En marge de l'open de Rennes, tournoi challenger 100 qui s'achève ce dimanche 15 septembre, coup de projecteur sur un fléau qui gangrène le tennis professionnel depuis quelques années : le cyberharcèlement. Chaque semaine, des joueuses et joueurs se font insulter et parfois menacés de mort par des parieurs mécontents du résultat du match.
C'était en début de semaine, à l'open de tennis de Rennes. Benoit Paire, tennisman français connu pour son comportement parfois arrogant, s'incline 6-1 6-0 en 35 minutes et sort sous les sifflets du public, qu'il gratifie d'un baiser envoyé avec la main.
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Tout de suite, le doute s'installe. Le match était-il truqué? Benoît Paire aurait-il cédé aux sirènes de parieurs? La réponse est non. Le joueur était tout simplement blessé mais n'a pas voulu communiqué là-dessus.
Toujours est-il que cela vient reposer la question de ce fléau qui gangrène le tennis depuis quelques années : le cyberharcèlement des joueurs de tennis.
"On reçoit des messages après tous les matches, confie Jules Marie, 294e joueur mondial et éliminé au 2e tour à l'open de Rennes, des messages d'insultes de la part de gens qui parient sur nous.(...) C'est du harcèlement réitéré".
Ce joueur de 33 ans, très prolixe sur les réseaux sociaux, raconte dans une vidéo le canular dont il a été l'objet. Dans ce cas précis, il ne s'agit pas d'un parieur, mais l'incident montre la pression à laquelle sont soumis les joueurs et joueuses de tennis professionnels.
Joueurs, famille de joueurs, coaches, tournois
Tous les joueurs que nous avons rencontrés à Rennes confirment ce phénomène. Des actes malveillants qui s'étendent à tout l'entourage des joueurs.
"C'est systématique, affirme Sébastien Vilette, coach breton d'Arthur Rinderknech (58e joueur mondial et du Malouin Manuel Guinard, 278e joueur mondial en simple et 70e en double). Après chaque match, défaite comme victoire, mes joueurs reçoivent des flots d'insultes, de menaces. Et à partir du moment où ils ont identifié l'entourage du joueur, ils envoient des messages au coach, mais aussi à la famille du joueur. C'est devenu un problème de plus en plus important, avec une violence de plus en plus importante".
Même les organisateurs de tournoi sont victimes du phénomène. "On a aussi des messages de parieurs étrangers qui nous font comprendre qu'ils ne sont pas contents du résultat. Ça passe par des insultes à l'arbitre, aux joueurs, etc", relate Mathieu Blesteau, directeur de l'open de Rennes. "Mais nous, à part modérer les commentaires sur nos Réseaux, on ne peut pas faire grand-chose", regrette-t-il.
L'anonymat des réseaux sociaux
Ce sont des menaces anonymes. Les joueurs savent que ça n'ira jamais plus loin parce que c'est facile d'envoyer, derrière un écran, des insultes. Il n'y a jamais eu d'actions physiques derrière.
Malgré tout, cette ambiance parfois lourde pèse mentalement. Recevoir au quotidien des flots de messages haineux est déstabilisant. D'autant que les vrais messages, souvent des messages d'encouragement, se retrouvent noyés au milieu de tout ça.
"Ça n'interfère pas sur les résultats des joueurs parce qu'ils sont préparés mentalement, estime Sébastien Vilette Dans des occasions où ils perdent des matches serrés, difficiles, le fait de recevoir des messages haineux et violents derrière peut les entraîner dans une spirale négative".
La face cachée des paris sportifs
Derrière le cyberharcèlement, il y a donc le phénomène des paris sportifs. Ces derniers sont légaux. Mais beaucoup de gens malveillants, souvent liés au crime organisé, et souvent en Russie, tentent de soudoyer les joueurs pour truquer un match. Quand ce ne sont pas des menaces ou de vraies tentatives d'intimidation.
Ça n'arrive pas sur le circuit principal ou challenger mais ces pratiques ont déjà été observées sur les tournois "futurs" (NDLR : sorte de 3e division du tennis professionnel). "Sur ce circuit, précise Sébastien, les joueurs débutent, ils n'ont pas beaucoup d'argent, voire même ça leur coûte de l'argent de mener une carrière professionnelle. Ils sont moins bien entourés et sont des proies faciles pour les parieurs".
Il y a eu des cas de joueurs contactés, à qui on a proposé des sommes d'argent pour arranger un résultat. Ce n'est pas le cas à Rennes, car ce sont des joueurs le plus souvent confirmés qui viennent jouer dans la capitale bretonne.
La résistance s'organise
Roland-Garros puis l'ATP ont développé des logiciels qui permettent d'effacer automatiquement des messages de haine. À chaque joueur la liberté d'y souscrire. De l'avis général, ça marche plutôt bien mais il y a certains messages qui passent au travers, ou surtout des messages qui sont effacés alors que ça ne devrait pas. Par conséquent, beaucoup de joueurs ne l'utilisent pas.
Bien sûr, l'idéal serait d'empêcher de tels débordements de haine. Mais là on n'est plus sur un problème d'utilisation des réseaux sociaux que de tennis.
"Le problème, estime Sébastien Vilette, c'est que le tennis est en partie financé par les sites de paris sportifs donc il faut faire avec. À part peut-être enlever l'anonymat sur les réseaux sociaux et que les gens qui envoient des messages soient identifiés, il n'y a pas grand chose à faire".
Le problème, c'est que le tennis est en partie financé par les sites de paris sportifs donc il faut faire avec. A part peut-être enlever l'anonymat sur les réseaux sociaux et que les gens qui envoient des messages soient identifiés, il n'y pas grand chose à faire
Sébastien Vilette, coach d'Arthur Rinderknech et Manuel Guinard
A l'open de Rennes, l'organisation tente de s'installer quelques pare-feux.
"On lutte avec l'ATP contre les paris illégaux, explique Matthieu Blesteau. On doit faire face à ce qu'on appelle des court siders, des gens qui essaient de s'introduire dans l'enceinte pour parier en direct sur les matches. Nous avons donc quelqu'un de l'ATP qui est également dans les tribunes pour essayer de vérifier qu'il n'y a pas des gens comme ça, à Rennes. On a un système de filtres sur nos réseaux wi-fi".
Il y a aussi tout un tas de mesures qui sont mises en place pour limiter les tentatives de fraude sur les paris en ligne. Mais ce n'est qu'une petite pièce du puzzle de la problématique du cyberharcèlement dans le tennis.
Aujourd'hui, sur les paris sportifs officiels, on peut parier sur à peu près tout. Exemple : le joueur au service va faire une double-faute, ou va marquer trois points à la suite, etc...
J'ai une anecdote. "Du temps où on était encore à Colette-Besson, on a repéré un out sider qui avait un faux ventre, une fausse barbe, des lunettes, une perruque. C'était un parieur qui était black-listé par l'ATP mais qui essayait quand même de s'introduire dans le site pour pouvoir parier en direct avec des mécanismes incroyables. Notamment un mécanisme dans les chaussures, où la personne appuie avec ses pieds sur un dispositif électronique pour envoyer des informations avec un parieur complice à l'extérieur. Ça va très loin ".
Du temps où on était encore à Colette-Besson, on a repéré un out sider qui avait un faux ventre, une fausse barbe, des lunettes, une perruque. C'était un parieur qui était black-listé par l'ATP mais qui essayait quand même de s'introduire dans le site pour pouvoir parier en direct avec des mécanismes incroyables. Il y en a qui ont des mécanismes dans les chaussures, qui appuient avec leurs pieds sur un dispositif électronique pour envoyer des informations avec un parieur complice à l'extérieur. Ça va très loin.
Matthieu Blesteau, directeur open Blot de Rennes
En France, l'ARJEL (Autorité de régulation des Jeux en ligne) veille au grain mais ça ne suffit pas. N'importe quel parieur a le droit d'aller miser sur un match au bar-PMU de son quartier.
Les quatre tournois du Grand Chelem, l'ATP et la WTA prennent le problème à bras-le-corps. Mais il est difficile de lutter contre des actes anonymes. Il est difficile aussi de lutter contre l'appât du gain. Dans le tennis ou ailleurs. Le précédent avec le handball, avec ce qu'on pourrait appeler l'affaire Karabatic à la suite d'un pari sur le match Cesson-Rennes-Montpellier en 2012, dans cette même salle du Liberté à Rennes - ironie de l'Histoire - en est la preuve.