REPORTAGE. Migrants à Rennes. "Quand on connaît leurs noms, leurs visages et qu’on les croise tous les jours, ça devient plus difficile de dormir"

Depuis le début du mois d’octobre, plusieurs écoles de Rennes sont occupées la nuit par des familles de migrants. Les parents d’élèves ont constitué un collectif, "Elèves protégé.e.s" pour qu’aucun enfant ne dorme à la rue.

Il est presque 19 h, cartable sur le dos, les derniers élèves quittent la garderie de l’Ecole de l’Ille à Rennes. Emilia, Sandro, Lika, Dimetre et Lazare, eux, vont rester sur place. Depuis 5 semaines pour les premiers, un peu moins pour les autres, ils dorment dans leur école. Les uns dans une salle de classe, les autres, dans la garderie. 

Ce lundi soir, c’est Séverine, une des mamans d’élève du collectif Elèves protégé.e.s qui accompagne leurs parents pour l’installation. Tous les soirs, les parents se relaient pour être là.

"Nous ne sommes pas des militants politiques, pas des représentants syndicaux, juste des parents qui ne supportent pas l’idée que des enfants puissent dormir dehors" explique-t-elle.

 Alors, ils sont passés à l'action. 

"Voir les copains de ses enfants dormir dehors, c'est impensable "

 

Ça a commencé cet été, Séverine et les autres ont vu un campement se monter au square tout près de l’école. "Au début, il comptait deux tentes, et puis à la fin de l’été, plus de 80 personnes vivaient là" se souvient la maman.

"Mon fils jouait au foot avec Sandro, et puis en septembre, on a eu un mot d’une maitresse de l’école qui demandait des vêtements pour leur venir en aide. On sait que ça existe des enfants qui dorment dehors, mais quand on connait leurs noms, leurs visages et qu’on les croise tous les jours, ça devient plus difficile de dormir.

Quand le campement a été évacué, le 5 octobre dernier, les parents ont réagi. "On a cherché toutes les solutions possibles mais on ne trouvait rien. Un lundi soir, à 18h45, nous sommes rentrés dans l’école".

"Au moins, ils dorment au chaud"

Une première famille s’est installée : Krystin, son mari et ses deux enfants, arrivés de Géorgie en 2021. Quelques jours plus tard, une autre famille est arrivée.  

"Nous avons dormi sous une tente, témoigne Khatia. C’était très très difficile pour moi, je pleurais toute la nuit parce que je voyais mes enfants dormir dehors."

Le matin, lorsque les écoliers arrivent, la famille doit quitter les lieux. Elle revient lorsque les derniers élèves sont repartis. "Chaque soir, il faut ressortir les matelas, les couettes et les oreillers, mais au moins, ils dorment au chaud " se réjouit Séverine.

Les parents d'élèves solidaires du petit déjeuner au coucher

Les parents de l’école ont établi un roulement pour apporter de quoi manger. Un gratin de coquillettes, une soupe chaude, du café, du pain, un livre, une couverture, des sourires. A chaque denrée qui sort du sac, Kristin prononce un nouveau merci. Des parents ont prêté un frigo. La vie s’organise.

"C’est beau cette solidarité, ça donne de l’espoir parce qu’on se dit que tout n’est pas pourri, qu’il reste des traces d’humanité… mais en même temps, s’interroge Séverine, ça pose question, parce que si on le fait, c’est qu’il y a besoin de le faire. Et là, on peut être un peu en colère parce que ça veut dire qu’il y a besoin de le faire, qu’il y a un manquement. Ce devrait être à l’Etat de le faire."

Il y a quelques jours, pour l’anniversaire de Sandro, les parents ont organisé une cagnotte pour lui offrir un cadeau : des billets pour aller assister au match de Rennes. "C’était peut-être l’un des plus beaux jours de sa vie" s’émerveille Séverine.

Je ne sais pas où je serais s'ils n’étaient pas là

Khatia

"Je suis très reconnaissante pour l’amitié que ces gens me portent, je ne sais pas où je serais s'ils n'étaient pas là, confie Khatia. C’est important pour l’espoir, je ne suis plus seule maintenant et cela me rend forte."

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Interview de Khatia, réfugiée géorgienne ©FTV

Système D

D’autres écoles s’organisent aussi pour mettre les enfants à l’abri. Ici, une cagnotte a été ouverte pour financer des nuits d’hôtel. Ailleurs, un appartement a été loué pour un mois. Les parents des élèves de l’école Liberté hébergent tour à tour à leur domicile, Roger, un jeune angolais de 9 ans, sa sœur de 14 ans et sa maman.

"Ils dormaient sous une tente et ont été agressés en juin dernier" explique Sophie, une des mères qui a reçu la famille chez elle. Comme Séverine, elle hésite entre enthousiasme et rage. "C’est super de voir que les gens se mobilisent mais c’est aussi très dur, confie-t-elle. C’est difficile de les faire changer de lieux tout le temps, ils ne peuvent pas se projeter. Ce qu’ils vivent, c’est terrible. Ça fait chaud au cœur mais ce n’est pas acceptable."

"Le premier jour où ils sont arrivés chez nous, on sentait le petit garçon apeuré et puis, il a commencé à jouer, c’est passé. Mais on sent une fragilité. Il a une capacité d’effacement incroyable, il joue sans un bruit, sans déranger, comme s’il avait intégré en lui ce besoin de discrétion."

"On ne sait pas ce qu’ils ont vécu avant de venir en France, mais pour accepter de vivre des choses pareilles et les faire vivre à ses enfants, il faut avoir vécu des choses vraiment difficiles avant."

Parer à l'urgence

Sophie s'inquiète pour ses nouveaux protégés. "Quand on se retrouve directement en contact avec la famille, qu’on les connait, qu’on les a hébergés, on se sent un peu responsable de ce qui leur arrive."

Mais comment faire ? "En composant le 115 tous les jours depuis 6 mois, la famille a obtenu 3 fois 2 semaines dans des hôtels" interpelle Sophie.

Ces 6 derniers mois, le nombre d’appels de familles avec enfants au 115 a grimpé de 30% à Rennes. 85% des coups de téléphone s’achèvent par une réponse négative, les centres d’accueil sont tous saturés. "Peut-être qu’une occupation d’école ça aurait plus de sens, ça les rendrait plus visible et ça permettrait de mieux les défendre."

Les occupations aussi ont leurs limites. Le collectif le pressent et commence à constater la fatigue de certains parents. Amener des paniers de courses régulièrement, cela représente un coût. Passer le soir, ça prend du temps. Chacun s’organise comme il peut mais ce n’est pas simple et "ce n’est pas une vraie solution, déplore Sophie, on pare à l’urgence, on fait des mises à l’abri pas de l’hébergement."

Le collectif n’entend pas pour autant baisser les bras et repousse l’idée de s’occuper de la situation administrative des familles. Peu importe qu’elles aient, ou non, des papiers,  il refuse que des enfants dorment à la rue.

 

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Ecole de l'Ille à Rennes occupée ©FTV

Selon le baromètre des enfants à la rue publié par le SIAO 35 (le service intégré d’accueil et d’orientation d’Ille-et-Vilaine), plus de 1.000  enfants sont en hébergement précaire dans le département.

 

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