Chaque année, une centaine de corps humains se retrouve sur les tables du laboratoire d'anatomie de la faculté de médecine de Rennes. Ces dons à la science permettent aux étudiants de s'exercer mais restent encore trop peu nombreux.
Ils sont une trentaine à entrer dans le laboratoire d'anatomie de Rennes. Tous sont des étudiants en première année d'internat en chirurgie. Pendant une semaine, ils vont apprendre les premiers gestes sur des corps humains décédés, accompagnés par leurs professeurs déjà médecins, par des spécialistes en gynécologie, en chirurgie orthopédique ou encore ORL.
Dans la salle, l'ambiance est feutrée, apaisée. Les échanges se font à voix basse. Le docteur Krystel Nyangoh Timoh, chirurgien anatomiste et chercheur invite les élèves à avoir une pensée pour la personne qui a donné son corps à la science, à la remercier. Ce temps est désormais inscrit lors de chaque dissection. "C'est un moment privilégié, on sait que ceux qui donnent, c'est un cadeau, dont on prend soin", explique-t-elle.
Ici, personne ne sait qui est sur la table. L'anonymat est préservé, afin de protéger le donneur et ses proches. Le visage du défunt reste constamment caché. Aucune allusion à son âge ou à des problèmes de santé. Pour les étudiants, cela permet d'instaurer de la distance.
Pour autant, ce premier contact n'est pas toujours simple. "C’est perturbant parce que déjà on est à un âge où on n’a pas vraiment côtoyé la mort avant. Il y a des odeurs, c’est plus dur qu’un corps humain normal, ça ne réagit pas pareil, ça ne saigne pas. C’est perturbant parce que c’est quelque chose qu’on ne connaît pas" relève Camille.
L'étudiante ajoute "On pense à la personne bien sûr, on pense à son histoire même si on n’a pas d’information. On n'arrête pas de penser que c’était quelqu’un avec une famille. En dehors de la personne, on pense aussi quand même à notre formation."
Sans anatomie, la chirurgie c’est un jeu de hasard. Rien ne remplace un vrai corps et même si on a des systèmes de simulation virtuels et numériques on n’arrive pas à la vraie réalité du corps humain en 3D avec la possibilité de toucher en fait…
Sept personnes travaillent au laboratoire d'anatomie à Rennes. Isabelle, la secrétaire est celle qui reçoit toutes les demandes de dons. Chaque individu peut exprimer son choix en s'adressant à l'un des 27 centres de dons en France (deux en Bretagne, à Rennes et à Brest). Il faut prévoir de payer des frais, pour le transport du corps et la crémation.
Isabelle renvoit un dossier à compléter. Les donateurs se voient ensuite remettre une carte avec un numéro d'identification, qui les suivra toute leur vie jusqu'à leur décès. "C'est souvent par conviction que les gens font cette démarche, pour que leur corps serve à quelque chose. Beaucoup ont eu affaire à la science et ils veulent redonner ce qu'ils ont reçu, d'une certaine manière", note-t-elle. C'est souvent après 60 ans que les volontaires se manifestent.
Les corps ici sont toujours traités avec beaucoup d'attention et de respect, dans la dignité.
Les corps des donneurs arrivent au laboratoire d'anatomie 48 heures après leur mort. Ils serviront l'enseignement ou la recherche pendant 24 mois maximum. Pendant cette période, c'est Julien, technicien d'anatomie pour l'université de Rennes 1, qui veillera sur eux. Il a en charge leur préparation et leur installation pour les exercices. Pendant les cours, il reste présent dans la salle, attentif, fournit du matériel si nécessaire.
Après les travaux anatomiques, le corps est incinéré. Les cendres sont dispersées au cimetière de l'est, dans un carré dédié, autour d'une stèle à la mémoire des donateurs.
Des corps indispensables à la formation des jeunes
Léguer son corps à la science, c'est un geste rare. En France chaque année, seuls 0,5 % des décès aboutissent à ce genre de don, ce qui représente 2500 personnes. La faculté de médecine de Rennes constate une pénurie. La Covid-19 n'a rien arrangé. Pendant sept mois en 2020, aucun corps n'a pu être reçu pour éviter toute contamination, soit une perte de 60 % par rapport à d'habitude. "Dans l'idéal, il faudrait 150 corps par an, soit 50 de plus qu'actuellement, pour répondre correctement à nos besoins", précise Jean-Eric Berton, ingénieur du laboratoire d'anatomie.
Le laboratoire d'anatomie dans une fac de médecine, c'est central. C'est un repère pour les étudiants. Quand ils arrivent en deuxième année, ils veulent tous savoir où il est
L'ingénieur insiste sur l'importance de ces dons :"C’est important que les gens donnent, puisque qu'il y a les travaux pratiques pour les étudiants en deuxième et troisième année, pour les externes et les internes... Il y a aussi pour les chefs de clinique qui viennent préparer des interventions. Plus on a de corps plus on a de possibilités de répéter et de faire venir les étudiants au laboratoire".