Olivia a porté plainte pour la première fois en 2016 pour violences conjugales. Depuis, plusieurs ont suivi, sans procès en vue. Elle témoigne d'une difficile reconstruction dans la peur.
Autour d'elle, personne ne connaît son adresse. "Ni mon employeur, ni l'école de mes enfants, personne", détaille Olivia. "J'ai même pensé à changer de pays." Une seule peur régit désormais son quotidien : que son ex-conjoint la retrouve.
Depuis qu'elle a porté plainte pour la première fois en 2016 contre lui, elle a déménagé trois fois "j'ai tout quitté, laissé mon père mourant qui est décédé sans que je sois près de lui". En 2017, elle fuit la maison dont elle est seule propriétaire, sur les conseils des forces de l'ordre.
Un jour sans fin
Au cœur de ses inquiétudes, le père de ses deux derniers enfants. A l'époque des faits, un nouveau-né et une petite fille de 1 an.
"Les violences verbales ont commencé quand j'ai été enceinte de notre premier enfant, je pense qu'il s'est dit que je lui étais acquise à ce moment-là"
Olivia
Commence alors l'enfer, les nuits à ne pas dormir : "il me tenait éveillée pour que je repasse ses vêtements, encore et encore, parce que je laissais des plis."
Puis viennent les insultes, les reproches "d'être une mauvaise mère" raconte-t-elle. Cet homme, en qui elle avait confiance, devient son bourreau "tous les jours se ressemblaient."
Elle explique la peur aujourd'hui d'être retrouvée, mais a retrouvé une forme de sérénité : "Je me sens moins seule depuis que je suis célibataire, j'ai de nouveau des amies." A l'époque toute vie sociale lui est impossible détaille-t-elle "il surveillait mon retour du travail, le temps que je passais à faire les courses."
Plaintes et mains courantes
La première fois qu'elle appelle les forces de l'ordre, c'est en 2015 : "il m'avait collée contre le mur en me tenant par la gorge." Depuis, elle a déposé au moins cinq plaintes, plusieurs mains courantes pour violences, harcèlement, menaces, et aucun jugement en vue.
En 2016, elle justifie pourtant de 8 jours d'ITT suite aux coups : "J'ai eu peur de mourir ce jour-là, j'étais recroquevillée sur moi-même, au sol". "Il n'a été auditionné pour les plaintes de 2016 et 2017 qu'en 2021 et ça je ne sais pas pourquoi" s'étonne Elise Meine, l'une des avocates d'Olivia.
"Aujourd'hui je ne suis plus en colère contre lui, mais contre l'Etat. Lui, il est malade il faut qu'il soit pris en charge."
Olivia
Selon Elise Meine, après une jonction des plaintes par le parquet d'Orléans, la procédure serait toujours en cours. L'avocate exprime ses craintes : "je me demande ce qu'il se passerait si il la retrouvait." Olivia, elle, est persuadée qu'il ne viendrait "pas les mains vides."
Lenteur judiciaire
Pourquoi est-ce aussi long ? Trois parquets sont concernés, ce qui pourrait ralentir davantage les procédures. À ajouter à un manque de bras dans les différentes instances. Résultat pour elle, aucune mesure de protection : "Les plaintes n'aboutissent pas, donc il ne fait pas l'objet de contrôle judiciaire, et pour un téléphone grave danger, nous ne pouvons le demander que pendant une audience" détaille son conseil.
En 2018 et 2019, la mère de famille écrivait déjà plusieurs fois au parquet de Chartres, souhaitant ne pas être "la prochaine" victime de féminicide.
Bientôt une protection ?
Un constat qui pourrait changer. Épuisée de cette lenteur, Olivia a décidé, avec l'association "La vie sans violences", d'envoyer des lettres recommandées à plusieurs instances, jusqu'au ministère de la justice, pour alerter sur sa situation.
Une démarche qui semble avoir fonctionné puisqu'elle a été contactée notamment par les services de la préfecture. En ligne de mire, la mise en place d'un téléphone grave danger : "Ca me fait bizarre, après autant d'années à me protéger toute seule."
En 2017, l'homme se voit privé de ses droits parentaux, en raison de son agressivité envers les professionnels chargés de mettre en place un accompagnement éducatif. En 2022, il est condamné à deux ans de prison, dont un ferme, pour des violences sur sa nouvelle conjointe. La 26e condamnation à son casier judiciaire.
Bataille judiciaire autour des enfants
Aujourd'hui, Olivia est dans une bataille de jugements et d'appels auprès du juge aux affaires familiales : "Je suis au tribunal au moins deux fois par an, à chaque décision j'arrête de respirer." En octobre 2016, elle dépose une main courante pour "non présentation d'enfants".
"Il sait que le seul moyen de m'atteindre, c'est mes enfants. Malgré ça, je n'ai pas retiré mes plaintes"
Olivia
Dans son dernier jugement, auquel l'homme a interjeté appel début janvier 2023, le juge aux affaires familiales note une "absence de recul par rapport au conflit qui l'oppose [à Olivia]" alors même que leur séparation date de plusieurs années.
Au fil des années, Olivia tente de se reconstruire. Suivie psychologiquement depuis plusieurs années, son corps témoigne encore brutalement de son passé : "je sursaute facilement, j'ai parfois des sueurs froides." Parfois, les scènes de violences se rappellent à elle, "je ne revis pas que le moment, mais aussi les émotions qui vont avec."
L'engagement associatif comme renaissance
C'est à travers l'engagement associatif qu'Olivia a trouvé une manière de sortir la tête de l'eau. Pendant plusieurs années, elle s'occupe de la protection d'autres femmes victimes. Elle participe à la fondation puis préside l'antenne locale de "Nous Toutes" dans l'Indre
"Réussir à obtenir la protection de ces femmes m'a fait tenir." Elle se plonge alors dans les lois, et fait de la justice un objectif : "Je veux faire changer les choses de l'intérieur, étudier à la Sorbonne et devenir avocate ou magistrate." A 39 ans, l'actuelle assistante administrative voit même plus loin : et pourquoi pas devenir députée ?