IMMERSION. "Pas les mêmes priorités que nous" selon Françoise, Mathieu, Séverine... entre manque de considération et budget serré, ces élections laissent peu d'espoirs

Elles sont aides-soignantes, restauratrice, il est entraineur de foot... Ce n'est pas tant un budget serré ou des conditions de travail difficiles, qui les minent, mais le manque de considération. Un sentiment de délaissement que la politique n'atténue guère, bien au contraire. C'est le troisième volet de notre reportage aux côtés des "invisibles", dans le centre-Bretagne à Pontivy (3/3)

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Comme tous les mercredis soirs, c’est jour d’entraînement pour les joueurs de l’équipe 1 du GSI Pontivy, l’un des deux clubs de foot de la ville avec le Stade Pontivien. 

Après avoir installé le matériel sur la pelouse synthétique, l’entraineur et son staff commencent par un debriefing du match perdu sèchement le week-end précédent face à l’équipe réserve du Stade rennais.

Car le club, troisième pour l’instant au classement de Nationale 3 derrière Milizac et le Stade brestois, vise la montée en Ligue 2 la saison prochaine. Alors, pas question de perdre cet objectif de vue. Et pour cela il faudra arriver en tête à l’issue des dix dernières rencontres qui restent à jouer.

On a l’impression qu’ils n’ont pas les mêmes priorités que nous

Alain, entraineur du GSI Pontivy

Parmi les personnes clés du club, Alain Liri. Lui ne compte plus les années passées au GSI Pontivy. Il est aujourd’hui l’entraineur de l’équipe réserve. Il occupe également un poste de surveillant dans un lycée professionnel.   

" Le centre-Bretagne est très dynamique côté sportif avec beaucoup d’associations" constate-t-il. Mais quand il parle de son quotidien et de son rapport aux décideurs et aux élus, il est beaucoup plus critique. "On a l’impression qu’ils n’ont pas les mêmes priorités que nous". Il aimerait qu’ils soient " davantage à l’écoute des territoires avec plus de décentralisation." Mais il nuance néanmoins en ajoutant que "depuis là-haut, ce n’est pas évident."

A lire également, les autres volets de notre reportage :

 => IMMERSION. "Bientôt on ne pourra plus se payer le carburant pour aller travailler". Aux côté des "invisibles" à Pontivy (1/3)

=> IMMERSION. "La société ne s'occupe pas de moi, ne parle pas aux jeunes pour les aider". Aux côtés des invisibles à Pontivy (2/3)

Dans l’équipe, Mathieu Leroux lui, est attaquant. Après avoir connu une carrière professionnelle de footballeur, ce Pontivien de 31 ans a travaillé comme conseiller en assurance.

Une activité qu’il a vite mise de côté car " vendre des contrats d’assurance décès ou obsèques" dit-il " ce n’était pas mon truc". Alors depuis septembre 2021, il est revenu à ses premières amours et a fondé All Armor, sa société de conseiller sportif. Son but : "accompagner les jeunes dans leurs projets professionnels dans l’univers très concurrentiel du football".

Selon lui, "dans le foot, les jeunes sont aujourd’hui trop considérés comme des produits. Moi, je fais un choix différent. Je les accompagne pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes et qu’ils soient respectés.

Je m’interroge sur la sincérité des propositions des candidats

Mathieu

Quand il s’agit d’évoquer la politique, les choix pour l’avenir de la société, ou bien les prochaines élections, sa réponse commence par une question. "Vous voulez que je sois sincère ?... "

Et de poursuivre. "Comme pleins de jeunes de mon âge que je côtoie, je ne m’intéresse pas vraiment à la politique. Cela manque d’intérêt. Je m’interroge sur la sincérité des propositions des candidats. Ils s’affrontent en se descendant les uns les autres. Avec des débats où on ne comprend rien."

Pourtant, il affirme que ses propres parents l’ont sensibilisé. Mais il ajoute dans la foulée qu'"à titre personnel, cela ne change pas ma vie au quotidien." Certes, il ira voter, mais sans conviction. Convaincu que son bulletin et ses envies pèseront peu dans cette élection.  

Le foot, c'est mieux que la politique pour trouver du boulot ou un logement

Pour Mathieu, une chose est certaine : "le sport est un moyen très utile pour s’insérer dans la société." Le monde du foot, lui, apporte bien plus que les décisions ou les actions politiques. "Ici à Pontivy, et avec tous ceux qui agissent pour le club, que ce soient l’encadrement, les partenaires, les joueurs et leurs familles, il y a de la vie, il y a de l’échange."

Pour preuve, insiste-t-il, "pour trouver un appartement, du boulot, ou bien quand on a un problème et qu’on a besoin d’aide, on sait qu’on peut compter sur tous ces gens. C’est un lieu de vie avec des valeurs."

Et il ajoute : " les politiques devraient s’inspirer de ce fonctionnement et ils devraient venir sur le terrain." Mathieu file la métaphore "La politique devrait faire comme le foot. On a un objectif commun, on est tous pareils, solidaires, et on a tous la même couleur, celle du maillot de notre club."

En vert et blanc, des couleurs que Mathieu, ses équipiers et le club veulent voir gagner. Pour eux tous, c’est la priorité des priorités.

C’est un peu dur à entendre face aux efforts que l’on fait

Christine le Strat, maire de Pontivy

La colère froide des aides soignantes ou d’un salarié de l’agro-alimentaire, les demandes concernant les hausses de salaires et de pouvoir d’achat, les complications administratives décriées par les restaurateurs ou encore l’indifférence des plus jeunes par rapport aux enjeux de la politique et à ceux qui la mènent… Autant de propos qui interrogent Christine Le Strat, la maire Modem de Pontivy.

Pour l’édile de cette commune de 15 000 habitants, largement réélue lors des dernières élections municipales, c’est une source de préoccupation et d’incompréhension. " C’est préoccupant car notre souci, c’est de faire en sorte que les gens soient bien ici. On essaie vraiment de répondre à leurs préoccupations". Elle ajoute : " c’est un peu dur à entendre face aux efforts que l’on fait.

Les risques de l’abstention

Face à cette situation, l’élue craint le réflexe de l’abstention aux prochaines élections. Voire du vote extrême. Tout en faisant un certain nombre de constats. " Beaucoup de service de proximité ont été supprimés, comme c’est le cas en centre bretagne. Alors les gens se sentent abandonnés." Elle se pose aussi des questions sur la " méconnaissance des institutions de la part d’une partie de la population. Car les maires ne peuvent pas tout régler."

Christine le Strat constate également que les réunions de quartier mises en place sur les neuf secteurs de la ville ne font pas recette. Pour autant, ce sentiment de ne pas être écouté, pas pris en compte, Christine le Strat le vit, elle-même à son niveau.

Avec ses homologues de Loudéac et de Carhaix, elle a défendu un projet de ligne ferroviaire TER en centre-Bretagne.  Mais, raconte-t-elle, " les décisions des  réunions, notamment avec la SNCF, étaient prises d’avance. Ce genre d’infrastructures sont développées sur le littoral au nord et au sud mais pas en centre Bretagne". Sans compter, estime-t-elle que " la mise en avant de la métropolisation a oublié les villes moyennes et leurs habitants."

Malgré tout, la maire de Pontivy va continuer sa mission pour convaincre les plus jeunes d’aller voter. Avec la mise en place régulière de cérémonies pour la remise des cartes de vote pour les nouveaux électeurs inscrits sur les listes électorales de Pontivy.

Les gens sont à un euro près côté budget

Séverine

Il est midi pile. Le coup de feu pour Séverine et Frédéric Guillaume. Depuis 14 ans, ils tiennent le relais de Gohélève. Un bar restaurant routier-ouvrier dans la zone artisanale à l’entrée sud de Pontivy
.

Sur l’ardoise, le menu entrée-plat-fromage-dessert est affiché à 12,80 euros. " On ne peut pas aller au-dessus, même pour un euro. Les gens sont à un euro près côté budget" affirme Séverine. "Le pouvoir d’achat est sans cesse dans la bouche des clients" ajoute-t-elle.

La restauratrice tient d'ailleurs à rapporter certains échanges avec des clients. "Nous avons des chauffeurs-routiers, des employés du bâtiment, des petits artisans. Tous parlent des salaires, disent que leurs métiers sont durs et qu’ils ne sont pas reconnus."


Chaque jour, entre 150 et 200 repas sont servis. C’est 30% de moins par rapport l’avant-covid. Les clients et les entreprises ont changé leurs habitudes depuis les confinements. "Désormais, de plus en plus de personnes fabriquent leurs sandwiches, apportent des fruits qu’ils mangent sur place dans leur entreprise. Et le temps de pause du déjeuner est plus court pour rentrer plus tôt le soir chez eux" constate Frédéric.

Baisse des charges et de la TVA

" Nous, on aimerait bien être davantage écoutés" regrette Séverine. " On attend une diminution de nos charges pour pouvoir augmenter les salaires de notre personnel. Cela facilitera les choses aussi pour recruter des gens. Il faudrait aussi une baisse de la TVA le temps de reconstituer notre trésorerie mais on n’est pas entendus."

Autour de leur restaurant, des dizaines d’entreprise sont installées dans la zone artisanale. Mais aucun des salariés de ces sociétés ne peuvent venir déjeuner. " Ils ne sont pas remboursés, car la règle de l’Urssaf prévoit qu’il faut au moins une distance de dix kilomètres entre l’entreprise et le lieu du déjeuner" explique Séverine, " du coup, les gens prennent leur voiture et vont manger à dix kilomètres pour être remboursés. Et ils paient du gazole. Sans compter les problèmes pour l’environnement." En haussant les yeux, elle ajoute : " notre syndicat en a parlé mais, au-dessus, ils ne sont pas sur le terrain. Ils ne comprennent pas."


Séverine et Frédéric l'affirment, ils gardent le moral. Mais s’inquiètent juste pour les confrères plus jeunes qui se lancent dans le métier.

Les gens de l’extérieur nous considèrent comme des femmes de ménage

Angélique

Direction Vieuzy, à quatorze kilomètres au sud de Pontivy. Dans sa maison acquise il y a onze ans, Françoise Lestournan ausculte avec sa collègue Angélique Ménard leur dernier bulletin de paie envoyé par l’ADMR 56, une association d’aide à la personne.

Françoise a 50 ans, et occupe un poste d’auxiliaire de vie sociale depuis 14 ans. Salaire brut : 1550 euros, pour 130 heures par mois. Angélique, 33 ans, est aide-à-domicile depuis quatre ans avec 1185 euros brut pour 95 heures par mois.

Manque de considération

La situation est " brutale" pour Angélique. " On a un manque de considération de tout le monde. Les gens de l’extérieur nous considèrent comme des femmes de ménage. L’image de notre profession n’est pas soutenue. Le regard des gens sur nous change seulement quand ils tombent malades et ont besoin de nous" constate-t-elle.

Pour autant, les deux femmes conservent une véritable passion pour leur métier. Des journées passées à faire des toilettes, à habiller, échanger les malades. " On l’a dans les tripes ce boulot, cette passion… On accompagne de la naissance à la mort. Et on améliore la qualité de vie des gens."

Si on devient égoïste, ce sera une catastrophe

Françoise

Mais le quotidien de ces professionnelles de l’aide à la personne est, sans arrêt, une course contre le temps, avec des kilomètres à parcourir pour respecter les plannings imposés par les responsables de l’ADMR. Et le sentiment de ne pas être respectées.

" Heureusement qu’on l’aime notre métier et qu’on a une conscience professionnelle. Si on devient égoïste, ce sera une catastrophe" affirme Françoise. Sa feuille de paie à la main, elle ajoute : " psychologiquement, ça, mon bulletin de salaire, ce n’est pas juste".

Les autres élections

Comme tous les vendredis matins, Ronan Le Guéhennec, le secrétaire de l’Union locale CGT de Pontivy mène la réunion avec les élus des différents secteurs d’activité.
Agents territoriaux, agroalimentaire, éducation, retraités. " Dans le Centre Bretagne, on a vraiment des problématiques bien spécifiques" lance-t-il pour ouvrir la discussion.

A l’ordre du jour, les prochains rendez-vous électoraux. Ceux qui concernent les élections professionnelles dans les TPE, les très petites entreprises et  pour les salariés de la territoriale, de l’hôpital ou de l’État.


Pour l’occasion, Stéphane Le Méchec, le responsable départemental, est venu rappeler les enjeux. " Cinq millions de gens qui vont voter. La CGT est le premier syndicat dans le public mais on est le second dans le privé. Il faut qu’on redevienne premier là-aussi."

C’est compliqué d’être à la CGT aujourd’hui

Stéphane le Méchec

Son constat : les manifestations rassemblent moins de gens et les deux années de Covid n’ont pas facilité les choses pour se faire entendre. Pourtant, pour eux, les difficultés économiques n’ont pas disparu.

"Il faut vraiment qu’on sorte les drapeaux et les chasubles et même les autocollants aux couleurs de la CGT. Je pense qu’on ne les sort pas assez" regrette Stéphane Le Méchec. "Il a des syndiqués qui ont peur. C’est compliqué d’être à la CGT aujourd’hui" glisse-t-il.

Le racisme du quotidien

Dans la région de Pontivy, les militants de l’extrême droite ou les groupes liés à l’extrême droite sont actifs. Et les conflits sont réguliers.

Même si ces élus CGT souhaitent rester dans leur rôle de syndicalistes, ils pointent du doigt le racisme du quotidien. Kevin, agent territorial s’insurge : " on doit combattre syndicalement l’extrême droite. Dans le bassin pontivien, y a des salariés immigrés, avec la peau noire, mais ce sont eux aussi qui font tourner les boîtes".

En tant qu’élu, on bosse comme si on allait virer des gens

une élue du personnel

Au menu du jour de la réunion également, l’actualité économique locale. Avec une grosse inquiétude au sujet des 80 salariés de la Cobral de Pontivy. L’entreprise d’agroalimentaire spécialisée dans les articles de traiteur et de snacking est en redressement judiciaire. Dans l’attente d’un éventuel repreneur d’ici la mi-mars.

Face à ses collègues de la CGT, la déléguée syndicale ne cache pas son émotion.  "En tant qu’élu, on bosse sur le dossier comme si on allait virer des gens" regrette-t-elle, "alors, on met les gens dans des catégories avec l’administrateur."

Une élue qui s’inquiète pour ses collègues qu’elle croise tous les jours et qui pourraient être licenciés si l’un des deux candidats à la reprise ne passe pas à l’acte.

Des élus qui insistent sur un point, le "ras-le-bol" d’être mal considéré.

Le manque d’attractivité du Centre-Bretagne

De l’autre côté de la table, Yann Ollitrault enchaîne. Ce délégué syndical central alerte sur le manque d’attractivité des campagnes du Centre-Bretagne. "On a un problème de recrutement" constate-t-il, amer.

"Sur notre site, nous n’avons plus de directeur depuis six mois, et plus de contrôleur de gestion depuis quatre mois. Des candidats sont venus voir avec leur famille. Mais avec les problèmes d’accès aux transports ou le manque de médecins, ils sont repartis." Et "ce n’est pas une question de salaires" conclut-il.

Tous les aspects collectifs sont cassés.

Ronan Le Nezet

Ronan Le Nézet, le secrétaire de l’Union Locale CGT de Pontivy, fait un constat sévère. "Une norme sociale s’est imposée où les corps intermédiaires sont considérés comme des contraintes. Tous les aspects collectifs sont cassés. Pour moi, c’est une logique qui est écrite". Et il ajoute : "tout s’est inversé. Ce sont uniquement les gens, qui sont riches ou qui réussissent, qu’on valorise. Alors que ce n’est pas la majorité. C’est un mirage qui créé beaucoup de déception."

Le monde de la nuit avait une image de mafieux alors qu’on est comme un plombier, comme n’importe quel artisan

Jean-Pierre Le Berrigo

Minuit trente, les deux vigiles de la boite de nuit Le Missyl à Pontivy laissent entrer les premiers clients. Comme tous les jeudis, ce sont avant tout des jeunes étudiants de Pontivy qui viennent entre amis.

Comme toutes les boites de nuit, l’établissement de Régis Toutain et Jean-Pierre Le Berrigo, les deux associés, a connu en tout près de vingt mois de fermeture à cause du covid-19. Ce sont les professionnels dont l’activité a été la plus impactée par les fermetures.

La discothèque a rouvert il y a trois semaines. Et le redémarrage se passe plutôt bien. Avec les aides et le Prêt Garanti par l’Etat, le PGE, l’entreprise a pu traverser la tempête. " Grâce et à cause du Covid, notre profession a été connue par les français" note Jean-Pierre Le Berrigo. " Et pourtant", précise-t-il, " au début, on pensait qu’il y avait une volonté politique de nous laisser mourir, car le monde de la nuit avait une image de mafieux alors qu’on est comme un plombier, comme n’importe quel artisan".

Manque de reconnaissance

Pour Régis Toutain, "la discothèque, c’est aussi la vie sociale". Depuis la réouverture, il a pris le temps de parler, d’échanger avec beaucoup de ses clients. "La colère des gens, je l’entends, je la comprends. Il y a des difficultés notamment de manque de reconnaissance, avec plein de gens qui travaillent dans l’ombre. Il y a des gens qui ont du mal à trouver leur place dans la société. Il faut les aider à trouver leur but."

Pendant le Covid, lui a dû trouver des solutions pendant les mois de fermeture du Missyl. Il a fait et continue de faire de l’intérim. Comme électricien et chauffeur pour une société de transports. Il est aussi pompier volontaire.

L’inimaginable guerre en Ukraine

Une vie riche qui lui permet de regarder l’avenir avec optimise, malgré les derniers événements liés à la guerre en Ukraine. Un événement qu’il n’avait jamais imaginé si proche auparavant. "Une guerre comme celle de nos grands-parents".

Un événement qui, ici inquiète tout le monde. Car il pourrait avoir de lourdes conséquences sur la vie quotidienne de toutes ces personnes rencontrées, sensibles à la moindre hausse des prix. Que ce soient ceux du carburant ou des produits alimentaires. Des invisibles qui craignent encore plus pour leur avenir.

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