Depuis l’annonce de la dissolution et l’impressionnante montée du Rassemblement national, des syndicats, comme la CGT, Solidaires ou la FSU appellent régulièrement à descendre dans la rue pour s’opposer à l’extrême-droite. Certains invitent à faire barrage, d’autres ont clairement appelé leurs adhérents à voter pour le Nouveau Front populaire, d’autres encore, refusent l’idée de consignes de vote. Quel rôle peuvent avoir les syndicats dans cette campagne électorale ?
Dans les manifestations contre le Rassemblement national, les banderoles et les bannières syndicales fleurissent. CGT, SUD, UNSA mais aussi Confédération paysanne. Le score de Jordan Bardella lors des Européennes et la vague bleu Marine qui a déferlé sur la Bretagne pour le premier tour des législatives font un peu sortir les syndicats de leur rôle.
"Jamais, on n’a jamais donné de consignes de vote, on estime qu’on n’est pas des directeurs de conscience", explique ainsi Fabrice le Restif, secrétaire général l’union départementale FO d’Ille-et-Vilaine, "les travailleurs savent très bien ce qu’ils ont à faire et les syndicats n’ont pas à leur dire ce qu’il faut faire sur ce terrain-là."
Mais aussitôt, il enchaîne, "par contre, nous n’avons aucune complaisance vis-à-vis de ceux qui portent des idées racistes, réactionnaires et antisémites, ce sont nos ennemis historiques."
La question de la légitimité
Dans les rangs du MEDEF, on suit évidemment cette campagne électorale éclair à la loupe. "Ça a été un choc pour tout le monde, on est dans un bouleversement total de la vie politique, il y aura donc probablement aussi des bouleversements des entreprises", s’interroge Eric Challan-Belval, président du syndicat patronal en Ille-et-Vilaine.
Pour autant, le syndicat patronal, qui fédère nombre de plus petits syndicats par filières, se garde de s'engager pour des candidats.
"Les chefs d’entreprise que nous sommes sont très attentifs mais le MEDEF ne donnera pas de consignes de vote à ses adhérents. Nous ne sommes pas un parti politique, nous sommes une organisation patronale, notre légitimité c’est de parler des règles économiques, de l’avenir et de la stabilité économique du pays" affirme Eric Challan-Belval.
COMMUNIQUE | Pour une réussite économique française et européenne.#electionseuropeennes2024
— Mouvement des Entreprises de France (@medef) June 11, 2024
Lire le communiqué : https://t.co/eOvhN0RtZE pic.twitter.com/3DY6ZBIlIr
En tant que citoyen, Eric Challan-Belval a un avis, évidemment, qu’il garde et gardera pour lui. Et son organisation a étudié de manière critique les programmes des candidats.
"Sur un certain nombre de points les uns et les autres ont des propositions complètement irréalistes" estime-t-il. "Comment vous envisagez le budget de la France, la dette de la France et la stabilité en énergie ? Aujourd’hui, on voit dans certains partis politiques, on voit qu’il y a entre 100 et 150 milliards de budget qui ne sont pas financés."
Mais le MEDEF veut laisser chacun agir en son âme et conscience et surtout, insiste Eric Challan-Belval "ne pas rajouter de l’huile sur le feu".
Le Ni-Ni ?
À la Coordination rurale, le syndicat agricole marqué à droite, mon ne souhaite pas non plus appeler les adhérents à glisser tel ou tel bulletin dans l’urne. "On fait partie des 7 Français sur 10 qui n’ont pas voté pour l’équipe sortante et on travaillera avec n’importe quel député pourvu qu’il défende nos dossiers agricoles", défend Véronique Le Floc’h, la présidente du syndicat agricole.
Cet hiver, au moment du Salon de l’agriculture, elle avait tenu à préciser que contrairement aux rumeurs, la Coordination ne partageait les idées du Rassemblement national.
Législatives 2024. "On travaillera avec tout le monde". Une victoire du RN n'empêchera pas le dialogue selon la Coordination rurale (francetvinfo.fr)
Mais l’éleveuse a vu les scores du RN, notamment en Centre Bretagne. Elle comprend. Il y a les questions de sécurité, la disparition des services publics… "et toute une population qui se sent, plus qu’ailleurs, délaissée. C’est la Bretagne des industries agro-alimentaires. Pour nous, c’est important que les agriculteurs soient défendus et que tout le para agricole le soit aussi, parce que sans nous, ils n’existeront plus, mais sans eux, nous ne sommes rien non plus !"
🔴 Véronique Le Floc'h, présidente de la Coordination rurale est en DIRECT dans l'émission "Le débat de midi" sur @franceinter
— Coordination Rurale (@coordinationrur) July 1, 2024
" @EmmanuelMacron a abandonné les campagnes et les agriculteurs, ce sentiment de ne pas avoir été entendus. On se dit qu’on est en second rang"
Ecoutez… pic.twitter.com/CGgY1Qll29
Aujourd’hui, les agriculteurs représentent 1,5% de la population active. 760 000 personnes sur 48 millions d’électeurs. Véronique Le Floc’h accuse Emmanuel Macron d’avoir abandonné les campagnes et les agriculteurs et s’inquiète : "il est hors de question de laisser la finance entrer dans nos exploitations parce que demain, avec un tel système, c’est un agriculteur avec un tracteur en location, avec des vaches en location, des terres en location, et il est juste l’esclave d’un système. Nous, c’est tout sauf ça ! ".
Mais elle le répète, la Coordination rurale est totalement indépendante et ne donnera pas de consigne de vote.
Prise de position
La Confédération paysanne, elle, a décidé de sortir de sa réserve." Il ne doit pas y avoir une seule voix d’agricultrice ou d’agriculteur pour le RN, affirme Charlotte Kerglonou éleveuse de vaches laitières à Etrelles et co -porte-parole de la Confédération paysanne d’Ille-et-Vilaine. C’est un parti d’extrême droite qui ne correspond pas du tout à nos valeurs, justifie-t-elle. L’heure est grave."
La Confédération paysanne d'Ille-Et-Vilaine apporte son soutien au #NouveauFrontPopulaire.
— Mathilde Hignet (@MathildeHignet) June 27, 2024
Comme je l'ai fait depuis 2 ans, je continuerai de défendre une agriculture rémunératrice, respectueuse des hommes, des femmes et de l'environnement.
Merci ! pic.twitter.com/XUTxR90hIY
Et elle liste les propositions que le Rassemblement national a refusées : "le RN n’a pas soutenu notre demande de plafonner les aides PAC à 60 000 euros. Nous, on voulait qu’il n’y ait pas un paysan qui touche plus de 60 000 euros par an, cela veut dire qu’ils sont pour que certains s’accaparent le budget de la PAC. On avait des propositions sur les prix planchers pour pouvoir rémunérer les agriculteurs à un juste prix. Cela veut dire ne pas payer les paysans en dessous des coûts de revient et ils n’ont pas voté pour."
Le syndicat se limite à cet appel et refuse d’être plus précis sur les bulletins à déposer dans l’urne. Il veut simplement faire barrage : "le RN n’a pas une politique en faveur d’une agriculture avec des paysans nombreux qui protège les agriculteurs des échanges internationaux. Notre agriculture elle n’est pas fermée, mais il faut des règles pour régir le commerce mondial pour que les paysans français puissent vivre de leur métier et que ceux de l’autre bout du monde aussi. "
Revendiquer, c'est politique !
Les syndicats se tiennent le plus souvent à l’écart des isoloirs, "Moi, mon rôle c’est d’être dans les entreprises, c’est d’être sur la question des revendications", poursuit Fabrice Le Restif. Mais les questions du travail sont politiques.
"Ce n’est pas la peine de dire, on pourrait essayer, on les a vus à l’essai dans les années 30, ils prospéraient déjà sur la crise économique, sur le malheur, la misère et la pauvreté. On les a vus à l’époque de Pétain, la première chose qu’ils ont fait c’est d’interdire le droit de grève, d’interdire les syndicats, d’interdire en fait aux travailleurs de se défendre, alors on ne peut pas rester là, en disant, tout cela ne nous concerne pas. Ce n’est pas une question de politique, c’est que sans un état démocratique, il ne peut pas y avoir de syndicat, il ne peut pas y avoir de liberté ni de droits pour les travailleurs."
Le dernier dessin de Patoche au mois de juin 2024. pic.twitter.com/f1In0Ycbmk
— FGF FO 35 (@fgfo35) June 26, 2024
Et il démonte les arguments du RN. "Il n’y aura pas de droits nouveaux. Sur les retraites, c’est 60 ans, peut-être 62, 64, 66…67. Ils se mettront d’accord, y compris avec le grand patronat. À chaque fois et dans tous les pays où ils sont, ça tape sur les droits sociaux, ça tapera sur les plus pauvres. Simplement, comme la colère sera là, on fera des boucs émissaires, on montrera des charters avec des gens expulsés, mais ça ne donnera pas plus de pouvoir d’achat ça. Une fois de plus, ce n’est pas les immigrés qui ont fait augmenter les prix des produits de première nécessité, qui ont fait les plans de licenciements, qui font que la bourse explose, que les profits explosent. Ce n’est pas eux qui en ont profité donc il faut déporter une vraie colère vers des faux responsables, vers des fausses solutions et c’est cela que l’on veut dénoncer."
Et s’il refuse de guider les choix politiques de ses militants, c’est parce que le secrétaire de Force Ouvrière leur fait entièrement confiance. "Nous avons la mémoire longue et en ce moment avoir la mémoire courte ou être frappé d’amnésie ça peut amener aux pires dérives, et c’est que nous voulons dire, pour le reste, chacun assumera ses responsabilités en tant que citoyens et on n’a pas de craintes là-dessus."
( Avec Lara Dolan et Benoit Le Vaillant )