Témoignages. Rapport Sauvé : "l'effarement" en Centre-Val de Loire après les révélations sur la pédocriminalité dans l'Église

Publié le Mis à jour le Écrit par Bertrand Mallen

Le rapport Sauvé sur la pédocriminalité dans l'Eglise a été remis ce mardi 5 octobre. Il a fait l'effet d'une bombe en révélant l'ampleur des abus et la protection dont ont bénéficié les pédocriminels de la part de leur hiérarchie.

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Des chiffres "vertigineux", "effarants", "insoutenables". Les réactions se sont enchaînées dans la presse ce mardi 5 octobre après les révélations du président de la Commission indépendante sur les abus dans l'Église (Ciase), Jean-Marc Sauvé.

216 000 mineurs abusés depuis les années 50

Disponible en ligne, le "rapport Sauvé" estime que 216 000 mineurs ont été victimes de prêtres, diacres et religieux en France depuis 1950, ce qui fait de l'Église catholique le premier lieu d'abus sexuels sur mineur après le milieu familial. Sur la même période, près de 3000 pédocriminels ont été abrités, et parfois protégés, par une institution ecclésiastique soucieuse de se protéger du scandale.

En Centre-Val de Loire aussi, plusieurs affaires de pédocriminalité au sein de l'Eglise ont éclaté depuis quelques années : on peut compter celle de l'abbé Eugène Charrieau, condamné à Chartres à 20 ans de prison pour des agressions sexuelles sur 12 mineures, en 2000. Celle aussi de Loïc Barjou, condamné en 2006 mais dont l'exclusion de son activité de prêtre n'a été prononcée que dix ans plus tard. Celle encore de l'abbé Pierre de Castelet, condamné en 2018 en même temps que l'évêque émérite André Fort, qui ne l'a pas dénoncé.

En 2018, un autre clerc, l'abbé Olivier de Scitivaux, a également été mis en examen pour viol et agressions sexuelles sur mineurs.

Une protection "systémique" des prédateurs

Au-delà de l'énormité du nombre des victimes, le rapport Sauvé met en lumière les protections dont ont bénéficié les prédateurs au sein de l'Église. Olivier Savignac, cofondateur du collectif "Parler et revivre" qui accompagne les victimes, a vécu ce processus de l'intérieur.

Victime d'abus en 1993, à l'âge de 13 ans, il s'est battu pendant des années contre la hiérarchie orléanaise de l'abbé Pierre de Castelet. Invité au JT de France 3 à la veille de la sortie du rapport, il s'attend à une "prise de conscience massive par l'Église catholique en France", et en particulier la remise en cause des protections "systémiques" dont ont bénéficié les ecclésiastiques pédocriminels.

C'est important de voir comment le système s'est organisé, comment la loi du silence s'est imposée dans le système hiérarchique qui a couvert, alors qu'il savait

Olivier Savignac

Collectif "Parler et revivre"

L'évêque de Chartres, Philippe Christory, a lui aussi fait part de sa "surprise" et de son "effarement" face à des chiffres "bien au-delà de ce qu'on pensait". Consacré dans son diocèse en 2018, Mgr Christory reconnaît que "l'Église a protégé" des clercs coupables d'actes pédocriminels, citant par exemple l'abbé Eugène Charrieau qui avait "pignon sur rue, et était proche des familles, des milieux politiques locaux" avant sa condamnation à vingt ans de réclusion criminelle en 2000.

L'enjeu pour l'Église, poursuit l'évêque, est à la fois de mieux protéger les mineurs, mais aussi de déceler le plus tôt possible les personnes "ayant ce type de pulsions sexuelles incontrôlables" afin de leur permettre un accompagnement, y compris "psychologique, voire psychiatrique", tout en les excluant du ministère de la foi. "La question de ces coupables est très difficile, et elle se pose à toute la société", continue Mgr Christory. "Si l'Église, à sa petite mesure, peut contribuer à faire avancer les solutions, elle doit s'y atteler."

De fait, depuis plusieurs années, la parole se libère au sein de la communauté catholique. Dès 2014 à Blois, 2015 à Orléans et 2016 à Chartres, des cellules permanentes d'écoute ont été mises en place pour les victimes. Dans le diocèse de Chartres, qui correspond au département d'Eure-et-Loir, au moins trois victimes de prêtres ont ainsi été entendues et reçues par l'évêque depuis cinq ans.

Après la libération de la parole : le temps de l'action

Mais après le temps des témoignages et de la parole doit venir celui de l'action. Maintenant que ces données sont connues, "c'est à l'Église de prendre ses responsabilité et de porter une forme de réparation auprès des personnes qui ne peuvent pas avoir accès à la justice des hommes", poursuit Olivier Savignac. En effet, la plupart des faits révélés par le rapport Sauvé sont déjà prescrits.

"Souvent, l'Église a été trop lente pour agir", reconnaît Mgr Christory, ajoutant cependant que "la gravité de ce sujet a besoin de beaucoup d'expertise et d'écoute" et qu'une réflexion profonde a été engagée au sein de l'institution. "L'Église s'engage sur des années, et je ne sais pas si elle peut aller beaucoup plus vite que cela. Ça prend du temps."

Il a fallu du temps pour "percuter", entendre cette parole, écouter et enfin prendre des décisions. 

Philippe Christory

Évêque de Chartres

Passage de témoin

De fait, Jean-Marc Sauvé a noté que la Ciase "passe désormais le témoin à l'Église et à la CIIVISE" pour mettre en place des réponses dans l'ensemble de la société. Au-delà de la seule institution ecclésiastique, les collectifs d'accompagnement des victimes se désolent en effet du manque de moyens mis en place dans la prévention. "Des Ciase il en faudrait dans le sport, dans l'enseignement...", souligne Olivier Solignac.

Le président de la Conférence des évêques de France, Mgr de Moulins-Beaufort a pour sa part invité "les catholiques à lire ce rapport, à le lire avec nous" dans la mesure où "nous portons ensemble la responsabilité des personnes victimes" et où ses conclusions engagent "toute la société"  "Il met gravement en cause l’Église catholique ; il apporte aussi des éléments de travail et de réflexion pour toutes les composantes de notre vie sociale."

Un constat sur lequel s'accorde également Philippe Christory. "Il faut aborder ces questions avec tous les talents du monde religieux, mais aussi éducatif, sportif, et politique", estime l'évêque de Chartres, "pour que tout le monde participe à l'élaboration des solutions." "Mettre tout le monde autour de la table pour trouver des solutions concrètes : je crois que ce serait une belle vision de la laïcité."

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