de terre d'une carrière", a souligné Me Thomas Dubreuil.
Potentiellement jusqu’à "80 poids lourds par jour" dans le bourg de Conquereuil
Le collectif qu'il défend a aussi "fait l'effort d'aller voir des experts hydrogéologues" et ces derniers ont conclu que le projet allait "conduire au tarissement des sources qui ont été repérées". "On nous dit que les déchets qui seront stockés sont inertes et qu'ils ne présentent strictement aucun risque, mais les contrôles peuvent être défaillants... Or, nous, nous nous plaçons dans le prisme d'une prévention maximale", a pris soin d'insister l'avocat des défenseurs de l'environnement et des riverains.
Me Thomas Dubreuil a aussi rappelé que cette remise en exploitation de la carrière du Tahun va entraîner une "très forte circulation dans le bourg de Conquereuil", avec "quatorze passages en moyenne par jour" de camions. Un chiffre "lissé sur l'année", a-t-il rappelé, ce qui signifie que ce trafic pourra théoriquement grimper "jusqu'à 70 ou 80 poids lourds par jour" si le carrier prend soin de ne pas en faire rouler certains jours. Le niveau de circulation sera donc "clairement disproportionné" pour cette commune de 1.000 habitants.
Le représentant du préfet de la Loire-Atlantique, pour sa part, a convenu que la durée de l'instruction de ce dossier avait été "très étendue" mais cette durée tient avant tout à des "circonstances particulières" liées à "l'épidémie de Covid-19" et à "la volonté de faire évoluer ce projet en cours de route". Deux enquêtes publiques "complémentaires" avaient ainsi dû être menées après celle de 2019, qui s'était conclue par "un avis favorable avec réserves".
"On ne peut pas partir du postulat qu'il va y avoir de la triche et que le pétitionnaire [le groupe Pigeon Carrières, ndlr] va frauder", s'est également dit convaincu le représentant du préfet à propos des potentiels "dangers" des "déchets inertes" qui seront stockés sur place. "Il y aura des contrôles pour cela", a-t-il tenté de rassurer le juge et les opposants.
De "forts soupçons de pollution" de l'eau
L'avocate du carrier, pour sa part, a estimé qu'il n'y avait pas d'urgence à statuer dans ce dossier puisque la vidange du plan d'eau "ne se fera pas du jour au lendemain" et qu'elle sera "très progressive". "Cela se fera petit à petit : quatre phases sont prévues sur quinze ans, et la phase 1 ne se fera pas dans les prochains mois, ni même avant l'été", a-t-elle promis au juge. Le défrichage du terrain est quant à lui "achevé depuis fin août 2023".
Elle a également réfuté le caractère "ponctuel" de l'anthropisation de ce site "très pollué, très fréquenté et très perturbé" puisque "des articles de presse" témoignaient en 2020 de l'arrivée de "hordes de baigneurs" aux beaux jours, bien que le site de Pigeon Carrière soit théoriquement interdit d'accès au public. Elle a également cité les "innombrables amas de détritus qui jonchent" les berges du plan d'eau, sans compter les "3.000 à 5.000" teufeurs venus se rassembler "sur trois jours" pour danser lors de raves-parties.
"On a l'impression qu'il s'agit d'un plan d'eau naturel, avec une belle couleur turquoise, mais ce n'est pas une eau propice à la colonisation par les amphibiens : son pH est acide, il y a de forts soupçons de pollution et les berges sont abruptes", a-t-elle souligné.
Enfin, l'avocate du carrier a mis en doute les "compétences" techniques des membres du collectif qui ont découvert de nouvelles espèces protégées sur le site, parlant tout au plus de simple "passion". "Ils savent faire la différence avec un rhinocéros", a répondu Me Thomas Dubreuil, rappelant au passage que la LPO, Bretagne Vivante et AVES France sont agréées par le ministère de l'Environnement pour introduire des actions en justice dans ce type de dossiers. Le juge des référés, qui a mis sa décision en délibéré, rendra son ordonnance dans les prochains jours.
SG/GF (PressPepper)