La Fédération nationale des victimes de féminicides a décidé d'enclencher la vitesse supérieure dans sa bataille pour les enfants orphelins de mère. L'association demande qu'ils puissent bénéficier du statut de pupille de la nation. Elle vient d'adresser une lettre ouverte à Emmanuelle Macron et Elisabeth Borne.
Sylvaine Grévin égrène les noms. Les histoires. Rappelle que, depuis le début de l'année 2023, treize femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. "Onze enfants se retrouvent orphelins de mère. A un moment donné, c'est stop !" lâche la présidente de la Fédération nationale des victimes de féminicides (FNVF) qui annonce, ce 10 février 2023, avoir adressé une lettre ouverte à Emmanuel Macron, ainsi qu'à Elisabeth Borne, pour demander plus haut et plus fort le statut de pupille de la nation pour ces orphelins.
Nous considérons que l'Etat est redevable vis-à-vis des enfants
Sylvaine GrévinPrésidente de la FNVF
Elle, d'ordinaire si mesurée, ne cache pas sa colère face à ce qu'elle appelle "une longue liste noire". "700 victimes de féminicides depuis 2017, 111 orphelins par an en moyenne, soit 555 enfants ayant perdu leur mère, constate-t-elle. Un certain nombre de ces féminicides auraient pu être évités car ces femmes avaient déposé une plainte. Soit la plainte pour violences conjugales a été classée sans suite soit l'auteur n'a pris que du sursis. Nous considérons que ces femmes ont été mises en danger et que l'Etat est redevable vis-à-vis des enfants".
"Légitime"
Anaïck est l'une des signataires du courrier de la FNVF, également paraphé par des associations, des familles de victimes, des personnes engagées dans la lutte contre les violences faites aux femmes. "Ce serait tellement légitime que tous ces enfants, privés brutalement de leur mère, puissent être aidés un minimum, dit-elle. Au lieu de les laisser devenir des adultes malheureux socialement et professionnellement".
Cette Morbihannaise s'est tournée vers l'association quand sa jeune soeur, Alexandra, a été tuée par "celui qui se disait son ami", laissant derrière elle deux enfants aujourd'hui âgés de 10 et 7 ans. "Notre histoire est un peu à part, raconte-t-elle. D'ordinaire, l'auteur est soit le compagnon soit un ex. Là, il s'agit d'un copain d'adolescence que ma soeur avait retrouvé par hasard. Ils se sont revus comme des vieux potes. Elle n'avait aucune relation amoureuse avec lui. Lui, en revanche, était obsédé par elle, ça j'en suis certaine".
Au point de "la massacrer" le 12 septembre 2020, chez lui, après une soirée. "Il s'est acharnée sur elle, confie Anaïck. Il ne lui a pas donné qu'un simple coup de couteau. Il l'a frappée avec des poêles de cuisine et des bouteilles. J'arrive à en parler, même si c'est très douloureux et que j'ai l'impression d'être dans une irréalité".
Anaïck marque une pause puis évoque le procès "qui sera une épreuve", son neveu et sa nièce qui vivent désormais chez leur père, lequel a rompu le lien avec la famille d'Alexandra, "sans raison, comme ça". "Ma petite soeur vivait à 10 km de chez moi, on se voyait souvent, on était très proches et nos enfants l'étaient aussi, ajoute-t-elle. Mon neveu et ma nièce sont orphelins de mère. Je sais qu'obtenir le statut de pupille de la nation ne comblera pas l'absence de leur maman. Mais ça peut être un soutien".
"Les enfants, des victimes silencieuses"
Pupille de la nation, c'est tout d'abord une aide financière pour se nourrir, se vêtir, pour les frais médicaux, les vacances et les études - s'ils vont à l'université, les enfants sont exemptés de frais de scolarité. C'est également un soutien dans les démarches administratives, des assistantes sociales à l'écoute et des emplois réservés dans le secteur public. "C'est tout un réseau qui les accompagne, souligne Sylvaine Grévin. Comment grandir, se reconstruire après un tel drame ? Ces enfants sont les victimes silencieuses des féminicides".
Le statut de pupille de la nation, instauré en 1917, ne concerne aujourd'hui que les enfants de moins de 21 ans dont l'un des parents a été blessé ou tué au cours d'une guerre, d'un acte de terrorisme ou dans l'exercice de son métier.
La présidente de la FNVF souhaite que cette lettre ouverte, co-écrite avec l'association des familles de victimes de féminicides, fasse bouger les lignes. Et débouche sur une proposition de loi "visant à offrir à ces orphelins un futur rempli d'espoir". C'est le combat de sa vie.
Elle rappelle que les féminicides sont qualifiés de grande cause nationale. "L'Etat doit s'engager pleinement dans la prise en charge des enfants. Les proches chargés de leur éducation devraient pouvoir obtenir un accompagnement au même titre que les veufs ou veuves de guerre ou d'attentat. Lorsqu'il tue sa compagne, l'auteur d'un féminicide détruit une famille entière".