Attentat d'Arras. "Quand on tue un homme, on tue un enfant". Le poète breton Yvon Le Men devait intervenir au lycée Gambetta

Yvon Le Men devait animer à Arras, lundi 16 octobre, une rencontre littéraire dans le lycée de Dominique Bernard. Le professeur de français, grand amateur de littérature, y était inscrit. C'est avec émotion que le poète de Lannion raconte comment la poésie peut avoir son rôle à jouer dans le contexte actuel.

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Il fait les cent pas sur la place des héros, celle qui porte bien son nom à Arras. Elle est jonchée de fleurs, de bougies, de larmes qui ont fui des visages liquéfiés par le drame du 13 octobre. Lui, c'est le poète costarmoricain Yvon le Men. Il a cherché ces jours-ci à mettre des mots sur l'indicible. Le hasard du calendrier a fait qu'il devait animer une rencontre littéraire au lycée Gambetta d'Arras lundi 16 octobre.

Le proviseur a voulu maintenir cette "escale des lettres" comme une bouée rassurante dans la tempête, un temps suspendu dans la fureur. Et puis les alertes à la bombe sont venues tout annuler. Alors, le poète a gardé ses mots au chaud, dans un cœur meurtri. Mais ils vibrent en lui. "Dominique Bernard devait prendre part à cette rencontre littéraire avec moi, alors vous imaginez mon état émotionnel aujourd'hui. Il aimait beaucoup l'auteur Jean Rouaud, qui est un de mes amis", raconte Yvon le Men. "Je voulais commencer hier mon hommage par un texte de Paul Eluard : On a tué un homme, un ancien enfant. Ça veut dire que quand on tue un homme, on tue un enfant"

La poésie ne répond pas aux questions mais elle ne nous laisse pas tomber seul face à elles. C'est un peu un parachute.

Yvon Le Men

poète et auteur

Dans le contexte actuel, on lui demande s'il y a une place pour la poésie ? "Oui, elle a son rôle à jouer. La poésie ne répond pas aux questions, mais elle ne nous laisse pas tomber seul face à elles. C'est un peu un parachute".

Ce lundi, il avait aussi prévu de puiser dans des poèmes très anciens, et puis de lire deux des siens, dont un intitulé "La baie vitrée". "Quand j'étais petit, on m'avait acheté l'encyclopédie en plusieurs volumes. Ça m'a donné le goût du monde, alors que j'étais assigné à résidence avec les livres pour seuls compagnons, alors que je n'avais nulle part où aller, sauf à l'intérieur de moi. J'ai regardé le monde à travers une vitre en me demandant si le monde ne s'était pas arrêté. Et aujourd'hui, c'est ce qu'on aimerait faire. Appuyer sur pause. Se protéger derrière la vitre. Préférer à la violence des cris, des mots doux qui irriguent comme des ruisseaux. La douceur, ce n'est pas la faiblesse".

"La douceur, ce n'est pas la faiblesse"

Yvon le Men avait aussi imaginé évoquer un autre de ses poèmes qui résonne aujourd'hui, "Les Épiphaniques". Ce texte qui parle d'hommes et de femmes en marge de la société, qui se disaient invisibles, mais que le poète a remis dans la lumière. "En se rassemblant, ces gens blessés ont réussi à créer quelque chose. De la pénombre dans laquelle ils vivaient, ils ont réussi à éclairer. Une chaîne de fraternité traverse ce recueil. C'est un message d'espoir", conclut le poète.

"Les réseaux sociaux, c'est là qu'on est entouré d'incendiaires"

Tous ces mots qu'il n'a pas pu lire hier, il les lira ce soir à 19h à Lille, toujours dans le cadre des Escales des Lettres. Cette fois, en résonance avec ce qui s'est passé la nuit dernière à Bruxelles et toujours avec en tête et en cœur le visage de Dominique Bernard. "La fille de la personne avec laquelle j'ai travaillé sur ces Escales a vu la scène du crime au lycée d'Arras. C'est très choquant. Les enfants sont en deuil". Et beaucoup de jeunes posent la question de l'après, "qu'est-ce qu'on peut faire ?" À cela, Yvon le Men dit se protéger des réseaux sociaux (il n'est présent sur aucun) et qu'il est important d'en protéger les adolescents. "C'est la corde tressée autour du cou. C'est là que se nourrit le feu. C'est là qu'on est entouré d'incendiaires. Et de ce point de vue là, la poésie a du travail à faire".


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