Dans un livre à paraître le 12 avril, le journaliste Nicolas Legendre décrypte les mécanismes de l'industrie agro-alimentaire en Bretagne. S'appuyant sur des centaines de témoignages, il met à nu "un système" opaque qui broie les plus faibles et en enrichit d'autres. Une machine bien huilée où l'omerta est la règle.
Nicolas Legendre vient de la terre, de celle que ses parents ont travaillé en Bretagne. "25 vaches, 30 hectares, ils n'ont jamais cédé aux sirènes de l'agrandissement" dit-il. Quand il n'écrit pas, le journaliste rennais cultive son jardin et son verger "à une échelle modeste". Il est aussi naturaliste "très amateur", passionné de botanique et d'agroforesterie. Voilà pour ce rapport à la terre qu'il qualifie de "charnel. Les saisons, les odeurs, les animaux, ce sont des souvenirs merveilleux" confie-t-il.
"Un système qui ne dit pas son nom"
La terre et ce qu'elle recèle de non-dits, de vies brisées, de drames, l'omerta d'un système agro-industriel qui broie les plus faibles ou ceux qui s'opposent, Nicolas Legendre en déroule les mécanismes dans un livre à paraître le 12 avril.
Pendant deux ans, le journaliste a enquêté en Bretagne, mené des centaines d'entretiens avec des paysans, des salariés et cadres de coopératives, des élus, des chefs d'entreprises, des syndicalistes, etc.
Il a également visité une trentaine de fermes "de tous types", précise-t-il, pour tenter de décrypter "un système qui ne dit pas son nom, qui brouille les pistes", un colosse à plusieurs têtes qui en asservit certains quand une minorité s'enrichit, qui affecte les écosystèmes, qui, au nom d'une certaine idée du progrès, entraîne le monde paysan à produire toujours plus, à devenir plus gros en avalant les petits, au risque de crouler sous les dettes et de disparaître. Une machine bien huilée qui sait faire taire les récalcitrants.
Le remembrement, une guerre sans inventaire de pertes
Nicolas LegendreAuteur de "Silence dans les champs"
Silence dans les champs, le livre porte bien son titre. "Cette question du silence est centrale, explique l'auteur. Ce système s'est bâti sur des réussites, mais aussi sur des mensonges, du déni et du silence". Il pointe notamment le remembrement, "un écocide sans mémoire, une guerre sans inventaire de pertes, car peu documenté et peu enseigné", lequel a transformé la topographie des campagnes. "Pour faire une agriculture industrielle, il fallait un territoire adapté et la Bretagne ne l'était pas, relève-t-il. Landes prairies, tourbières, mares, talus, sentiers, cours d'eau secondaires ont été détruits ou modifiés par milliers (...) pour laisser place à un paysage industriel, façonné par des machines, pour produire des denrées destinées à l'industrie".
"On a décimé la société paysanne"
Tout au long de son enquête, Nicolas Legendre a veillé à garder la bonne distance, "à toujours rester dans l'interrogation pour ne pas filer tout droit" souligne-t-il. Il s'est souvent questionné, a connu pas mal de nuits blanches. "Je ne suis pas naïf, je suis quand même issu du milieu agricole et j'avais entendu des choses, relate-t-il. Avant ce livre, j'ai aussi couvert, pendant cinq années, les sujets sur l'agriculture et l'agroalimentaire en Bretagne pour le journal Le Monde".
Le productivisme, c'est l'histoire de promesses non tenues
Nicolas LegendreAuteur de "Silence dans les champs"
De rencontre en discussion, la parole se libère. Et les portes s'ouvrent, un peu plus. En 2021, Nicolas Legendre s'immerge dans cette enquête dont il ne sort pas indemne. "J'ai recueilli des témoignages touchants et émouvants, dit-il. Le monde paysan est victime aussi de ce système. Le désarroi des éleveurs, les drames, les suicides... Le productivisme, c'est l'histoire de promesses non tenues. Promesse d'un travail moins pénible, ce qui est partiellement vrai, promesse de travailler moins grâce à la mécanisation, là encore ce n'est pas juste car on travaille toujours autant voire plus. Il y en a pour qui ça marche, qui s'en sortent économiquement. Très bien. Mais on a décimé la société paysanne. La Bretagne ne compte plus que 55.000 agriculteurs".
Beaucoup ont accepté de parler à condition de rester anonymes. Comme cet homme, "figure du complexe agro-industriel breton" que le journaliste retrouve dans un restaurant. "S'il exige l'anonymat, écrit Nicolas Legendre, c'est parce qu'il aurait subi des représailles après avoir trop ouvert sa gueule".
Silence dans les champs, selon son auteur, "n'est pas pensé comme une enquête classique. C'est aussi un voyage dans des lieux". Nicolas Legendre ne s'attend pas à "un long fleuve tranquille" après la parution du livre. Mais, comme il dit, il savait où il mettait les pieds.