Après un mois de fermeture du golfe de Gascogne, pêcheurs artisanaux, défenseurs de l'environnement et scientifiques ont entamé cette semaine un dialogue direct et inédit pour tenter de limiter les captures accidentelles de dauphins, sans condamner la pêche.
"Tout le monde y allait avec un peu d'inquiétude mais le dialogue s'est bien passé", sourit Didier Gascuel, professeur en écologie marine à l'Institut Agro de Rennes. Dans le Golfe de Gascogne, le Conseil d'Etat avait demandé l'intrediction de la pêche du 22 janvier au 20 février 2024 pour protéger les populations de dauphins. 450 bateaux ont été cloués à quai pendant un mois.
Ce lundi 19 février, pêcheurs, défenseurs de l'environnement et scientifiques se sont réunis dans un restaurant à Lorient (Morbihan). Une quinzaine d'interlocuteurs, aux avis parfois diamétralement opposés, ont échangé à bâtons rompus pendant quatre heures.
Autour de la table, David Le Quintrec, leader des "pêcheurs en colère" (750 sympathisants, selon lui), était assis à côté de Lamya Essemlali, présidente de l'association Sea Shepherd France. Moins d'un an auparavant, M. Le Quintrec avait pris la tête d'un cortège d'une trentaine de pêcheurs pour aller manifester devant la résidence bretonne de la militante.Les captures accidentelles de dauphins étaient alors déjà le coeur du problème.
La fermeture, un "coup de massue"
Le Conseil d'État, saisi notamment par Sea Shepherd, venait d'ordonner au gouvernement de fermer certaines zones de pêche afin de préserver les dauphins."Moi le premier, j'étais pas dans l'optique de rentrer dans le dialogue avec les ONG", reconnaît M. Le Quintrec. "Ça fait pas spécialement plaisir. Mais y a plus le choix: il faut prendre un peu de hauteur."
L'interdiction de pêche, ordonnée par le Conseil d'État du 22 janvier au 20 février pour 450 navires de plus de 8 mètres, a été un électrochoc. Ce "coup de massue" a poussé les pêcheurs à prendre l'initiative de crainte de subir à l'avenir des interdictions plus longues et répétées. "On est plutôt satisfait de s'être enfin parlé", avoue le pêcheur normand Philippe Calone."On a des retours positifs de partout comme quoi on a pris une bonne initiative", abonde le Lorientais David Le Quintrec.
Une réunion "historique"
"Une initiative sympathique", confirme Dominique Chevillon, vice-président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO). "J'ai vu des gens intelligents, qui parlent vrai et qui veulent en sortir par le haut". Sea Shepherd a même salué une "réunion historique", dans un communiqué de presse.
Captures de dauphins : une réunion historique s’est tenue à Lorient lundi 19 février entre pêcheurs, scientifiques et ONGs
— Sea Shepherd France (@SeaShepherdFran) February 22, 2024
Depuis plusieurs années consécutives les captures de dauphins par les engins de pêche dans le Golfe de Gascogne ne font qu’augmenter et tout dialogue… pic.twitter.com/qXmfggCyYI
L'association y souligne que "cette première décision de fermeture d'un mois ne satisfait personne" car elle est "trop longue" pour les pêcheurs et "trop courte" pour préserver les dauphins.Les associations de défense de l'environnement en ont d'ailleurs profité pour rappeler qu'ils ne souhaitaient pas la disparition de la pêche française, "objectif absurde qui aurait pour effet de booster les importations de poissons étrangers déjà bien trop importantes", selon Sea Shepherd.
"Sentiment d'injustice"
Sans déboucher sur des solutions concrètes, la réunion a permis de trouver un accord sur le constat, souvent contesté, de l'impact de la pêche sur la mortalité des cétacés.
Deux chercheurs de l'observatoire Pélagis ont ainsi pu expliquer leurs méthodes de travail. Selon le Ciem, l'organisme scientifique international de référence, environ 9.000 dauphins communs meurent chaque année par capture accidentelle sur la façade atlantique française, alors qu'il ne faudrait pas dépasser 4.900 pour ne pas mettre en péril la population de dauphins.
En 2020 et 2021, les corps des dauphins échoués portaient des traces de mort dans des engins de pêche dans 86% des cas, selon le Conseil d'Etat. M. Gascuel s'est d'ailleurs dit surpris "par le déficit complet d'information" des pêcheurs sur le sujet. "Ils ne peuvent qu'avoir un sentiment d'injustice épouvantable si on ne leur fournit pas l'information", a souligné le chercheur.
Pêcheurs, scientifiques et défenseurs de l'environnement se sont aussi interrogés sur le rôle des représentants des pêcheurs, qui ont "mal défendu la pêche artisanale", "ne font pas leur boulot d'interface" ou "cultivent le déni", selon les cas.
Interrogé à ce sujet, le président du Comité national des pêches Olivier Le Nézet n'a pas souhaité s'exprimer.L'objectif est désormais de "trouver des solutions" pour éviter une nouvelle fermeture, explique M. Le Quintrec, avec la mise en place d'un groupe de travail informel. "On est obligé d'avancer, on n'a pas le choix", souligne-t-il.