Le 26 juillet, le tribunal de commerce d’Orléans tranchait en faveur du projet de reprise de Duralex par une partie des salariés ainsi que le directeur du site, sous la forme d’une SCOP. La coopérative est entrée en fonction le 1ᵉʳ août. Après une rentrée sous les feux des projecteurs, la structure démarre dans une certaine allégresse et l’espoir de lendemains meilleurs après deux décennies de difficultés et reprises successives. Pour autant, les défis qui attendent Duralex font douter une partie des salariés.
Flashs, micro tendus, poignées de mains, congratulations, petits fours… Ce lundi 2 septembre, dans la grande salle de la recette de l’usine de La Chapelle-Saint-Mesmin, c’est l’émulation. La SCOP fait sa rentrée, l’événement fait florès.
Rentrée médiatique et partenariats
Le magazine Zone interdite de M6, le JT de 20h de France 2, une équipe de "13h15 le samedi", BFM, la télévision suisse, des radios locales et nationales, la presse écrite, de multiples médias ont répondu présent. En grande pompe, le directeur général, François Marciano annonce le lancement d’un pack de soutien de 6 verres du modèle gigogne. Un pack au prix de 35 euros et des verres frappés de diverses maximes : "Allons enfants de la cantine", "le verre entre 2 bonnes mains". Élaboré en collaboration avec Le slip français. Un partenariat conçu pour faire profiter du savoir-faire de la jeune entreprise textile sur les réseaux sociaux, car le e-commerce est un pan d’activité décrit comme un angle mort de Duralex. Les commandes en ligne pèsent seulement 2% de ses ventes.
Cette rentrée médiatique est aussi l’occasion de valoriser les partenaires institutionnels : la métropole d’Orléans et la région en particulier. La métropole a racheté le foncier pour 5 millions d’euros, la région a apporté des garanties bancaires et du capital. À la tribune, François Bonneau le président de région, Serge Grouard le maire d’Orléans se félicitent d’avoir œuvré à sauver un monument en péril et contribué à préserver tous les emplois.
Sont également présents des partenaires commerciaux, comme l'un des principaux distributeurs des produits Duralex, la société Lebrun, établie dans le Nord. Son directeur général Antoine Hémery affirme que l’annonce du nouveau départ en SCOP a généré un "effet de sympathie" et tiré les ventes. "Ces dernières semaines on a fait + 25% en chiffre, il y a un véritable engouement, on a énormément de demande et comme l’usine a du stock, on a pu répondre aux demandes", se félicite-t-il.
Consulter et convaincre
Le lendemain de cette rentrée médiatique, au même endroit, les bleus de travail remplacent les chemises, cravates et tailleurs. C’est la deuxième rentrée de la SCOP, pour ses associés et salariés cette fois. "On va vous expliquer comment on va redresser Duralex alors que les six précédents se sont cassé la figure", annonce François Marciano. Et de se réjouir des bons résultats du premier mois d’exercice : 1,7 million de chiffres, supérieur à l’objectif de 1,2 million.
Le directeur général et son équipe déroulent les mêmes arguments : Duralex va pénétrer des marchés, reconquérir des positions. Un chiffre fort est avancé : objectif 40 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici cinq ans. Pour cela, on parle diversification de la gamme, sélection des bons distributeurs sur les cinq continents, réduction des dépenses, économies d’énergie. Les projets foisonnent, l’optimisme et les satisfecit sont de rigueur. "Je voulais vous féliciter. Pour notre événement, l’usine était nickel, on aurait pu manger par terre", plaisante Nicolas Rouffet, le directeur industriel.
On n'hésite pas à aller à la direction, poser des questions si quelque chose ne va pas et on nous répond avec le sourire. On voit qu’il y a une grande envie d’aller de l’avant et ça fait plaisir
Paulo Dias, mécanicien - associé de la SCOP
À l’issue de la réunion, plusieurs salariés font part de leur confiance dans le projet. "Je suis motivée depuis le début, je suis en finance donc on suit les chiffres, on essaie de voir où on peut gagner pour relever le défi", explique Laure Fleury, responsable de contrôle de gestion. "On reçoit souvent des e-mails, des informations et on suit vraiment ce qui se passe. Je fais partie du conseil d’administration, on n’hésite pas à aller à la direction, poser des questions si quelque chose ne va pas, et on nous répond avec le sourire. On voit qu’il y a une grande envie d’aller de l’avant et ça fait plaisir", s’enthousiasme Paulo Dias, mécanicien d’équipement.
De la communication et du dialogue, François Marciano assure que cela sera une préoccupation majeure de la SCOP : "Cet exercice de réunion d’information va être fait au moins tous les trois mois, c’est hyperimportant. On va leur demander leur avis sur des gros sujets, les consulter sur les choix de gamme. On va travailler ça en toute transparence, et de façon à ce qu’ils prennent des décisions".
Quant aux salariés qui n’ont pas investi dans la SCOP, les associés espèrent toujours les convaincre. "Dès qu’on fera du bénéfice et qu’il y aura une part travail, et une part associés. Ceux qui ne sont pas encore associés se diront d’eux-mêmes qu’en le devenant, ils auront deux parts de retombées des bénéfices. Donc je pense que ça va venir naturellement, à terme", prédit Vasco Da Silva, secrétaire CFDT du CSE.
Un savoir-faire à préserver
Grâce aux verres dans lesquels ont bu des générations d’écoliers, grâce à ses modèles iconiques, comme le Picardie, vu au cinéma dans Skyfall (un volet de James Bond), Duralex jouit d’un capital symbolique, qui tient aussi à la résistance et à la durabilité de ses produits. Duralex s’appuie sur un savoir-faire et une marque de fabrique consolidés en presque 80 ans d’existence : le verre trempé.
Principal matériau qui entre dans sa composition : le sable. Un sable fin, fourni par les carrières de Fontainebleau et livré quotidiennement par camions de 30 tonnes. Clarisse Hardy, ingénieur responsable de la fusion et de l’élaboration du verre. "Je compare souvent la fusion à la cuisine… Comme pour faire une bonne pâte à crêpes, il faut une bonne recette et de bons ingrédients qu’il faut ensuite chauffer à des températures très précises afin de fournir une matière de bonne qualité à nos lignes de production", explique-t-elle.
Elle supervise aussi la gestion du four, qui fonctionne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
Si on arrête de chauffer, le verre se fige et le four est mort. Le four, c'est vraiment le cœur de l’usine, on n’en a qu’un et on le préserve.
précise Clarisse Hardy.
Du four, le verre en fusion part vers les lignes de production. Les paraisons, les gouttes de verre en fusion, tombent dans des moules. Les pièces démoulées sont acheminées à la trempe. "La trempe c’est un système de réchauffage puis de choc thermique, de refroidissement fort qui donne sa dureté à l’article. Nos produits sont réputés incassables… Ils ne le sont pas mais ils sont beaucoup plus résistants que des articles qui seraient seulement recuits de manière classique", explique Michel Bellair, responsable de process.
En bout de ligne, la production est contrôlée visuellement. Des échantillons sont aussi prélevés pour tester leur résistance aux chutes, à l’empilement ou encore aux chocs thermiques.
Business plan et embauches
Pour carburer correctement et produire un verre sans bulles ou autres impuretés, le four doit tirer un certain tonnage quotidien, si bien que l’entreprise produit plus de verre qu’on lui en commande. Une grande quantité de cette production part au rebut, ce verre est brisé et devient du calcin, du verre pilé qui entre dans la composition de la recette du verre Duralex, et sera petit à petit recyclé. À condition que les cadences augmentent.
Sur les cinq lignes de production que compte l’usine, une seule est en fonctionnement. Les carnets de commandes ne sont pas assez remplis pour que l’usine tourne à plein régime. Pour y remédier, un directeur de la stratégie, Vincent Vallin a été récemment embauché. Il est en charge du business plan qui doit permettre d’atteindre l’objectif de 40 millions d’euros de chiffres d’affaires d’ici cinq ans.
Ces 40 millions, c’est ce qui va nous permettre d’avoir une trajectoire de trésorerie favorable à partir de l’année 4 ou 5, ce qui sera fondamental pour débloquer des lignes de crédits et poursuivre nos investissements, non seulement côté usine, mais aussi sur la partie marketing, commerciale.
Vincent Vallin, directeur de la stratégie
Vincent Vallin doit en particulier trouver des débouchés pour les produits Duralex à l’international. "On fait 80% de nos ventes à l’international et on a découpé 9 zones export sur lesquelles il faut absolument recruter des commerciaux dès aujourd’hui", ajoute-t-il.
Alors que les projets de reprise concurrents de la SCOP portés par des industriels prévoyaient de supprimer des postes, pour atteindre leurs objectifs ambitieux, les responsables de la SCOP ont pris le parti d’embaucher. "Nous qui connaissons la société, on n’arrivait pas à comprendre comment ils voulaient faire tourner l’usine en 5/8 et répondre aux demandes clients avec moins de personnel. Alors que nous, on estime qu’il nous manque aujourd’hui. Eux, ils ont compris qu’il y avait trop de charges de personnels, donc ils voulaient baisser les charges de personnel pour que le chiffre d’affaires suffise… Nous, on regarde le problème dans l’autre sens : on veut augmenter le chiffre d'affaires pour pouvoir absorber les charges du personnel qui nous semble nécessaire et minimum pour faire tourner l’usine", détaille Maxime Nelia, directeur des ressources humaines.
Associés vs sceptiques
Comme le projet le prévoyait, la SCOP conserve tous les emplois. Mais sur les 226 salariés, tous, loin s’en faut, n’ont pas souhaité devenir associés. Ils sont 138 associés à avoir contribué sur leurs deniers pour devenir associés de la coopérative. Certains n’ont pas investi pour des raisons pratiques, ils n’avaient pas les fonds au moment voulu. Mais d’autres s’y sont refusés parce qu’ils nourrissent des doutes sur la viabilité de la structure. Les coûts de fonctionnement d’une usine énergivore se chiffrent en millions d’euros tous les mois en particulier, leur semblent difficiles à assumer. François Dufranne, délégué CGT, opposé au projet de SCOP, rappelle volontiers que près de 40% des effectifs n’ont pas signé pour la SCOP.
Si M. Marciano me paye le voyage, je veux bien aller à Lourdes brûler un cierge pour la SCOP
François Dufranne, délégué CGT
Quelques semaines après la rentrée médiatique, Duralex s’est offert un nouveau coup de projecteur : une visite de Stéphane Bern, en amont des journées du patrimoine, un partenariat avec La Poste, qui vendra des lots de mugs pour Noël.
François Dufranne, voit ces événements et annonces avec une certaine distance : "On nous parle d’e-commerce, de boutique en ligne, de partenariat avec La Poste, et autres… Tout ça ce sont des quantités dérisoires. Ce sont des gros volumes, des conteneurs entiers qu’il faut vendre, pas des packs de 6", lance-t-il. Lui qui avait une préférence pour le projet déposé par un industriel, ne mâche pas ses mots. "Des promesses on nous en a faits à chaque reprise, mais on sait comment ça s’est fini". Pour lui, "il y a des zones d’ombre" dans le projet de SCOP. "Les machines sont fatiguées, il va falloir de gros investissements… On est dépendant de l’argent public, est-ce que ça va suivre financièrement, combien de temps, on se demande". Un peu fataliste, un peu provocateur, il conclut : "Si M. Marciano me paye le voyage, je veux bien aller à Lourdes brûler un cierge pour la SCOP".
Sur le parking de l’usine, sous couvert d’anonymat, un employé en production, nous faire part de ses doutes. À son sens, le projet de SCOP est une manière pour le directeur, François Marciano, de conserver son poste, bien rémunéré, alors qu’il n’aurait pas été conservé par un repreneur industriel :
C’est facile de mettre les échecs sur le dos des commerciaux de la maison française du verre, l’ancien actionnaire… Mais ça fait quelques années qu’il est là, et les résultats qu’il promet, il ne les a pas obtenus par le passé. Maintenant, en plus, on a son fils au poste de responsable financier, ça interpelle quand-même, on espère qu’on ne va rien nous cacher.
un employé en production
Pour faire taire les plus sceptiques, la direction va devoir vite produire des résultats. Une équipe dirigeante toujours pas officiellement intronisée. La première assemblée générale des associés de la SCOP doit élire le comité directeur de Duralex. Elle aura lieu courant octobre.