Ils sont Rennais, d’origine marocaine, sénégalaise ou afghane et partagent la même religion : l’Islam. Pour eux, cette année, Ramadan rime avec confinement. Un mois de jeûne et de prière sous le signe de la frugalité, la solitude et la débrouille.
Je fais bouillir de l’eau que je verse sur des feuilles d’hibiscus séchées puis j’ajoute un peu de menthe fraîche et du sucre
Dans sa petite cuisine, Assia prépare du jus de bissap, la boisson nationale de son pays d’origine, le Sénégal. C’est un incontournable de l’iftar, le repas de rupture du jeûne, là-bas. Une sorte de champagne africain - sans alcool, cela va de soi – sur toutes les tables sénégalaises pour les grandes occasions.
Assia remercie Allah et son mari, Mohammed, d’avoir rapporté - en quantité suffisante - de son dernier voyage au pays, les précieux calices rouge carmin. De quoi tenir trente jours, la durée du Ramadan, sans avoir à courir les épiceries exotiques de la métropole rennaise. La jeune mère de famille hume furtivement les effluves qui s’échappent de sa cocotte, à défaut d’y plonger une cuillère, pour goûter le tiep bou dien, qui mijote, un plat traditionnel à base de riz, qu’elle servira un peu plus tard dans la nuit.
On a l’impression que le Ramadan est plus long !
Assia soupire. Les nuits et les jours confinés s’étirent. Elle tourne en rond dans sa cuisine. Cette année, Assia va faire simple puisqu’aucun convive ne viendra s’ajouter aux trois couverts dressés sur la nappe en madras. « Ce qui me manque le plus, confie Mohammed, ce sont les veillées à la mosquée ». Lui, l’imam de la mosquée de Maurepas, fréquentée plutôt par les jeunes des quartiers, a « la nostalgie des retrouvailles ».
Pour garder le contact, les jeunes m’ont encouragé à créer un compte Instagram. Je n’en avais jamais entendu parler !
Mohammed en rit, il est optimiste. Ce Ramadan se fera sans rencontres physiques, sans tarawih (prières collectives du soir spécifiques au Ramadan) mais pas sans échanges. L’imam investit la toile tous les après-midi et certains soirs en fin de semaine pour, dit-il, maintenir le lien malgré tout.
Convivialité à distance
« J’ai préparé sellou (douceur marocaine) en avance et là je termine mes briouates (chaussons en feuilles de brick fourrés de vianche hâchée ou crevettes, coriandre et vermicelles), la harira (la soupe marocaine) et les batbout (pain de semoule cuit à la poêle) ensuite, je dresse une jolie table avec des dattes bien sûr pour rompre le jeûne. Quand j’ai terminé, j’enfile un joli caftan ! »
Volubile, de nature enjouée, Rajaa s’accroche à ses habitudes pré-coronavirus et tant pis si elle partage son Ramadan confiné avec son seul époux. D’origine marocaine, la jeune femme ne renonce pas à la convivialité, ni aux retrouvailles familiales de ce mois saint. « Je fais des vidéos pour la famille, je me connecte sur Skype au coucher du soleil et je fais comme si mes proches, mes amis étaient avec nous ».
Rajaa convoque aussi ses souvenirs : "Les éclats de rire en cuisine avec les copines, les confidences des femmes de la famille, des voisines qui viennent donner un coup de main pour préparer une spécialité culinaire, le parfum du miel chaud et de la menthe. Tout cela me manque".
Chaque nuit, dans son petit appartement fenêtres grandes ouvertes, elle repense aux veillées gourmandes, à ses balades digestives après les prières à la mosquée. « Avec le confinement, ce n’est pas la même chose mais on essaie de recréer une ambiance chaleureuse ».
Rajaa a cessé le travail avec l'instauration du confinement à cause de sa santé fragile, incompatible avec sa double casquette de professeur de langues et auxiliaire de vie. Aux plus âgés, qu'elle ne voit plus désormais, elle regrette de ne pouvoir offrir ses délicieuses chabakia, ces dentelles de pâte aux graines de sésame et amandes nappées de miel. « Peut-être que je pourrais leur porter après le 11 mai, incha’Allah ? » Difficile de lui répondre à ce jour. Incha’Allah peut-être.
Sans travailler, le Ramadan c'est un peu dur !
D'habitude, il passe sa vie derrière les fourneaux. Reza a ouvert l'unique restaurant de spécialités afghanes à Rennes, "Rennes-Kaboul", il y a cinq ans et travaille avec sa mère. "Normalement, j'y suis de 10 heures à 14h30 et ensuite je file faire des courses pour le restaurant avant de rouvrir vers 18h jusqu'à minuit". Une semaine, jour pour jour, qu'il propose de la vente à emporter, mais la reprise est encore très timide : "Je fais à peine dix pour cent de mon chiffre d'affaires, alors qu'en temps normal les mois de mars et avril sont excellents". Comme sa savoureuse cuisine à base de riz basmati, pillier de l'alimentation afghane comme partout en Asie, et de légumes, légumineuses.
Dans son restaurant déserté, ouvert entre 19 et 22 heures dimanche compris, Reza s'affaire et rompt le jeûne en solitaire. Une ou deux dattes, un grand verre d'eau avant de retrouver sa femme et son fils pour partager la traditionnelle shorwa, un potage de légumes et poulet réconfortant. "C'est mon petit de trois ans qui est le plus heureux. Depuis le confinement, il me voit beaucoup plus à la maison ". Une consolation pour ce jeune cuisinier, qui comme beaucoup, prie chez lui, en espérant que ce fichu coronavirus ne soit bientôt plus qu'un lointain mauvais souvenir.
Les recettes de Raja et Seema
- La recette marocaine du sellou de Raja :
- 250 gr d’amandes et 250 gr de noix émondées grillées et mixées
- 500 gr de graines de sésame dorées mixées
- 2 cuillères à café de cannelle, ½ de muscade et de cardamome, 1 d’anis (le tout moulu)
- Quelques perles de gomme arabique (gouza)
- 8 cuillères à soupe de sucre glace, 6 de miel liquide et 2 de beurre clarifié
- 1 pincée de sel
Mélangez les ingrédients secs avant d’ajouter le beurre encore chaud, le miel et malaxez avec les mains pour bien mélanger. La texture doit être sableuse et humide. Dégustez avec un thé !
- La recette afghane de kabuli de Seema :
- 300 grammes de viande (filet de poulet ou agneau)
-2 oignons, 2 carottes, 2 tomates
- 40 gr de raisins secs
- 1/2 cuillère à café de cumin en poudre, de canelle et de cardamome
- 1 gousse d'ail
- sel
- 200 gr d'eau et 100 gr d'huile
Coupez les carottes en julienne, faire chauffer l'huile dans une cassrole l'eau et laissez dorer 10 minutes. Mettez les raisins à gonfler dans un peu d'eau 10 minutes puis égouttez les et baignez les dans l'huile quelques minutes. Dans une casserole d'eau, jetez le riz et réservez. Dans une autre, faites dorer les oignons dans un peu d'huile 15 minutes environ. Ajoutez la viande et laissez cuire. Ajoutez l'eau, l'huile puis salez et épicez avant d'ajouter le riz égoutté. Faites bouillir 5 minutes, ajoutez les raisins secs et les carottes à la préparation. Couvrez et laissez cuire à feu doux pendant 30 minutes. Vous pouvez décorer le tout avec des amandes effilées et des pistaches grillées concassées.
Pour rappel
Le Ramadan est un des cinq piliers de l’Islam. Un mois sacré qui a commencé le 24 mars et dure entre 29 et 30 jours. Les fidèles cessent de s’alimenter, de boire, fumer, avoir des relations intimes, du lever au coucher du soleil. C’est un mois de jeûne, de prières, de piété et de partage durant lequel les musulmans sont invités à multiplier les bonnes actions, aider les plus fragiles et méditer. Cette année, l’épidémie de coronavirus et le confinement les prive, comme les catholiques pour la semaine sainte, de tout rassemblement dans les lieux de culte - fermés depuis le 16 mars dernier – et regroupement (en dehors des familles confinées ensemble).